Et si Tsipras avait déjà gagné ?
Si le oui l'emporte ça sera une défaite pour Alexis Tsipras et tout rentrera dans l'ordre nous dit-on. Et pourtant...
Vendredi, et pour la première fois depuis l’annonce de la tenue du référendum, le oui est apparu en tête dans un sondage. Selon ce dernier le oui devance désormais le non d’un peu plus d’un point à 44,8% contre 43,4. L’autre enseignement principal de ce sondage est que près de 12% des Grecs sont encore indécis et ne savent pas s’ils voteront oui ou non ce dimanche. Faut-il y voir l’effet de la campagne médiatique et politique menée par les institutions européennes et certains médias grecs visant à faire peur aux Grecs en leur promettant le chaos si le non sortait vainqueur ? Certainement.
Ce resserrement entre les deux positions-dimanche dernier le non était encore donné largement gagnant dans les sondages (entre 60 et 70%)-réjouit d’une part les tenants de la rigueur et d’autre part les contempteurs d’Alexis Tsipras. Ceux-ci vont même jusqu’à réclamer la démission du Premier ministre grec en cas de victoire du oui. Martin Schulz a, par exemple, appelé à la mise en place d’un gouvernement de technocrates à partir de lundi en cas de victoire du oui au référendum qui constituerait selon lui un cinglant revers pour le leader de Syriza. Et pourtant, à y regarder de plus près, quel que soit le résultat du référendum, Tsipras semble avoir déjà gagné plusieurs batailles.
La tenue du référendum ou l’UE qui rejette la démocratie
Quand Tsipras a annoncé la tenue d’un référendum à propos du plan de mesures proposé par la Troïka, les grands pontes de l’Union Européenne, Jean-Claude Juncker en tête, ont accueilli avec sévérité et réprobation cette décision du gouvernement grec. A les entendre, Tsipras dévoierait la démocratie en mettant en place ce référendum. N’entend-on pas certains dire que le gouvernement grec se défausserait sur ses citoyens ? Pourtant, la démarche de Tsipras est hautement démocratique : élu pour appliquer un programme que l’UE souhaite empêcher, il retourne devant ses citoyens pour ne pas renier ses promesses.
Plus grave encore, comme l’a si bien expliqué Frédéric Lordon dans son article « L’Euro ou la haine de la démocratie », les institutions européennes refusent finalement le droit aux Grecs de décider de leur destin. On peut voir cette pratique perverse à l’œuvre dans l’odieuse campagne menée par les dirigeants européens pour effrayer les Grecs et les pousser à voter oui en leur promettant le chaos dans le cas contraire. Michel Sapin a par exemple affirmé qu’il « ne [savait] pas discuter avec quelqu’un qui disait non ». Belle preuve d’ouverture et de démocratie de la part d’un ministre de l’économie censé être socialiste et donc censé comprendre ne serait-ce qu’a minima les revendications de Tsipras.
OXI ou NAI, plus rien ne sera jamais comme avant
En réalité, quelque soit le résultat du référendum, Tsipras a déjà fait bouger les lignes. En faisant campagne contre l’austérité, il n’avait rien inventé de nouveau puisque dans de nombreux pays de tels partis ont vu le jour. Ce qui change avec Syriza, c’est que ce parti (ou plutôt cette coalition) est allé au bout de la logique. Le gouvernement grec a osé dire « stop, ça suffit maintenant les choses doivent changer ». Cette détermination à aller au bout de sa logique, c’est bien la là différence portée par Tsipras. Rappelons nous, en effet, que Geórgios Papandréou avait, lui aussi, voulu passer par la voie référendaire en 2011. Il avait alors été débarqué comme un malpropre par Sarkozy et Merkel.
Comme le remarque très justement l’essayiste Coralie Delaume dans une interview accordée au Figaro : « En réalité, c'est la tenue du référendum elle-même qui représente un tournant. Elle rend caduque l'idée selon laquelle il n'existe aucun choix possible au sein de l'Union européenne. Elle prouve par les faits que, même seul, même sans allié au sein de l'UE, le gouvernement d'un petit pays peut tenir tête. On imagine aisément ce que ça pourrait donner si, demain, le gouvernement d'un grand pays de l'Eurozone se mettait à vouloir exercer, lui aussi et pour de vrai, le pouvoir qu'il a reçu des urnes. Bref, Jean-Claude Junker s'est fourvoyé : les citoyens ont encore le choix. Il y a un choix démocratique possible même dans le cadre des traités européens ».
Le début d’un soulèvement des peuples ?
Alors que l’on pensait que les Grecs seraient livrés à eux-mêmes et que la question du référendum ne déchainerait pas les passions dans les autres pays de l’UE, force est de constater que les différents peuples européens se sentent concernés par cette question. Plus intéressant, loin d’être exaspérés par la « fainéantise des Grecs et leur incapacité à se réformer », beaucoup de personnes se sentent solidaires du peuple grec. Peut-être que ce qui explique cela est le sentiment que si le système continue de fonctionner tel qu’il fonctionne aujourd’hui le sort des Grecs sera demain celui des Espagnols et après demain celui des Français.
L’initiative de financement participatif lancée par un jeune britannique témoigne de cette solidarité qui se met en place à l’échelle des citoyens européens. Il est d’ailleurs amusant de constater que le deuxième pays qui a le plus contribué à cette quête est l’Allemagne. Quand certains nous décrivent des Allemands à fond derrière Merkel pour faire payer ces salauds de Grecs, la réalité est toute autre.
Alors peut-être que le oui l’emportera grâce à la campagne menée par les créanciers et fondée sur la peur, peut-être que Tsipras sera contraint à la démission par un résultat qui lui sera défavorable. Mais pour autant, cela ne voudra pas dire qu’il a perdu. Tous ceux qui rêvent d’une réorientation de l’UE, de la mise en place d’une Europe plus sociale et d’une autre voie peuvent donc remercier chaleureusement Tsipras de leur avoir ouvert la voie. A nous de ne pas laisser cet espoir périr.
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