Est-ce que ce monde est sérieux ?
Comment dire la barbarie de la corrida ? Comment restituer la souffrance de l'animal voué à être sacrifié dans l'arène ?
Francis Cabrel a fait le choix judicieux de nous faire entendre les pensées d'un taureau qui s'exprime à la première personne : il personnifie l'animal qui retrouve ainsi toute sa dignité et toute sa noblesse.
Le poète nous fait voir le taureau, au moment même où il va entrer dans l'arène, enfermé, isolé dans une "chambre noire", un lieu effrayant alors que l'animal perçoit des bruits de fête au bout du couloir : le contraste est saisissant entre l'obscurité et la gaieté de l'ambiance créée par les hommes : "on s'amuse, on chante... les fanfares"....
Le contraste est saisissant aussi entre la solitude du taureau et la foule compacte représentée par le pronom indéfini "on" et plus loin par le mot au pluriel : "les fanfares".
L'animal est assailli de sensations, visuelles, auditives, particulièrement intenses : "la chambre noire", puis "le grand jour", le bruit du "verrou", les chants de la foule.
Et tout d'un coup, après une longue attente, le taureau découvre brutalement "le grand jour"...
On entre alors dans les pensées de l'animal, qui évoluent vers la compréhension de la situation : il est acculé, obligé d'avancer dans l'arène et d'affronter cette "danseuse ridicule"...
Le torero désigné par cette métaphore est dévalorisé et rabaissé grâce à l'emploi du féminin. Vêtu de son costume clinquant, il se réduit à une image grotesque.
Dès lors, l'animal n' a plus qu'une solution : avancer, combattre.
La question réitérée : "Est-ce que ce monde est sérieux ?" montre bien l'absurdité de la situation à laquelle est confronté le taureau : des gens qui se réjouissent d'un combat à venir.
L'animal évoque ensuite son pays d'origine l'Andalousie et ses "prairies bordées de cactus"... pour se donner du courage face à l'adversaire désigné encore par des termes péjoratifs : "ce pantin, ce minus".
L'homme est d'ailleurs mis sur le même plan que son chapeau dans l'expression : "lui et son chapeau", il est ainsi ravalé au rang d'objet, méprisable.
Et on perçoit la hargne de l'animal acculé à combattre : "Je vais l’attraper, lui et son chapeau
Les faire tourner comme un soleil..."
Et de rajouter avec une assurance marquée par l'emploi du futur :
"Ce soir la femme du torero
Dormira sur ses deux oreilles..."
Mais le voilà frappé et terrassé par des coups violents, contraint de "s'incliner".
Et à nouveau, l'animal ne comprend pas qui sont ces êtres qui l'entourent : il pose une question dénonciatrice : les toreros sont assimilés à des "acrobates, Avec leurs costumes de papier" et aussi à des "poupées".
Ces métaphores, cette féminisation les discréditent et les ridiculisent à nouveau.
"Ils sortent d’où ces acrobates
Avec leurs costumes de papier ?
J’ai jamais appris à me battre
Contre des poupées..."
Face à la douleur, seul le sable de l'arène réconforte l'animal, ainsi que le souvenir de son Andalousie natale.
On le voit aussi "prier pour que tout s'arrête."
Le dernier couplet met en scène la mort en direct du taureau avec des contrastes poignants qui soulignent la cruauté dont sont capables les humains : le rire, la danse devant la mort.
"Je les entends rire comme je râle
Je les vois danser comme je succombe
Je pensais pas qu’on puisse autant
S’amuser autour d’une tombe."
Le texte s'achève avec ces paroles en espagnol, une invitation à danser encore autour de la mort des taureaux, comme une tradition qui se perpétue inlassablement :
"Si, si hombre, hombre
Baila, baila
Hay que bailar de nuevo
Y mataremos otros
Otras vidas, otros toros
Y mataremos otros
Venga, venga a bailar...
Y mataremos otros
Oui, oui mec
Danse, danse
Faut danser de nouveau
Et nous en tuerons d’autres
D'autres vies, d'autres taureaux
Et nous en tuerons d'autres
Allez viens
Venez, venez danser… "
La mélodie d'abord sombre, ténébreuse restitue bien la cruauté de la corrida, puis elle s'anime au rythme de la fête, et s'emporte pour évoquer l'agonie terrible de l'animal.
Cette dénonciation de la tauromachie met bien en évidence la violence des hommes, leur inconscience face à la douleur, leur mépris du vivant.
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2020/05/est-ce-que-ce-monde-est-serieux.html
Le texte :
https://www.paroles.net/francis-cabrel/paroles-la-corrida
Vidéo :
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