Etre Français ?
En 1958 la Librairie Armand Colin publiait à l’usage des étrangers instruits et des français de bonne volonté, l’ HISTOIRE de la CIVILISATION FRANCAISE de Georges Duby et Robert Mandrou, historiens au-dessus de tout soupçon. Les auteurs s’excusaient de présenter cette histoire en 700 pages seulement, car disaient-ils, il s’agit d’une des civilisations les plus complexes, sinon les plus raffinées qui aient jamais été... Mais ils ajoutaient modestement que le livre s’adressait aux grands élèves du secondaire, aux étudiants, au grand public, aux étrangers curieux de la langue et de la culture française , à tous ceux qui désiraient avoir une vue d’ensemble de notre civilisation, mieux saisir à travers dix siècles d’histoire les traits originaux de la France d’aujourd’hui... Cette "personne" (sic). Il reste sûrement des étrangers curieux de la culture française, c’est moins évident du côté des apôtres et des victimes de la pédagogie centrée sur l’élève de première et de terminale... Ce livre a été réédité plusieurs fois et traduit en neuf langues. En 2006, dans un tout autre régistre, Nelly Mauchamp, auteure de plusieurs ouvrages sur la société française, chercheuse au CNRS et professeure à Paris-3, Sorbonne nouvelle, publiait aux éditions du Cavalier Bleu, un lexique des "idées reçues" sur les français, ces idées qui mêlent souvent le vrai et le faux, pour apporter un éclairage ô combien salutaire sur ce que l’on sait ou que l’on croit savoir...
Donc les peuples ne naissent pas des dernières pluies... Ce ne seront pas les israéliens ou les iraniens qui nous démentiront, ni les turcs ni les arméniens, kurdes, serbes, italiens, marocains, russes, espagnols, écossais, allemands, suisses, zoulous, inuits, brésiliens etc... La liste n’en finirait pas, plus longue que celle des états qui ont une chaise à l’ONU. Les infortunes et les folies de l’Europe ont malheureusement transmis pour un temps le flambeau de la civilisation à des sprinters plus rapides sur leurs jambes que subtils dans la civilisation. Tout ce qui brille n’est pas or, les fabricants de miroirs aux alouettes le savent bien, mais les alouettes du monde ont encore le bec tourné vers la Californie et Manhattan, car avec du soja, des films et des dollars on a fait des miracles... Mais il n’y a pas que des jobards d’outre-atlantique, ils ont leurs clones aux quatre coins de la planète, l’essentiel étant que sur cette planète ronde la monnaie circule très rondement et que des élites autoproclamées tirent les ficelles de la fin des temps. Ces maniaques craignent qu’un milliard et demi de chinois ne leur marchent sur les pieds, car en Chine on se fiche de l’au-delà et tout vient à point pour qui sait attendre... Les super-bateleurs de la Main Invisible et de l’Axe du Bien font la part du feu : ils divisent les peuples avec des bondieuseries, des chapeaux, bonnets, voiles et calottes variées, invitent sur les écrans des races pures de citoyens, armées les unes contre les autres dans le maëlstrom des centres commerciaux... Punks, Salafistes, Nationalistes, "Jeunes", Blacks, Intégristes, Supporters, Lesbiennes, "Descendants d’esclaves", Voilées, Chasseurs, Gays, Obèses, Motards, Artistes ( les uns et les autres calés sur des soupapes dans les embouteillages).... Ces fractions aussi "légitimes" les unes que les autres, donnent l’illusion d’un vaste monde sur les chemins politiquement corrects de l’information calibrée et du réflexe de Pavlov ... Le goût, l’odorat, la vue, le toucher, l’ouïe devenus électroniques et chimiques... remplissent déjà les yeux et les assiettes. On voyage entre les codes barres...
Les français se mélangent et se retournent . Une salade de corses, de bretons, normands, franc-comtois, provençaux, limousins, occitans, lorrains et alsaciens coupés en morceaux et frottés de langue d’oil, manoeuvrée doucement pendant huit siècles de monarchie puis secouée depuis deux cents ans, telle semble l’identité française... Les héros de cette mélasse s’appellent Jeanne d’Arc, Napoléon et Charlemagne, loin devant Louis XIV, Henri IV et encore plus loin devant Robespierre... Des trains d’Espagnols, d’Italiens, de juifs, de Portugais, de Polonais se sont rajoutés dans la marmite bleu-blanc-rouge... Puis d’anciens colonisés en quête de travail, d’allocations, de sécurité sociale, d’écoles qui marchent, de salles de bains , d’automobiles et d’égalité... à peine plus exotiques que les auvergnats des comptoirs " Vins et Charbons" ou les bretonnes embarquées sur les trottoirs avant la guerre de 14. Mais trop de débarquements dérangent. On se souvient des collabos à l’accent corse virés de Pigalle par des arabes et des pieds-noirs en 44 après l’installation des soldats d’Afrique du Nord ; on n’a pas oublié l’explosion de grand banditisme, de trafics et de véroles dans le sillage des G.I’s, le soulagement populaire de 1947 quand nos libérateurs sont repartis chez eux... Trop de couleurs, pas de couleur, trop de peuples, pas de peuple... Heureusement, la France, elle, cuisine au beurre, à l’huile et au saindoux... La confluence des volontaires de 1793 fut bon signe : le chant des Marseillais avait été composé dans une caserne de Strasbourg en langue parisienne... Les français ne supportent pas mieux leurs voisins que les étrangers : deux millions de lettres anonymes dorment encore dans les sous-sols du ministère de l’Intérieur, souvenir émouvant de l’Occupation ... Mais s’ils cuisinent les grenouilles ou les escargots, ils ont un faible pour les couscous, pizzas, paëllas et viandes autorisées de la Bible et du Coran, à condition que Dieu déguerpisse des fourneaux... Nous ne nous aimons pas pour nos performances sportives ou la beauté de nos filles dont les formes sont aussi diverses que nos fromages et nos parfums... Nous apprécions nos vilains défauts, la bonne langue de nos râleurs, la générosité de nos grévistes, l’astuce de nos ingénieurs, le savoir faire de nos élégantes, nos tonnes de livres géniaux, de tableaux extras, de meubles conférant la noblesse, nos défaites glorieuses ( sous Jospin on "oublie" Austerlitz mais on fête Trafalgar...). Nous fondons d’admiration pour notre Versailles sans chiottes, nos cathédrales humaines, notre Tour Eiffel anorexique et républicaine... Nous avons le palais délicat au point de mettre du chèvre chaud, des noix et des petits lardons dans les pissenlits et quand nous sommes nuls nous battons tous les records comme au mondial de Séoul...
Dans le hâchoir du XXIème siècle, nous sommes à deux doigts de gagner une partie, parce que nous faisons des bébés avec ou sans mariage, que pas un seul de nos citoyens n’oublie de se plaindre et que la plainte générale est un merveilleux dénominateur commun. J’ai connu plus de bacheliers turcs, arabes et kabyles qui se plaignaient en bon français que de rejetons de la France dite "profonde" qui manquaient de bière... Notre savoir-vivre procède d’une longue expérience de la guerre civile... Les communautaristes qui prospèrent dans l’hexagone à la solde d’états et de dieux jaloux, tous les sorciers qui font des pieds et des mains au service du Diable, c’est à dire de la trop stricte observance des livres saints, nous croient faibles sous prétexte que le Paradis nous fait rire... Nous nous insoucions des terres promises, ces déserts où s’étripent des iconoclastes pour d’éternelles querelles de points d’eau et de paroles divines... "Un riche laboureur, sentant sa fin prochaine, fit venir ses enfants, leur parla sans témoin..." : La Fontaine nous a guéri des illuminés qui offrent des vierges et des mignons dans l’au-delà si on se prive de cochons, de beaujolais, de poireaux, de rasoirs et de femmes libres... Nous font pleurer de rire les dents blanches, l’haleine fraîche et les tripatouillages de strings sur les tapis rouges des people et du FMI... L’Eglise de France fit de Jeanne d’Arc une sainte, histoire de la repiquer aux Républicains qui l’avaient sacrée l’héroïne du peuple ...
Qui devons-nous donc fréquenter pour savoir qui nous sommes ? Nos élus n’ont pas souvent les mêmes alliés que nous et nous savons que leurs vessies ne sont pas des lanternes magiques... Quand seront calmés les porteurs de valises de quelques pays sur le qui-vive, que les cornes des idéologues résisteront à tous les vents, que nous serons en quelque sorte comme des chinois en chine , buveurs de l’eau où nous sommes nés, laveurs de linge en famille et que nous aimerons l’Europe pour ne pas mourir idiots, nous pourrons chanter, toutes hontes bues : "Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage..." A moins que trop usés par nos mensonges et nos bégaiements, nous tombions dans la lourdeur, l’amnésie, les démangeaisons, les communautés, les tribus, le meurtre, les soupirs, les pets et les rots...
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