Est-il pertinent de comparer notre présent au régime de Vichy ?
Une seule référence historique semble présenter des points communs avec la gestion de la crise sanitaire : le régime de Vichy. Sans doute, l’invoquer, c’est rappeler des heures dramatiques et d’une autre dimension mais le passé n’est pas sans lien avec la situation présente.
A titre liminaire, je précise immédiatement les termes de l’analogie avec le régime de Vichy : je ne vise que le schéma de pensée, la mécanique intellectuelle qui ont rendu possibles les premières mesures de ce régime, et celles qui suivirent, mais dont l’application se faisait dans la vie quotidienne des Français. Je ne fais pas d’analogie avec les camps, la déportation et l’assassinat de millions d’innocents ; je ne fais pas d’analogie avec la mécanique intellectuelle qui fut celle des concepteurs de l’horreur absolue. Cette précision est importante car il y aurait un grave malentendu à croire que je place sur un même pied d’égalité le Pass sanitaire et les camps, la mécanique mentale de ceux qui ne voient rien à redire à ce Pass avec la mécanique mentale de ceux qui validèrent l’industrialisation de la mort. L’analogie serait douteuse, indécente et non pertinente.
Au demeurant, et sauf erreur de ma part, il ne me semble pas que la comparaison entre le Pass sanitaire et la déportation soit réalisée sur les réseaux sociaux. La stigmatisation d’un individu par le port d’un signe distinctif est hélas ancienne et remonte même au VIIIème siècle. Les personnes qui associent le Pass sanitaire à l’étoile jaune, apparue en 1938 en Allemagne sur les plaques des médecins juifs donc bien avant la déportation, n’entendent pas associer le Pass sanitaire à la déportation dès lors que le principe des marques d’infamie (aux yeux des tyrans) est largement antérieur aux camps de la mort. Le rapprochement du Pass avec une marque d’infamie signifie le rapprochement entre deux objets, deux outils dont l’usage permet de distinguer une population privée de ses droits, du reste de la population. En ce sens, le Pass sanitaire, par ce qu’il recouvre et induit, possède sa part d’infamie. Toutefois, en raison de la symbolique de l’étoile jaune, il me paraît maladroit et malheureux d’associer ce symbole lourd de sens avec un Pass sanitaire, aussi dangereux soit-il.
De la perception abstraite au ressenti concret
Jusqu’à ces derniers jours, je percevais les brimades et humiliations imposées à certains citoyens par le régime de Vichy comme des mesures abjectes certes, mais lointaines. Ce n’est pas la distance temporelle qui sépare mon existence de celles des hommes qui vécurent sous ce régime, ni une absence d’empathie pour les autres, qui expliquent ma perception « désincarnée » de ce passé horrible.
En fait, je percevais et je réagissais à l’évocation des premières mesures mises en place par le régime de Vichy comme on réagit quand on vous parle des malheurs d’une personne que vous ne connaissez pas. On comprend ce malheur mais cette compréhension est intellectualisée : on sait que cette personne a souffert, on sait que cette souffrance est injuste et indigne dans un Etat qui se veut de droit mais cette souffrance est abstraite. Il en va différemment quand le malheur frappe vos proches, ceux que vous aimez et fréquentez et quand ce malheur vous frappe directement. La perception de la souffrance n’est plus intellectualisée. Cette perception devient concrète car elle entaille votre chair.
Ces derniers jours, pour ne pas dire ces dernières heures avec l’avis infâme du Conseil d’Etat, ont rapproché le malheur, la ségrégation, les brimades et les humiliations, de mon être. Pour la première fois de mon existence, je ressens dans ma chair, avec une incroyable acuité, les humiliations quotidiennes des Français rejetés par le régime de Vichy. Au regard de la détresse de millions de gens dans notre pays, il est certain que l'acuité du ressenti de ce que d'autres ont vécu dans le passé est réelle, intense et accablante.
Le régime de Vichy et la gestion de la crise sanitaire : même processus mental à l’œuvre
Il ne faut pas oublier l’histoire, et l’histoire nous montre que l’égarement a commencé par des arrangements avec les libertés et les droits. Le Parlement donne les pleins pouvoir à Pétain pour gérer la crise et Pétain va au-delà de ce qui lui est donné pour écrire - en fait, le Conseil d’Etat - une nouvelle Constitution.
Le régime de Vichy, au quotidien, s’est notamment singularisé par des successions de brimades (interdiction d’accéder à un téléphone), des tracasseries (interdiction de voyager sur le territoire) et des lois immondes (loi du 3 octobre 1940 et loi du 2 juin 1941 portant « Statut » de certains Français ou loi du 22 juillet 1941 sur les « influences néfastes » sur l’économie). Dans sa majorité, la population d'alors s’en est accommodée.
Le procédé mental d’autrefois consistant à valider que les uns n’ont pas les mêmes droits que les autres, en raison des caractéristiques propres à leur personne, est le même processus mental actuellement en cours. Le même mode de raisonnement et d’aveuglement opère aujourd’hui dans la tête de ceux qui mettent en place et acceptent certaines dispositions pour « gérer » la crise sanitaire : interdiction de se rendre dans un café, au restaurant, en terrasse, aux spectacles, dans un train. Sous le régime de Vichy, ces premières brimades se fondaient sur l’origine des individus (juifs ou tziganes), sur leur orientation sexuelle ou sur leur opposition politique. Aujourd’hui, les choses sont plus « simples » : le statut vaccinal délimitera la population en deux groupes avec des droits différents : les vaccinés (multi vaccinés) et les non vaccinés (ou vaccinés une dose). Il est urgent de prendre conscience que ce qui s’amorce aujourd’hui procède des mêmes accommodements d’hier, des mêmes arrangements d’autrefois avec les droits et des mêmes violations des principes éthiques et juridiques qui fondent notre démocratie. Le même aveuglement est à l’œuvre. On accepte de limiter les droits de certains en se fondant sur une idéologie douteuse et non discutable : le tout vaccin expérimental. En acceptant cela, on renie les valeurs de la République et on banalise les lois d’exception sans même se rendre compte de la mécanique enclenchée.
En ce sens, et sur ce point, la comparaison avec les mesures quotidiennes de Vichy sont non seulement pertinentes mais utiles et nécessaires car ne l’oublions pas : certaines mesures de Vichy paraissaient stupides (interdiction de prêter un téléphone à un proscrit, interdiction d’aller au théâtre etc.) mais dans leur stupide médiocrité, elles disaient déjà aux Français de l’époque que les digues étaient tombées : l’ignominie avait quartier libre pour se répandre et prospérer et elle s’est vite répandue pour accéder trop vite à un stade supérieur qui aujourd’hui, certes, ne peut pas être comparé avec la situation présente.
La dissonance cognitive
Bien entendu, certains feindront de ne pas comprendre mes propos pour les caricaturer à outrance et me faire dire ce que je n’ai pas écrit. Pourquoi cette hargne vis-à-vis de ceux qui osent faire une analogie avec le régime de Vichy ? Sûrement parce que l’analogie est pertinente et dérangeante ! Ces mêmes individus, qui aujourd’hui sont parfois à la limite de vous insulter pour empêcher cette comparaison historique, sont les mêmes qui portent, scotché sur leurs lèvres, le fameux « Plus jamais ça » tout en rendant envisageable à terme, et par leur position, le retour de cet ignoble « ça ». Difficile de se targuer d’être un défenseur des libertés et d’agir comme ceux qui, sous le régime de Vichy, ne trouvèrent rien à redire aux mesures quotidiennes et ségrégationnistes, rien à redire à la multiplication des lois d’exception. Il se forme ce que l’on appelle une dissonance cognitive. Ceux qui valident le principe d’une différenciation des droits en fonction d’un statut vaccinal qui n’a rien de sanitaire, ceux qui valident les interdictions d’aller et venir en fonction de votre statut, ceux qui valident les injections obligatoires avec un produit expérimental dont on ne sait rien si ce n’est ce que veut bien en dire son fabricant et ce que nous révèlent les bases de pharmacovigilance ainsi que l’expérience d’autres Etats (Israël ou Royaume-Uni), ceux qui valident les licenciements de ceux qui refusent ce produit expérimental, ceux qui valident que des individus puissent ne pas être soignés à l’hôpital selon leur statut vaccinal, ceux qui valident les contrôles de police à 23 heures et à domicile, ceux qui valident les isolements sans contrôle du juge, ceux-là agissent comme ceux qui validèrent en leur temps, et par leur passivité, les premiers délires du régime de Vichy. Ces gens sont donc en dissonance cognitive et les mettre face à cette dissonance explique la violence avec laquelle ils attaquent ceux qui remémorent aux Français un fragment de leur histoire, fût-il honteux et détestable.
Notre histoire appartient à tous les Français. L’évoquer ce n’est pas insulter les victimes d’hier mais c’est refuser les victimes de demain. Rien ne serait plus outrageant que de laisser aujourd’hui les mêmes procédés et les mêmes lâchetés d’autrefois se mettre de nouveau en place. L’histoire n’aurait donc servi à rien si ce n’est à servir d’étouffoir pour ceux qui veulent en tirer les leçons ?
La situation actuelle est alarmante
Alors oui, je l’affirme, pour mettre en garde et faire prendre conscience à ceux qui valident même passivement les mesures gouvernementales : nous assistons aujourd’hui à des déviances identiques à celles des premières heures du régime de Vichy. Nous sommes face à la même mécanique mentale, faite d’aveuglement et de perte de repères, qui facilita la montée en puissance de l’Etat français. Nous ne devons pas oublier qu’avant l’horreur absolue et sa fuite en avant dans l’inhumanité, le régime de Vichy a habitué les individus à la normalité des exclusions, des brimades et des ségrégations quotidiennes. Nous devons être capables de repérer la répétition des mêmes travers et accommodements intellectuels qui, quelle que soit leur époque, ouvrent des brèches au crime et nous conduisent toujours vers un avenir certes inconnu - tout ne se répète pas à l’identique - mais dangereux, car les renoncements aux droits sont toujours fatidiques.
La situation actuelle doit nous alarmer car le Conseil d’Etat, et alors même que l’un des rapporteurs de l’avis du 19 juillet 2021 est par ailleurs un élu sous étiquette LREM - la déontologie, la neutralité et une certaine forme de conscience morale auraient dû conduire ce conseiller d’Etat à ne pas participer à la rédaction de cet avis - écrit que « le projet de loi soulève des questions sensibles et pour certaines inédites qui imposent la recherche d’une conciliation délicate entre les exigences qui s’attachent à la garantie des libertés publiques et les considérations sanitaires mises en avant par le Gouvernement » (page 2/19 de l’avis du Conseil d’Etat) et souligne que l’extension du Pass sanitaire, « en particulier lorsqu’elle porte sur des activités de la vie quotidienne, est susceptible de porter une atteinte particulièrement forte aux libertés des personnes concernées ainsi qu’à leur droit au respect de la vie privée et familiale. » (page 6/19 de cet avis). L’invocation de la violation directe de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est même pas cachée par le Conseil d’Etat.
L’heure est grave car les mesures adoptées le sont sur des contresens scientifiques, des modélisations aux postulats de base discutables, des données erronées et la négation d’une grande partie de la réalité du terrain.
Ces mesures sont liberticides et ont pour effet de créer au sein du Peuple français un sous-groupe qui ne disposera plus des mêmes droits que les autres. Les personnes sans Pass sanitaire, sans QR code seront demain qualifiées d’infâmes et très certainement désignées comme responsables des échecs de la désastreuse politique du Gouvernement. Les principes fondamentaux de notre République sont mis entre parenthèses par des individus qui se comportent de manière identique à ceux qui validèrent sans sourciller les mesures discriminatoires du régime de Vichy.
L’heure est grave car un processus dangereux s’amorce et nul ne sait jusqu’où cela va aller. La comparaison avec Vichy est donc pertinente et utile, à condition de bien circonscrire les termes de cette comparaison et donc de ne pas comparer des situations qui ne sont pas (encore) comparables.
Compléments :
- L’illustration de cet article est un extrait de la une du quotidien Le Journal paru le Mercredi 20 août 1941.
- Pour ceux qui veulent aborder l'époque de Vichy sans entamer un essai ou un livre d’histoire, je vous conseille deux auteurs :
- Emmanuel Bove, deux ouvrages écrits en 1945/1946 : Départ dans la Nuit et Non-Lieu ;
- Pierre Nord, dans une tonalité plus de roman d’espionnage, deux ouvrages basés sur des témoignages d’époque et rédigés par un résistant : Vrai Secret d’Etat et Un Homme a trahi.
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