Et si on recyclait l’Hadopi pour éradiquer les paradis fiscaux
La vie privée serait-elle moins importante à préserver que le secret bancaire ? Heureusement, la Hatopif va faire le ménage dans les capitaux “pas propres” et mettre tout le monde d’accord.

L’évasion fiscale, le blanchiment de commissions occultes, ou tout simplement les petites faveurs que les grands de ce monde ne manquent pas de s’échanger via des comptés numérotés, c’est au moins aussi grave que le pillage généralisé des œuvres sur internet. Non ? Allez, un peu d’effort et on va enfin faire le ménage dans cet « espace de non droit », ce « régime du laissez faire », ces « incitations inacceptables aux transactions frauduleuses » : des termes que l’on entend depuis des années dans le camps des ayants droits de « l’industrie culturelle » pour parler des pirates du Net, mais pas vraiment dans le camps des redresseurs de torts de la finance internationale.
Car sur le secret bancaire et les paradis fiscaux et judiciaires, tout va changer : Sarko et Merkel se rabibochent pour monter au créneau et « lézarder le secret bancaire » (Le Monde, 14 mars). Objectif : gesticuler avant la réunion au sommet du G20 le 2 avril, où c’est promis, cette fois, les écuries d’Augias du capitalisme pourri vont pouvoir être passées au kärcher. Comme dirait l’autre.
Alors reprenons le principe de l’Hadopi pour juguler les transactions occultes. L’Hadopi, vous savez, c’est la haute autorité qui va donc, sans l’aval d’un juge, réprimander les internautes jusqu’à les sanctionner d’une coupure totale de leur connexion internet. Appelons le nouveau truc « Hatopif », pour « Haute autorité pour la transparence des opérations et la prévention des infractions financières » (tiens, c’est joli ça « Hatopif »). Un machin qu’on pourra lacer sous l’égide de l’OCDE, du FMI ou de l’ONU, peu importe.
Alors ensuite, c’est tout simple : on ne réprime pas, l’Hatopif ira juste « avertir » les présumés fraudeurs qu’ils n’ont pas identifié un virement douteux. Par mail sécurisé ou lettre recommandé. Par exemple un juge demande à une banque suisse les relevés et l’identité d’un compte numéroté. Au bout d’une semaine sans réponse, première lettre « d’invitation à coopérer », avec obligation de réponse motivée sous 10 jours. Au bout de ce délai, second avertissement, avec, cette fois, une première amende — sous forme, pourquoi pas, d’une taxe supplémentaire sur le chiffre d’affaires de l’établissement, ou d’une augmentation, même minime, de l’impôt sur les sociétés ; ou bien, pour les cas où cet impôt n’existe pas (ah bon des fois ça n’existe pas ?), ce serait l’occasion de le créer (même aux Îles Caïman, si si).
Ensuite si personne ne répond à l’Hatopif, et bien alors, oui, la sanction ultime — mais vraiment ultime, hein, l’accès à un compte en banque est un droit de l’Homme, alors mollo ! — serait donc de couper l’internet ou le téléphone, enfin tout ce qui permet à une banque ou une société d’effectuer un virement à distance ; au pire, on leur coupera l’électricité, c’est pas bien grave vu que la plupart du temps, dans les centres off-shore il n’y a pas de bureaux mais que des boîtes aux lettres, alors couper l’électricité à une boite aux lettres…
Seulement voilà, pour que ça marche, il faut d’abord obliger toutes les banques à identifier leurs transactions, comme un internaute doit bien se plier au protocole internet et laisser en clair son adresse IP ; il faudra aussi que ce soit au banquier, le pauvre, de prouver qu’il ne s’est pas fait pirater sa connexion ou ses ordres de transaction, des fois que des mafieux s’amusent à usurper des identités pour cacher leurs méfaits. Car c’est exactement ce que l’on va créer pour lutter contre la “piraterie du net” : suivre chaque utilisateur à la trace. Alors pourquoi ne pas rendre obligatoire une traçabilité et l’interdiction de l’anonymat sur les transactions financières ? Bon, on imagine que des boîtes comme Clearstream pourraient donner un coup de main en fournissant des listing détaillés sur chaque virement, surtout ceux effectués entre les entreprises et des comptes anonymes. Mais ayez confiance : ils savent faire chez Clearstream, et ils n’ont rien à cacher — n’est-ce pas Denis ?
Bon, il y a du boulot : les centres off-shore hébergent, selon l’OCDE, 400 banques, deux tiers des 2000 fonds spéculatifs (hedge funds), et pas moins de« 2 millions de sociétés écran ». Représentant 10.000 milliards de dollars (en euros ça fait moins peur : 8.000 milliards) d’ « actifs financiers dissimulés ». Et ah oui, le plus important : l’Hatopif pourra compter sur les grands patrons copains du président, les barons du CAC 40, car ils connaissent bien la tambouille : 100% des 40 plus grosses boîtes françaises possèdent des filiales dans des « paradis fiscaux ou judiciaires » (dixit l’enquête du 9 mars d’Alternatives économiques).
Alors, mame Lagarde, msieur Sarkozy, mame Merkel, ça vous tente, l’HATOPIF ? Il suffit de considérer que le secret bancaire n’a pas plus de légitimité à être préservé que le secret « individuel », qu’on appelle aussi dans certaines contrées le « droit à la vie privée », et ça devrait passer comme une lettre à la poste. Car si vous êtes prêts à instaurer, pour des questions de droits de produire de la musique ou des films, un régime totalitaire sur l’internet, vous arriverez sans problèmes à convaincre vos copains banquiers et barons du capitalisme qu’un système qui permet de frauder le fisc tout en permettant à la corruption de prospérer, au nom d’un droit aussi désuet que le « secret bancaire et judiciaire », ça ne peut plus durer !
Source : numerolambda
Photos : Les Amis de la terre.
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