Est artiste qui veut ?
Disons que dans une certaine mesure, on peut l’être sans avoir à prouver qu’on l’est réellement puisqu’on dit l’être, et que la notion même d'artiste est tellement vague. On y croit et votre entourage proche ou même institutionnel est contraint « peut-être » d’y croire (ou de faire semblant d’y croire) sous peine de se voir étiqueter dans le meilleur des cas de rabat-joie ou pire de réac stupide et incurable, d’autant plus si le marché et la faune élitiste du « financial art » vous adoube en tant qu'artiste "bankable".
Est artiste qui veut...
Belle phrase un brin démago rassurant le quidam qui après quelques esquisses, trois collages, une vidéo ou un coup de photoshop se met à rêver de cimaises sous les auspices d’une grande galerie internationale et les hauteurs himalayesques de ses prétentions. Rien que le mot : artiste. Que revêt-il aujourd’hui ? Le goût de l’effort et de l’apprentissage où l’élève autrefois s’acquerrait des techniques du maître avant de devenir maître lui-même ou bien la transgression instrument inhérent qui, par le biais de la provocation, bouleverse toute frilosité artistique campée sur ses certitudes ? Il n’est pas rare en ces temps de globalisation de la pensée de coiffer de lauriers l’aisance intuitive de la jeunesse souvent adepte du "faire savoir" (l'idée, le concept) au détriment du "savoir-faire" (la technique, l'apprentissage). La maturité et l’expérience peuvent vite être reléguer aux antipodes des effets tendances et des envolées astronomiques et parfois éphémères d’illustres inconnus caracolant aux culs des stars assis sur les trônes du marché de l’art. On pourrait également parler du rôle des critiques d’art actuels souvent en quête de nouvelles coqueluches, de peur de passer pour des dinosaures fossilisés sur des avant-gardes archaïques ou ancrer dans les principes de ce savoir-faire séculaire (dessin, peinture, sculpture). Ce qui ne signifie pas pour autant d’écarter les récentes technologies. La photographie s'est forgée une place de reine depuis son invention par Niepce et Daguerre. Pourquoi l’art numérique, tout comme la vidéo, les performances ou les installations n'auraient-elles pas la leur ? Mais ce n’est pas en éternisant le concept duchampien, sauce ready-made « troisième millénaire », que en chacun de nous pourrait sommeiller un artiste. Même muni du meilleur smartphone, 24/36 reflex ou caméra super HD, on est loin d’être sûr que s’y trouve derrière un « œil », une réflexion et un sens de la composition. Un constat plus qu’actuel au regard des promotions entrantes et sortantes des grandes écoles d’art, voire le nombre d’étudiants abandonnant en cours de cursus sans compter de réels talents pourrissant dans l’antichambre de la reconnaissance.
"L’être humain est piégé dans le cul de sac de l’égo..." BEN
Ben Vautier, grand manipulateur du verbe (je peins avec les mots, dit-il) issu du mouvement Fluxus, conçoit avec lucidité que « tous les artistes travaillent sur leur ego. L’ego, c’est le moteur de la création et de la condition humaine. L’être humain est piégé dans le cul de sac de l’égo. Si je dessine des fleurs, je veux que l’on dise que ce sont les fleurs de Ben ». Logique. L’artiste pense laisser, même sous des rodomontades d’indifférence, une trace indélébile dans l’histoire de l’art. Mais peut-être faut-il faire la différence entre l’égo et l’estime de soi ? Un peu comme si vous me disiez qu’être diplomate n’a rien à voir avec l’hypocrisie. Sans doute. Néanmoins la frontière entre les deux est souvent poreuse. Le diplomate est là pour arrondir les angles dans le but de trouver un compromis alors que l’hypocrite vit de la flatterie en vue de son propre intérêt. Ce qui n’empêche pas la diplomatie et l’hypocrisie de faire parfois bon ménage, mais là c’est un autre sujet. Si l’égo, peu importe que l’on soit dans l’art, la politique ou la finance, se focalise uniquement sur le "paraître" donc l’image de soi avant tout, la provocation et l’agressivité ne sont jamais bien loin. A contrario, l’estime de soi cultive la notion de l’"être". L’artiste, l'être humain, conscient de ses qualités intrinsèques à son travail, de ses valeurs et surtout de ses défauts ou de ses failles qu’il accepte avec flegme et philosophie ne peut en sortir que grandi ; et pour le coup son charisme renforcé d’une aura naturelle et attractive se situe complétement à l’opposé d’un charisme basé sur l’égo ou le « moi je » cherchant à gravir tel un Attila quatre par quatre les marches de l’Olympe.
Pour conclure, j’ai envie de dire que l’estime de soi n’occulte pas l’altruisme et le besoin des autres.
Alors « est artiste qui veut ? ». Qui sait ! Il suffit peut-être de croire en soi…et son prochain.
Harry Kampianne
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