Cet état de l’art a été initialement publié en anglais sur le site de l’Open Knowledge Foundation, le 20 janvier 2010. L’OKFN est une organisation anglaise en pointe sur l’OpenData. Elle est notamment à l’origine du projet WhereDoesMyMoneyGo.org, de l’OpenDefinition pour des standards de données ouvertes et du registre de données participatif CKAN. Ce registre, en cours de traduction dans plusieurs pays européens, est repris par le gouvernement anglais pour l’architecture de son projet data.gov.uk.
La France traîne des pieds…
Aucun doute possible : pour ce qui est d’ouvrir ses données, la France est largement en retard par rapport à de nombreux pays. Pourtant si fière de son modèle démocratique, la France a longtemps traîné des pieds pour rejoindre le mouvement de l’OpenData. Le premier OpenDataCamp organisé à Paris en décembre dernier illustre bien que les choses peuvent changer.
Alors que les États-Unis et le Royaume-Uni ont énormément avancé au cours des deux dernières années en dévoilant leurs projets data.gov et data.gov.uk, la France et la plupart des pays d’Europe méditerranéenne restent très conservateurs en matière de données publiques. Rattraper le retard demandera un peu plus que du saupoudrage politique. Les institutions ont besoin d’un changement radical dans leur approche de production et de dissémination des données officielles. C’est pourquoi un engagement important de la part des citoyens est nécessaire, afin de mettre en évidence l’importance des attentes, mais également pour soutenir et conseiller les projets existants et en gestation.
Quelques projets très intéressants - et généralement peu connus - ont déjà ouvert la voie. Les Archives HAL recensent et proposent librement les publications scientifiques de la recherche, tandis que l’IREP donne accès aux données concernant la pollution. Mais ce ne sont que quelques fragments de l’immense quantité de données publiques existantes : dans leur grande majorité, les documents et bases de données officiels restent inaccessibles au grand public. Il peut même s’avérer très difficile pour un citoyen de demander l’accès à des documents spécifiques. Bien que la CADA ait été créée en 1978 pour documenter et faciliter les procédures de tels accès, les administrations restent souvent très réticentes à la dissémination ou la réutilisation de leurs données.
Pour des raisons historiques, il est particulièrement difficile pour les autorités françaises de changer leur approche sur la diffusion des données. Pendant très longtemps, la plupart des données proposées l’étaient essentiellement par les Établissement Public à caractère Industriel et Commercial (EPIC). Bien que traitant de données publiques, ces organismes ont pour premier objectif de faire fructifier commercialement les données dont ils disposent. Cela inclut par exemple Météo-France ou l’IGN dont les données météorologiques et géographiques pourraient pourtant constituer de fantastiques bases de travail. Ces établissements ayant une ambition commerciale, accéder librement et gratuitement à ces données peut s’avérer un véritable challenge pour des citoyens. Leur réutilisation par la société civile pourrait pourtant renforcer l’engagement citoyen, les services publics ou la démocratie mais également être un formidable accélérateur d’innovations.
L’ex-Direction des Journaux Officiels (DJO), responsable de toutes les informations législatives, exécutives et juridiques officielles, et aujourd’hui remplacée par la DILA, est un autre bon exemple de cette situation. L’accès électronique à ses données était limité, jusqu’en 2002, à quelques acteurs via un régime de concession à titre onéreux. Concrètement cela signifie que seuls ceux capables de payer une licence, c’est-à-dire essentiellement des compagnies comme Reuters et Lamy, pouvaient utiliser ces données. La situation a changé en 2002 avec la mise en ligne de LégiFrance qui recense publiquement tous ces documents. Malheureusement les fonctionnalités enrichies, comme l’accès aux flux XML des modifications du droit, qui pourraient se montrer extrêmement utiles à des projets comme Simplifions la loi, restent limitées aux utilisateurs prêts à payer des droits.
Quelques avancées de l’État mais un accès peu ouvert
En dépit de cette situation, un virage en direction de l’ouverture a été pris récemment par les autorités. Probablement grâce à l’apparition des différents projets data.gov anglo-saxons, des projets européens ont vu le jour comme la directive européenne INSPIRE en 2007 (dont la transposition française est prévue pour juin 2010) ou l’initiative de la Suède pour promouvoir les projets d’eGouvernement durant sa présidence de l’Europe. Il semble que ces différentes initiatives aient attiré l’attention des autorités françaises et que les choses commencent tranquillement à changer.
La Direction de l’Information Légale et Administrative (DILA) essaie d’initier de nouvelles pratiques de production et de diffusion des données publiques. Dans ce cadre, l’Agence du Patrimoine Immatériel de l’État (APIE) a été installée pour mener une réflexion, coordonner, évaluer et organiser un effort commun des différentes administrations sur leurs données. L’objectif annoncé est la sortie à la mi-2010 d’une plateforme de promotion et de recensement des différentes sources de données publiques et de leurs licences respectives.
Malheureusement, le retard historique des autorités en matière d’ouverture a laissé le champ libre pendant de longues années au secteur privé dans ce domaine. Certaines sociétés ont ainsi largement bénéficié de cette situation en devenant progressivement les intermédiaires incontournables entre les administrations et les utilisateurs des données. Le Groupement Français de l’Industrie de l’Information (GFII) en est un bon exemple : lassé de l’inaction gouvernementale dans ce domaine, ce regroupement professionnel de conseil juridique, parfois assimilé à un lobby, a décidé de prendre en charge la formation des fonctionnaires. Il est ainsi rapidement devenu l’investisseur et l’organisateur officiel des programmes de formation sur les données publiques en lieu et place des autorités. Cet exemple permet de mieux comprendre les décisions actées par la suite par l’APIE concernant l’attribution des licences : plutôt que de maximiser la création de valeur possible par les usages, cet organisme préfère mettre en place des systèmes de vente des données, favorisant ainsi les intermédiaires par rapport aux utilisateurs finaux, qu’il s’agisse de citoyens ou d’entreprises. Cette situation n’est bonne ni pour l’innovation ni pour la production de connaissance.
Des expériences ouvertes initiées par les citoyens
Comme dans de nombreux pays, les premiers pas vers des données ouvertes sont venus du monde de la recherche universitaire et de la communauté des logiciels libres. WikiMedia France et OpenStreetMap.fr sont probablement les projets ouverts les plus connus en France. Des sites web pionniers comme Mon-Depute.fr (site recensant les votes des députés créé par un archiviste) ou droit.org (un projet de l’École des Mines sur les publications légales) ont beaucoup aidé à rendre disponibles les données démocratiques. Nos travaux chez Regards Citoyens sur l’activité parlementaire avec NosDéputés.fr et sur les données électorales avec le redécoupage constituent un nouveau pas vers plus de données ouvertes pour la démocratie et la société civile française.
OpenStreetMap.fr, un site communautaire de cartographie, est un très bon exemple de projet de données ouvertes conduit par des citoyens. Le cadastre, qui dispose d’un site web où sont publiées un certain nombre de cartes, pourrait être une très bonne source d’information pour ces bénévoles. Certains contributeurs d’OpenStreetMap ont réalisé qu’il était techniquement possible d’accéder aux données brutes. Mais cela n’étant pas suffisant pour rendre les données accessibles à tous, la communauté OSM s’est donc penchée sur l’aspect légal. En s’apercevant que les données n’étaient pas libres, ils ont contacté le ministère des Finances, responsable du service. En Janvier 2009, la réponse est tombée : un import global de l’intégralité de leur base de données est interdit, mais un import partiel est possible. Pour contourner le problème légal, des centaines de bénévoles ont donc commencé une opération de « crowdsourcing » panachant les données du cadastre avec leurs enregistrement GPS. C’est ainsi qu’OpenStreetMap.fr libère aujourd’hui de plus en plus de données publiques pour les rendre réutilisables à tous, citoyens comme entrepreneurs.
Comme nous venons de le voir, la question de l’OpenData n’est pas seulement technologique : il s’agit aussi d’efforts communs afin de sécuriser l’accès aux données sur le plan légal et d’encourager la réutilisation des données par autrui pour tout type d’usage. C’est pourquoi nous avons contribué à l’organisation du premier Open Data Camp français à Paris, au cours duquel plus de 120 personnes ont pu partager et mettre en commun leurs expériences. Nous y avons appris beaucoup, que ce soit sur l’existant, les techniques de visualisation de données ou les possibles projets de diffusion. Ce fut également l’occasion d’échanges constructifs entre « hacktivistes » au sujet des bienfaits de l’ouverture des données aux plans politique, économique et administratif.
Le succès de cette manifestation démontre que la France est prête et a déjà fait son entrée dans le monde des données ouvertes. Regards Citoyens suivra ces changements et essaiera de contribuer modestement au mouvement global de l’OpenData en travaillant avec les organisations comme l’Open Knowledge Foundation. Avec les autres organisateurs du Camp, nous sommes convaincus que rendre les données publiques accessibles et réutilisables apportera de grands bénéfices à l’innovation commerciale, aux organisations démocratiques ainsi qu’à la société civile.