Et voilà la parole dans la ville
Ils sont debout dans la ville, ils ne se connaissent pas, ils se parlent. Nous sommes sur l’esplanade à Montpellier le samedi 17 mars. Il y a comme ça quatre ou cinq petits groupes distants de quelques mètres les uns des autres. Dans chaque groupe de deux, trois ou quatre personnes, rarement plus, il y a une personne avec un carnet et un crayon dans la main et qui note.
On peut lire les phrases dites par les passants
Entre deux platanes une ficelle est tendue. Sur la ficelle sont accrochés avec des pinces à linge des panneaux de couleur sur lesquels ont peut lire des phrases. Ce sont celles qui ont été recueillies sur les carnets. En dessous de la corde à linge, passant d’un arbre à l’autre, un film alimentaire transparent sert de support à un artiste grapheur qui dessine en noir des silhouettes de personnes marchant sur une route. A gauche un autre artiste réalise un tableau posé sur un chevalet. Là aussi des personnes qui marchent, dans le désert on imagine. A quelques mètres de là, des passants se sont arrêtés. Ils lisent, ils se parlent…
Preneurs de notes et scribes
Discrète, mais essentielle, une logistique est là qui anime l’ensemble. On a vu les preneurs de notes avec leurs carnets, voilà maintenant les scribes. Elles sont assises sur les bords de la fontaine à quelques mètres des preneurs de notes, armées de feutres de différentes couleurs. Sur les panneaux agrafés à des supports en carton, elles reportent très lisiblement et sans fautes, les phrases notées sur une page de carnet et apportée en mains propres par la personne qui les a dites.
Au cœur du dispositif, la question posée
La récolte à été bonne, plus de 60 « pépites » ramassées en deux heures et demie et exposées à la lecture de toutes et tous. Travail effectué par une douzaine de militant des droits humains, 60 textes brefs, concis, dits spontanément par des passants qui ne pensaient pas faire ça ce jour là et qui se sont incroyablement bien prêtés au jeu. Au centre de toute l’opération, une clé de voute sur laquelle tout repose, en fait une question née d’un grand débat : « On dit souvent que partir à l’étranger c’est bien, vous en pensez quoi ? » Cette question, elle est écrite sur quatre panneaux, blancs ceux-là et tout autour on peut lire les réponses des passants.
« Il faut être humain pour partager »
« L’homme est un nomade par nature et cela depuis la nuit des temps » Hugues 56 ans, « Il faut du courage pour quitter son pays et se déraciner mais il en faut aussi pour rester dans un pays en guerre » Mariane 35 ans. « Ça permet de se découvrir et de découvrir de nouvelles cultures, de grandir tous ensemble avec nos différences et nos similitudes » ont dit Lila et Imane 23 et 24 ans. « Je suis arrivée en France j’avais 18 ans. Je n’ai jamais regretté, j’ai appris le français, c’était difficile au début. Mais il y a beaucoup de cultures ici et dans le village les gens m’ont accueillie. Il faut être humain pour partager. » Oum Nawfeh 46 ans. « Nous les Pieds Noirs quand on est arrivés en 1962, on ne nous a pas aidés, il faut aider les gens qui arrivent. Le gouvernement doit les aider » Joseph 80 ans.
Une action facile à mener
Cela faisait à peine 10 minutes que nous avions commencé, qu’on se regardait les uns les autres, bluffés par le succès de notre action. Pendant plus de 2h30, l’animation surprise s’est déroulée avec une grande facilité et même un certain bonheur. Nous pouvons dire que les rencontres ainsi improvisées étaient heureuses. De quoi ils parlent les gens ? Hé bien c’est de découverte qu’ils parlent, de partage, d’enrichissement mutuel, de la souffrance de partir aussi… et très souvent de l’importance de pouvoir retourner à son lieu d’origine.
Ne rien induire, laisser venir la parole
Le jeu, parce qu’on peut très bien le voir comme un jeu, s’appelle « le porteur de parole ». C’est un des musts de l’attirail du parfait animateur en démocratie participative. Combien de lecteurs ? 200 peut-être. Combien de photos faites ? Plus de cent certainement. Tout l’art est de ne rien induire et de laisser les gens parler librement. Le but n’est pas de convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit, le but c’est juste d’offrir une occasion aux gens de s’exprimer. Plusieurs personnes ont montré combien elles étaient touchées par l’attention qu’on leur portait. Touchées par l’attention que l’on portait à ce quelle disaient. Pendant les presque trois heures d’animation nous n’avons connu aucune tension, pas de propos fielleux non plus. Certaines phrases, deux peut-être, marquent une certaine méfiance de l’autre mais rien de plus. On pourrait presque en conclure que les français semblent très ouverts à l’accueil des autres. Cela vaudrait le coup de le faire plus souvent dans différents quartiers de la ville, cette action a certainement une fonction apaisante, rassurante même à propos de ce que nous sommes nous, les humains, et ce que nous allons devoir vivre avec les dizaines de millions de réfugiés climatiques qui vont arriver dans les prochaines années.
21 mars journée pour l’élimination des discriminations raciales
On a été très heureux de vivre ce moment enrichissant pour tout le monde. Ce « porteur de parole » c’était une grande première pour la plupart d’entre nous. Notre groupe s’est constitué comme ça avec « machin » qui connait « machine »… réseau tout à fait informel. Merci à celles qui ont pris l’initiative et gravitent autour de l’association « Collectif migrants bienvenue 34 ». L’opération s’est tenue dans le cadre des manifestations liées à la journée internationale pour l’élimination des discriminations raciales du 21 mars.
Pour une démocratie vivante
Cela s’est fait comme souvent de bouche à oreille, une occasion entrainant l’autre, on se laisse partir comme dans un courant, même si on n’est pas très sur de soi. L’action a été apparemment bien ressentie par les autorités locales. Deux ou trois voitures de police sont passées pendant les opérations. Ils n’ont pas jugé utile de s’arrêter, c’est bon de sentir que l’espace public est ouvert et disponible pour la création d’une démocratie vivante. La seule démocratie qui vaille, c’est celle où toutes et tous ont la parole. Nous pouvons en témoigner à propos du déplacement des populations, à propos de l’exil, les français ont envie de parler et sont ravis quand on leur donne la parole.
Roland Gérard
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