Et l’Histoire continue
Avec la fin de l´Union Soviétique et la défaite de l´idéologie communiste, les chantres du capitalisme américains sautèrent de joie. Leur triomphalisme pourrait être traduit par une simples phrase d´Irving Kristol, le fondateur du néo-conservatisme : « Nous avons gagné, ils n´existent plus ! » En Russie, une criminocratie composée par des organisations extrêmement dynamiques, avec de fortes liaisons à l´appareil d´état détrôné, conquérait toutes les institutions de l´État. Comme une lame de fond, ce nouveau pouvoir né dans les décombres de la nation détruite, fit main-basse sur les richesses d´une économie encore puissante, s´appropriant les matières-premières et les principaux secteurs productifs. Centaines de milliers de russes périrent de faim pendant la décennie qui suivit la chute du régime communiste. L´occident accueillit, les bras ouverts, la “nouvelle démocratie » et, rapidement l´initia aux vertus du néolibéralisme. Les criminocrates et les « démocrates » capitalistes s´associèrent pour gérer, au mieux, leurs intérêts communs. Le communisme et les menaces de la guerre froide éloignés, l´idéologie néolibéral envahit les territoires du défunt empire, anxieuse pour conquérir de nouveaux marchés.
À la fin des années 80, le néolibéralisme était encore un jeune apprenti dans le panorama des idéologies. Zbigniew Brzezinski qui avait été le conseiller du présidente Jimmy Carter en sécurité nationale, ne le considérait pas comme une idéologie, d´ailleurs, c´est lui qui parraina la thèse de la fin des idéologies. La nouvelle civilisation méritait, selon lui, une autre désignation, un nom plus pompeux. On était en pleine révolution électronique conduite par l´Amérique et il voyait dans le pouvoir de la nation américaine l´avènement de la « première société global » de l´ histoire. Il l´appela la civilisation technétronique. Mais le néolibéralisme faisait irruption dans le monde, poussant devant lui « l´éblouissante » mondialisation et rien ne semblait capable de lui faire face. Travestie en religion de l´individualisme consommiste, l´idéologie de toutes les « libertés capitalistes » installée aux portes du nouveau siècle assurait, en sourdine, la continuation de l´histoire et de son sempiternel processus d´exploitation et d´oppression des peuples.
Pour l´idéologue américain, Francis Fukuyama, l’histoire était arrivée à sa fin. Dans un article, publié en 1989, sous le titre “La fin de l´Histoire”, il avançait l´idée que le capitalisme et la démocratie libérale constituaient le point le plus haut de l´évolution de l´humanité, le perfectionnement possible dans la gouvernation des peuples. Tous les autres systèmes idéologiques ou philosophiques, anciens ou récents pourraient être jetés à la poubelle de l’histoire. Avec la fin de celle-ci, il ne manquait plus que la résurrection des morts et l´ascension au paradis d´un dieu néolibéral. Mais, l´histoire poursuivit son chemin, jalonnée de conflits destructeurs de l´humain.
Contrariant les balivernes de Fukuyama, le néolibéralisme est l´éternel recommencement de l’histoire. Son terrifiant message s´inscrit dans la ligne droite de tous les totalitarismes qui dévastèrent l´humanité. Rien ne le différencie du nazisme, du fascisme et du stalinisme. Mêmes méthodes, mêmes fins.
Analysant le néolibéralisme, dans son livre “Géopolitique du Chaos”, I. Remonet écrit : "La répétition constante, en tous les médias, de ce catéchisme, par presque tous les politiciens aussi bien de droite comme de gauche, lui confère un tel pouvoir d´intimidation qu´il empêche toute tentative de réflexion libre et rend très difficile la résistance contre ce nouveau obscurantisme. C´est choquant de voir à quel point, une période d´agitation, de crises économiques et de dangers de tout genre, comme celle que nous vivons, puisse s´accompagner d´un consensus idéologique aussi écrasant, imposé par les medias, par les sondages et par la publicité, grâce à la manipulation des signes et des symboles et un nouveau contrôle des esprits. »
Cette idéologie n´est pas un simple prolongement du capitalisme industriel qui s´affirma et régna entre le début de la révolution industrielle et le début de la révolution technologique. Véritable synthèse des idéaux qui, depuis toujours, cimentent le comportement prédateur de la supra élite américaine, l´aristocratie des banquiers, industriels et politiciens, il est, en vérité, un système idéologique d´exploitation et d´oppression conduit par les agents fondamentalistes des marchés libres. Son programme, élaboré par le FMI et la Banque Mondiale, d´après un mémorandum de l´économiste anglais John Williamson, fut défini dans un document connu comme le Consensus de Washington. Il préposait (en théorie) des mesures d´ajustement macroéconomique pour les pays fragilisés par des dettes publiques trop élevées. Ce document finira par devenir, à partir de la fin des années 70, la sainte bible de la mondialisation marchande et financière. Le président Ronald Reggan, aux États-Unis et dame Thatcher, au Royaume-Uni se rendirent, sur-le-champ, à ses charmes. En Europe, l´Union Européenne, (commission, parlement et technocrates) obligea tous ses pays membres à se prosterner devant le nouvel impérialisme. À l´instant où les gouvernements européens acceptèrent d´effacer les derniers vestiges de sa spécificité : souveraineté, liberté, solidarité, les États-nation devinrent, en somme, des états fantoches, vassaux du Pouvoir Privé Global.
Beaucoup de pays de l´Amérique latine furent victimes du Consensus. En 1980, les statistiques concernant la pauvreté, signalaient l´existence de 120 millions de pauvres dans cette région du monde. En 1999, après l´intervention des deux institutions FMI et la Banque Mondiale, ce chiffre dépassa les 220 millions de personnes, c´est-à-dire 45 % de la population ! Chemins de fer, télécommunications, compagnies d´aviation, entreprises publiques d´eau et électricité tombèrent sous la loi des privatisations et vendues au rabais aux entreprises américaines et européennes. Les dépenses publiques, santé, éducation, logement, appuis sociaux cessèrent de figurer dans le budget des États. Des millions de travailleurs rejoignirent les interminables files de chômeurs. Les plus chanceux eurent leurs salaires congelés. Selon l´Organisation International du Travail, 84% des emplois créés, soumis aux nouvelles normes de travail, étaient précaires ou mal rémunérés.
Le néolibéralisme attire et agglutine dans une masse informe, anonyme, les intérêts de banquiers, d´actionistes du capital financier, d´investisseurs, spéculateurs, délinquants de l´évasion fiscale et de la corruption, cadres politiques, hauts fonctionnaires gouvernementaux et oligarques du crime. À une logique sociale, naturellement établie sur des règles d´équité et de justice, il oppose la logique économiciste.
Sa première action de grande envergure internationale, inspirée par les « penseurs » du FMI et de la Banque Mondiale, à laquelle ne manqua pas la bénédiction de l´administration Nixon, eut lieu au Chili, en 1973, avec le coup d´état des forces fascistes commandées par le général Pinochet. En mettant fin à la gouvernation démocrate du président Salvador Allende, (assassiné aux premières heures de l´attaque) le dictateur chilien offrit la nation aux États-Unis. Ce fut la grande opportunité pour des idéologues du néolibéralisme comme Milton Friedman et ses acolytes de l´école de Chicago, de mettre en pratique leurs théories. L´oppression sanguinaire qui suivit la chute d´Allende - l´assassinat en masse de ses militants et sympathisants – éradiqua la démocratie dans ce pays pendant des décennies et ouvrit les portes aux multinationaux qui pillèrent le patrimoine national et les entreprises publiques.
Depuis ces temps-là le néolibéralisme poursuit, imperturbable, sa stratégie idéologique : soumettre les États, les privatiser, contrôler tous ses secteurs productifs, sans exception : industries, matières-premières, biens alimentaires, ressources naturelles, biens et services publics. Son objectif, dominer le monde. Il aura, entretemps, fait fonctionner la machine du chômage et jeté des millions d´êtres humains dans les bidonvilles misérables des grandes mégapoles.
Après avoir consolidé et institutionnalisé son programme, il se chargera de détruire, dans les citoyens, tous les systèmes et structures mentales de défense et de révolte, d´effacer dans la mémoire de l´humain, les symboles de la liberté et de la dignité. Établissant sa doctrine sur une phrase, apparemment inoffensive, « libération total des forces du marché », le néolibéralisme n´effraye pas, ne provoque pas de la méfiance et pourtant, dans l´histoire des peuples, aucune autre idéologie n´acquit une aussi grande capacité de domination et d´exploitation des sociétés humaines.
Les règles néolibérales composent le catéchisme idéologique des temps modernes. Dans ce catéchisme il n´y a rien d´écrit sur les droits de la personne humaine, sur la générosité et la compassion, sur la solidarité et le partage, sur l´harmonie entre les gens et entre les nations, sur la valeur de la culture, de la tolérance et de la préservation de l´environnement. Dans ses pages, il n´y a pas une seule phrase sur la faim qui ravage des populations entières, sur les milliards d´habitants des bidonvilles, sur les plus d´un milliard et demi de personnes définitivement marginalisés par le chômage et par la pauvreté.
Le néolibéralisme, en ayant redéfini les grandes lignes du nouvel Ordre Mondial, s´attribua tous les droits sur l´ humain et la nature. Comme une vague monstrueuse, il avance sur les nations et rien ne semble pouvoir l´arrêter. Pourtant, on commence à distinguer une petite lumière d´espoir qui, obstinément, s´emploie à éloigner les trêves qui couvrent le monde. Des peuples, ici et là, ouvrent des espaces à la révolte et dessinent des scénarios possibles pour une future réorganisation des sociétés humaines, hors du néolibéralisme et de la mondialisation.
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