Et si l’incendie de Notre-Dame de Paris était une apocalypse (révélation) lumineuse ?
Stupeur, tristesse et révolte furent les premiers sentiments communément ressentis face à l’incendie de Notre-Dame de Paris.
Au-delà des mystères à élucider, notamment de l’incroyable rapidité de développement du feu, ce grave événement a peut-être un sens caché ; il est possiblement la manifestation d’une attente, d’un désir d’accomplissement, d’une libération. Car les monuments sont éloquents. Ils nous parlent ; parfois ils crient.
« En toi, eau, feu et cendre… » crie le « fou » Domenico avant de s’immoler par le feu dans le film Nostalghia de Andreï Tarkovski.
Notre-Dame, elle, qu’a-t-elle voulu nous signifier ?
- © BERTRAND GUAY AFP
Ce lundi 15 avril 2019, à l’orée de la semaine sainte, pour la première fois depuis sa naissance, la cathédrale Notre-Dame de Paris a subi une terrible épreuve du feu. Elle n’est plus abritée par sa « forêt » de 1300 chênes datant des XIIe et XIIIe siècles, sa charpente, dont chaque poutre provenait d’un arbre différent. Sa toiture de plomb s'est effondrée dans la nef, le transept et le choeur. Enflammée, sa flèche a chuté sur la nef, transperçant bien des coeurs.
Impuissants, des millions de spectateurs ont fixé les yeux sur ce spectacle inouï du flamboiement d’un immense monument, admirant la beauté jusque dans l’horreur, comme dans un tableau de William Turner. (Voyez comment la terre, l’eau et le ciel s’embrasent dans l’Incendie à Constantinople, ou dans les incendies du Palais de Westminster peints par cet artiste de la lumière).
Le brasier dura toute une nuit, tel un extraordinaire plan-séquence d’un film d’Andreï Tarkovski, Sacrifice et Nostalgie réunis, célébrant le feu et l’eau.
Sur les causes du sinistre, nous savons d’ores et déjà que nous ne saurons rien ou pas grand chose. Erreur humaine ? Défaillance technique ? Une première alerte a été donnée dès 18h20 mais aucun départ de feu n’a été détecté. La seconde alerte, à 18h43, a permis le constat d’un feu au niveau de la charpente.
L’enquête sera longue et très difficile vu que les preuves matérielles ont été ravagées par la fournaise, aspergées par des tonnes d’eau et ensevelies sous des monceaux de déblais. Cinquante enquêteurs sont mobilisés pour tenter de décoder les origines de l’incendie, sachant que l’on ne retrouvera probablement aucun indice parmi les décombres. Pour l’instant, les policiers de la brigade criminelle n’ont pas accès au monument en raison de ses vulnérabilités. Le ministre de la culture a annoncé aujourd’hui qu'un risque d'effondrement de trois points sensibles n'est toujours pas exclu. Sont particulièrement fragilisés le pignon du transept nord, le pignon occidental, celui entre les deux tours, et l'angle du beffroi sud. Un risque pèse également sur la voûte. La stabilité du beffroi Nord pose question aussi, paraît-il. L’urgence est donc à la sécurisation des lieux et, tant que les architectes et les pompiers n’auront pas donné leur accord, il n’y a aura pas de constatations ni de prélèvements sur place.
Espérons que l’énigme de la vitesse de propagation de l’incendie sera résolue à terme. C’est vraiment le point stupéfiant du drame que l’on aimerait comprendre et qui fait déjà l’objet de débats d’experts.
Suite à la remarquable action des pompiers, les compétences des spécialistes du patrimoine sont maintenant requises. Tous les corps de métier de la restauration des monuments historiques ont du pain sur la planche…
Miracle, les moyens financiers semblent acquis. Un milliard d’euros de dons promis en moins de 48 heures, cela laisse pantois. Le trésor primordial à restaurer aujourd’hui étant la Terre, avec toutes les espèces animales et végétales qui sont rayées de sa surface, on aimerait voir se déployer une telle ferveur financière en faveur du patrimoine naturel à préserver. Certes, ces joyaux-là ne contribuent pas comme la cathédrale à l’économie du pays, ils n’attirent pas 14 millions de visiteurs par an, et ne participent donc pas à l’image de la capitale et de la France et des entreprises de luxe qui y prospèrent.
Mais ne sont-ils pas aussi « l’incarnation de notre âme commune » selon l’expression de François Cheng ?
Notre-Dame de Paris nous invite aujourd’hui à une apocatastase, à l’apokatastasis pantôn, un rétablissement du Tout, une restauration universelle.
Les catholiques pratiquants sont heureux de constater qu’il reste l’essentiel, ce qui leur est nécessaire pour célébrer : la croix, l’autel, la statue de la Vierge, l’orgue et la rosace qui soutiennent la prière. (Toutefois, l’orgue est entièrement à nettoyer et à restaurer, nécessitant dépose et repose, un travail de Titan !).
Réjouissons-nous surtout de la sauvegarde des deux tours et de la façade occidentale ! Avec son jeu de lignes verticales et horizontales, Notre-Dame écrit un H majuscule, gravé dans l’espace et le temps, dont le maintien est hautement symbolique.
La lettre H est la septième lettre de l’alphabet grec. On la retrouve dans les noms Hélios (le Soleil), Héphaïstos (dieu du feu), Hermès (le messager des dieux), Hypérion (dieu de la lumière céleste) , également dans le mot hiérophante (prêtre qui initie aux mystères du sacré) et dans le monogramme du Christ IHS. La lettre H symbolise aussi l’échelle des sages.
La forme extérieure des cathédrales a l’aspect d’un H, ainsi Notre-Dame de Paris.
Tous ces H nous parlent de la lumière de l’Esprit et du Soleil. Le H signifie l’esprit élargi, libéré.
Et puis, H c’est aussi :
H comme Histoire de France.
H comme Héros (les « oeuvriers » qui ont construit le monument, les pompiers qui l’ont sauvé…).
H comme Hommes, parce que cette Maison est la demeure de tous les humains, indépendamment des divisions religieuses et des fractures sociales.
Parce qu’il est temps de nous tenir droit comme des H majuscules, libérés de nos peurs et des dogmes.
Rien de tel que la crainte de la perte pour se rendre compte de l’importance d’un être cher. Lundi soir, déistes et athées se sont crus abandonnés par leur Mère, la Mère cosmique. Notre-Dame a été personnifiée comme jamais, on venait se recueillir et pleurer à son chevet comme à celui d’une personne agonisante.
Alors poussons ce jeu de la personnification…
Imaginons que Notre-Dame est très lasse d’être considérée comme un super produit touristique, comme un outil de marketing territorial et politique, un symbole du pouvoir.
Le départ du feu restant mystérieux, imaginons que Notre-Dame s’est immolée, qu’elle a souhaité brûler en solidarité avec notre Maison qui brûle, qu’elle a détruit sa « forêt » pour accompagner toutes les forêts détruites par des hommes insensés.
Imaginons qu’elle a fait fondre son couvercle de plomb pour se réouvrir au bleu du ciel et à la lumière, souhaitant se remémorer comme lieu d’une cérémonie consacrée au Logos solaire, dans un rituel qui unit la Lune au Soleil, où le corps et l’esprit ne font qu’un.
Imaginons qu’elle a voulu rappeler que les cultes anciens se célébraient dans les forêts, en pleine nature, puisque « La Nature est un temple » (cf. Baudelaire), ce que représentent les piliers élancés de nos cathédrales, avec leurs chapiteaux sculptés de feuilles et de nervures.
En contemplant tristement le spectacle magique de la cathédrale en flammes, je pensais aux milliers d’hommes qui ont travaillé à son édification et à sa conservation au cours de siècles depuis la pose de la première pierre en mars 1163, inaugurée par le pape Alexandre III.
Je pensais aussi aux millions d’hommes et de femmes qui y ont prié, qui y ont pleuré. Tout cela forme un gigantesque égrégore, une forme pensée très puissante et cette pensée s’exprime peut-être aujourd’hui pour nous rappeler des choses essentielles.
Je pensais à Nostalghia, le sixième et avant-dernier film de Tarkovski, à la scène où Domenico s'immole par le feu sur la place du Capitole, après avoir prononcé un long discours devant un auditoire de badauds.
En substance, voici les derniers mots criés par le « fou » Domenico avant de s’immoler par le feu :
« Quel aïeul parle en moi ? Je suis capable de me sentir une infinité de choses à la fois. Il n’y a plus de grands maîtres, voilà le vrai malheur de notre temps. Le chemin de notre coeur est obscurci. Il faut écouter les voix qui semblent inutiles dans les cerveaux encombrés par les canalisations des égouts, par les murs, par l’asphalte et les paperasses administratives. Il faut prêter l’oreille au bourdonnement des insectes. Il faut emplir nos yeux et nos oreilles de choses qui soient le début d’un grand rêve. Quelqu’un doit crier « nous bâtirons des pyramides » ! Peu importe si nous ne les bâtissons pas, il faut nourrir le désir et étirer notre âme dans tous les sens comme un drap. Si vous voulez que le monde aille de l’avant, nous devons nous donner la main. Tous les yeux de l’humanité sont tournés vers l’abîme où nous allons basculer. Les prétendus normaux ont mené le monde au bord de la catastrophe. Homme, écoute. En toi, eau, feu et cendre. Les os dans la cendre.
Où suis-je quand je ne suis pas dans la réalité ni dans mon imagination ?
Un fait nouveau, qu’il y ait du soleil la nuit et qu’il neige au mois d’août. Les grandes choses finissent, ce sont les petites qui durent. La société doit s’unir à nouveau, cesser d’être aussi morcelée. Quand on observe la nature, on comprend que la vie est simple. Il faut revenir en arrière, là où vous vous êtes engagés sur la mauvaise voie. Il faut retourner aux fondements essentiels de la vie. Sans salir l’eau. Dans quel monde vivons-nous si un fou doit vous dire que vous devriez avoir honte ? ».
En écho, que nous dit-elle notre vieille et vaillante Dame de Paris ?
Je suis millénaire, j’aspire à un renouveau, à sortir la conscience humaine de son apathie.
Mettez le feu à l’étincelle en vous. Enflammez-vous ! Brûlez intérieurement. Pour aller de l’avant.
Pascale Mottura
18 avril 2019
- Lumière et couleur, le matin après le déluge, Moïse écrivant le livre de la Genèse par William Turner, 1843
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