Etat d’urgence : avec Macron, l’exception devient la règle !
J’ai l’impression qu’avec le beau, le bon, le parfait, le merveilleux M. Macron, on n’a pas fini de faire des comparaisons « avant après » tumultueuses ; on n’a pas fini de se coltiner sa part sombre avec sa part printanière ; on n’a pas fini d’entrechoquer sa personnalité souriante sur tapis rouge à celle, plus terre à terre, de son exercice du pouvoir au jour le jour.
• On a assisté au décalage entre le Macron intransigeant envers les emplois fictifs de Fillon (une « lèpre démocratique ») et le Macron qui fait comme si l’affaire Ferrand n’existait pas. Classique.
On a eu le Macron qui se prévalait chez Whirlpool de ne pas faire de la démagogie face à des ouvriers en grève, puis le Macron (via son ministre de l’économie) qui sauve (provisoirement) l’entreprise GM&S en demandant autoritairement à Renault et Peugeot d’augmenter leurs commandes chez ce sous-traitant. Classique, au pays de l’Etat qui se croit stratège.
On connaissait le Macron qui voulait desserrer le code du travail, mais on a découvert aussi le Macron (via sa ministre du travail) qui écarte les statistiques du chômage qui lui déplaisent. Martingale classique.
Mais pour un moderne tel que lui, ça commence à faire beaucoup de classicisme.
Des broutilles, me direz-vous. Des ajustements logiques en début de mandat. Des exemples ponctuels limités qui ne sauraient caractériser ni un état d’esprit ni une ligne politique. Rien d’autre qu’une simple prise de marques. L’Assemblée nationale n’est même pas élue, l’action politique n’a pas vraiment commencé. Attendons, donnons sa chance à Macron, laissons-nous porter par l’élan de fraîcheur et de renouveau qu’il apporte à notre vie publique, votons ce jour et voyons.
J’ai du mal à partager totalement cet enthousiasme. Mais d’accord : donnons sa chance à Macron. Encore faudrait-il qu’il décide de s’en saisir résolument, sans oublier en chemin ses promesses enflammées de libérer les énergies, changer la vie, changer la politique, bref, tout changer pour des lendemains qui chantent.
• Parmi tous les sujets qui agitent cette période particulière entre l’élection présidentielle, les législatives, et les vacances, on peut difficilement qualifier les décisions concernant l’état d’urgence de broutille. Nos libertés publiques sont en jeu, l’état de droit est en jeu.
Or selon les dernières annonces de notre jeune et beau Président (via son Premier ministre, vidéo ci-dessous, 40″) nous allons bel et bien sortir de l’état d’urgence, qui est un régime d’exception appelé à avoir un début et, point capital, une fin … pour en retrouver toutes les dispositions ou presque dans le droit commun, règle générale destinée à être appliquée sans limitation.
Récapitulons. L’Etat d’urgence a été décidé par François Hollande le 14 novembre 2015 au lendemain des attentats de Paris du 13 novembre 2015 (Bataclan et restaurants du quartier). D’abord instauré pour 12 jours par décret, il a ensuite été renouvelé cinq fois par la loi. Il est actuellement en vigueur jusqu’au 15 juillet prochain.
Défini par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 adoptée lors de la guerre d’Algérie, l’état d’urgence permet à la police d’effectuer des perquisitions administratives dans les domiciles privés, de délivrer des assignations à résidence et de dissoudre des groupements, associations ou lieux de culte sans passer par une décision judiciaire. Tout est décidé administrativement au niveau du ministère de l’intérieur et de ses relais préfectoraux dans tous les départements.
Autant c’était la bonne décision à prendre dans la foulée des attentats meurtriers de novembre 2015, afin de mener l’enquête à chaud avec rapidité et facilité, autant les prolongations successives sans fin sont plus difficiles à défendre. Dès les premiers mois, le bilan qu’on pouvait tirer de telles dispositions montrait un faible impact sur la lutte anti-terroriste en tant que telle et une belle propension aux erreurs et aux abus.
On sait de plus que l’état d’urgence n’a jamais permis d’éviter un seul attentat. Ceux qui ont été déjoués le furent par hasard, ou bien grâce au travail de fourmi des services de renseignement.
Par contre, une chose est absolument certaine : dès lors que des outils de répression sont en place, ils serviront, quelles que soient les garanties que les politiciens n’hésiteront pas à vous donner la main sur le coeur quant à vos libertés individuelles. François Hollande nous en a donné un bel exemple en utilisant l’état d’urgence pour assigner à résidence des militants écologistes qui risquaient, selon lui, de semer le trouble lors de sa précieuse Conférence Climat de Paris en décembre 2015 (COP21). Rien à voir avec la menace terroriste, donc, et pourtant …
Il se trouve également que vendredi dernier, le Conseil constitutionnel a censuré l’interdiction de séjour, une mesure de l’état d’urgence qui avait été abondamment utilisée par les préfets, en dehors de tout risque terroriste, pendant les manifestations contre la loi Travail (printemps 2016). Il a considéré que le « soupçon d’entrave » qui déclenchait la mesure était insuffisant.
• Comme candidat présidentiel, Emanuel Macron avait d’abord donné quelques signes permettant de penser qu’il était parfaitement conscient des limites de l’état d’urgence, aussi bien comme menace pour les libertés civiles que comme mode opératoire anti-terroriste faiblement efficace dans la durée. Dans son livre de candidature intitulé Révolution (novembre 2016), il écrivait :
« Nous ne pouvons pas vivre en permanence dans un régime d’exception. Il faut donc revenir au droit commun, tel qu’il a été renforcé par le législateur et agir avec les bons instruments. Nous avons tout l’appareil législatif permettant de répondre, dans la durée, à la situation qui est la nôtre.«
C’était la bonne approche. Depuis les attentats de 2015, le droit commun a en effet été considérablement étoffé, notamment par la loi Urvoas de juin 2016 sur le crime organisé et le terrorisme.
Mais au fil du temps, Emmanuel Macron a adopté une attitude de plus en plus vague, faisant valoir qu’il ne pourrait rien dire sur l’état d’urgence tant qu’il ne disposerait pas des informations que seuls les services compétents détiennent :
« Aujourd’hui, je n’ai pas les dernières connaissances, ce sont les services qui les ont. Si je suis élu président de la République, je regarderai en détail la nature des informations transmises à l’instant t. Mais aussi longtemps que la sécurité de nos concitoyens le justifie, aussi longtemps que les perquisitions administratives que seul permet l’état d’urgence sont indispensables, il convient de maintenir l’état d’urgence. » (Macron, France 2, 19 mars 2017)
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• Aujourd’hui au pouvoir, M. Macron joue sur les mots. Il annonce la fin de l’Etat d’urgence tout en voulant le graver dans le marbre du droit commun. Il compte en effet présenter une loi de reconduction de l’état d’urgence jusqu’au 1er novembre, le temps de faire adopter une nouvelle loi « renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure » dont un avant-projet, transmis au Conseil d’Etat, est arrivé cette semaine jusqu’au journal Le Monde.
Ce texte, qui sera présenté en Conseil des ministres le 21 juin prochain, vise clairement à intégrer les dispositions d’exception de l’état d’urgence dans le droit commun. Les assignations à résidence, les perquisitions de jour comme de nuit, toutes ces mesures que le ministre de l’Intérieur et les préfets ont pu utiliser depuis les attentas de novembre 2015, deviendront des mesures normales utilisables à discrétion par les autorités administratives.
Il est précisé que tout ceci sera limité à la prévention des actes de terrorisme. Mais on a vu que ce genre de garantie n’arrête pas les politiciens déterminés à parvenir à leur fins. Inutile de dire que ce projet suscite l’opposition la plus résolue de tous les magistrats qui y voient un projet « scandaleux », de même que les avocats et les associations de défense des libertés publiques.
En 2016, Manuel Valls se refusait à lever l’état d’urgence, notamment parce que le prix politique d’une telle décision lui semblait trop élevé :
« Vous rendez-vous compte de la responsabilité s’il y avait un nouvel attentat quinze jours après la fin de l’état d’urgence ? »
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Emmanuel Macron tient exactement les mêmes raisonnements :
« Vous arrêtez avec l’état d’urgence ; vous avez 15 jours après un attentat avec un fiché S qui était identifié, sur lequel on n’a pas pu faire de perquisition administrative : bon courage, là le pays vous ne le tenez plus ! » (Interview à Médiapart le 5 mai 2017)
L’état d’urgence n’a pourtant pas empêché que des attentats surviennent. Mais dans le contexte du terrorisme islamiste qui affecte l’Europe régulièrement, à Londres, à Manchester ou à Paris, il est devenu un engrenage dont on ne voit plus comment se sortir, sauf à le garder tel quel ou, plus habile, à y mettre apparemment fin tout en ayant pris soin d’en conserver toutes les dispositions.
Ce faisant, Emmanuel Macron réalise le rêve de François Hollande. Ce dernier voulait inscrire l’état d’urgence dans la Constitution. Il y échoua en raison de divergences apparues avec la droite sur la question de la déchéance de la nationalité.
Usant du même double langage que son prédécesseur, celui qui consiste à faire passer des mesures d’exception pour un renforcement de l’état de droit au nom de la sécurité considérée comme la première des libertés, notre tout beau tout nouveau Président pourrait bien réussir à être celui qui nous entraînera le plus loin à ce jour dans la logique sécuritaire et l’encadrement des libertés individuelles.
Sa volonté de dépasser les clivages, sa façon de se dire de droite et de gauche, ses appels permanents à l’ouverture et au dépassement des vieilles rivalités, le discours sur le renouveau et les incitations à « penser printemps », tout ceci ne serait-il que la jolie façade électorale d’un exercice du pouvoir particulièrement oppressant ?
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