Être « père au foyer » ça vous tente ?
« Vous pensez qu’à notre époque l’aventure n’existe plus... eh bien moi je dis que si. C’est simplement un changement de rythme, un changement de ton. L’aventure c’est partir à la découverte de quelque chose et pas forcément une découverte géographique de pays inconnus - il n’y en a plus des pays comme ça - non l’aventure, elle, est dans le cœur de l’homme. Elle est toute aussi excitante aujourd’hui qu’il y a cent ans mais elle est différente.
L’aventure est ce que l’homme peut trouver de mieux pour vivre. Mais l’aventure n’est pas n’importe quoi, c’est quelque chose qui doit être enrichissant pour soi, utile pour les autres et qui comporte une part de risque. »
Paul Emile Victor
J’ai 52 ans et je suis papa au foyer depuis 14 ans. J’ai 3 enfants (21, 14 et 7 ans) Il y a encore 6 ou 7 ans quand je disais que j’étais père au foyer, et heureux de l’être, je me heurtais très souvent à un scepticisme courtois : on ne croyait pas d’emblée qu’un père puisse être heureux au foyer... : « Ça n’est pas normal ! », comme si ça cachait quelque chose ou que je faisais semblant.
Aujourd’hui (tout du moins pour la jeune génération et certainement à cause de la conjoncture économique difficile) il n’y a plus de scepticisme à mon égard mais un intérêt bienveillant. Pour les jeunes, ça apparaît plus comme un choix presque militant pour une autre qualité de vie que comme une contrainte. Etre père au foyer est devenu « tendance »...
Un couple qui serait tenté par cette aventure doit, au préalable, se poser un certain nombre de questions de fond. Les questions sur les modalités de fonctionnement sont importantes mais néanmoins secondaires et consultables sur www.pereaufoyer.com où vous pourrez trouver tous les renseignements techniques et les témoignages en la matière. Mais il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs ni planer, les plus grosses difficultés ne sont pas d’ordre technique mais de nature psychologique.
Il n’y a ni de bonnes ni de mauvaises réponses à ces questions de fond, il faut simplement avoir le courage d’y répondre ensemble avec le plus d’honnêteté possible et de coller au plus prêt au « principe de réalité ». Exemple (toutes ces questions sont pour les deux conjoints, pas seulement pour le père) :
- Quel est mon degré de dépendance par rapport au regard des autres et de la famille ?
- Quel est mon degré de recherche de pouvoir et de reconnaissance sociale ?
- Qu’est-ce que je mets en premier : réussir dans la vie ou réussir ma vie ?
- Quelle est ma place dans l’éducation des enfants ?
- Quel est mon degré de plasticité au changement par rapport au partage des tâches ménagères ? (c’est aussi une question pour les femmes !)
- Quel est mon degré de plasticité au changement par rapport à l’image de « ce que doit être et ne pas être un homme » ? Le père : « Suis-je sûr de pouvoir encaisser le changement d’image de moi-même... » La mère : « Suis-je prête à encaisser cette nouvelle image de mon mec ? »
- Qui suis-je dans le couple ? Définition des identités de père et de mère indifféremment des rôles. Exemples : la mère accepte-t-elle de perdre certains rôles (nourricier, habillement, infirmier, éducatif et autres) sans se sentir menacé dans son identité de mère : « Suis-je une mauvaise mère si je ne fais plus, ou moins, toutes ces choses comme les faisait ma propre mère ? »
Un jour ou l’autre toutes ces questions (et bien d’autres encore !) viendront sur la tapis. Il faut s’y préparer si l’on veut tenir la longueur dans cette aventure.
Effectivement, au sein d’un couple, on ne peut se permettre d’échanger les rôles qu’à partir du moment où on a une identité individuelle vivante. L’identité est spécifique à chacun et n’est pas interchangeable, alors que les rôles, eux, le sont. Jusqu’à la révolution du tertiaire, un homme travaillait à l’extérieur du foyer parce que le travail nécessitait de la force physique (chasse, agriculture, industrie...) Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’être « costaud » pour travailler dans un bureau. Les rôles peuvent donc changer... en matière de rôle on peut changer les « formules ».
Par contre l’identité de chacun, elle, n’est pas résumable en formules. De se sentir une personne par rapport à soi-même, aux autres, à ses enfants, à la société... est lié à notre histoire de vie, au sens que l’on cherche à notre existence. C’est un mystère que l’on cherche toute sa vie... à deux dans le cas du couple.
Pour ma part, ma paternité au foyer s’articule autour de deux axes :
1- Père au foyer n’était pas, au départ, le résultat d’un choix mais d’une adaptation à une réalité socio-économique d’alors. Je n’ai pas choisi d’être père au foyer : ça s’est fait... mais aujourd’hui, avec le temps, ni ma femme ni moi-même ne voudrions changer notre vie. Ce qui au début se voulait comme une simple parenthèse entre deux missions de travail est devenu partie intégrante de toute notre vie. Ma paternité au foyer s’inscrit aujourd’hui en totalité dans un projet de vie... dans une mouvance de vie. Mais pour ça il a fallu se débarrasser de beaucoup de préjugés et de pesanteurs "normatives" personnelles et sociales. Ici le fond du dialogue dans le couple ne se fait pas en premier autour des modalités de fonctionnement du couple (les rôles respectifs) mais autour de : « Qu’est-ce que c’est être père et mère aujourd’hui ? »
2- On est d’abord « père » avant d’être « père au foyer ». Aujourd’hui, alors que beaucoup de repères ont bougé et même sauté, être père s’apparente plutôt à une quête initiatique qu’à une prise de rôle au sein du couple et/ou de la société.
D’abord : être père... c’est une quête à deux, une quête de couple. Ensuite : au foyer... c’est une modalité. Chaque couple invente son propre mode de fonctionnement en fonction de ses capacités financières, intellectuelles, psychologiques, etc. Ce n’est pas le « au foyer » qui compte en premier, c’est « être père ». On ne peut plus être père comme l’étaient nos pères et nos grands-pères.
Une mère se fait toute seule, naturellement (on est sûr à 100% que notre mère est bien notre mère, mais on ne peut pas être vraiment sûr que notre père est bien notre père), alors qu’un père c’est sa femme et la société qui le font et qui lui donnent sa place symbolique parce qu’elles le reconnaissent comme tel. Un père ne pourra jamais se sentir père si sa femme (et/ou la société) lui refusent cette identité. Tous les pères divorcés avec un enfant en bas âge comprendront tout de suite de quoi je parle (la blessure terrible et profonde de se sentir un simple géniteur/payeur de pension alimentaire) ! Voir à ce propos le livre de Nabati : Un père à quoi ça sert ? Editions Jouvence
Un père à quoi ça sert ? Posez cette question autour de vous et vous serez surpris des réponses qui sont pour la plupart négatives, interrogatives ou gênées. La question elle-même met mal à l’aise. On sait ce qu’est un géniteur, mais on ne sait pas ce que c’est qu’un père, c’est flou. Ça n’est pas nouveau, ce flou est historiquement inscrit dans toutes les cultures, chacune à ses propres réponses religieuses ou philosophiques et ses propres lois pour les encadrer.
Pourtant on peut retrouver un « plus petit dénominateur commun » à toutes les civilisations. Un père ça sert à :
a) Séparer l’enfant de la mère dans leur relation fusionnelle (l’eden infernal).
b) Dire la loi, planter les règles sociales et les interdits. Apprendre la loi du triangle : "L’enfant n’a pas être au centre du couple il doit être en périphérie..." (Winnicott)
c) Transmettre sa propre filiation.
Le travail sur elle-même de la mère ou de la future mère est (entre autres, mais avant toutes autres questions) de se demander quelle est la nature et le degré de son désir d’enfant :
- désir de maternité ? (être 1 : moi avec moi-même) ou,
- désir d’enfant ? (être 2 : moi avec mon enfant en tant que prolongation de moi-même) ou,
- désir d’enfant de l’homme qu’elle aime ? (être 3 : accepter véritablement l’autre dans ma vie).
Contrairement à une idée fortement reçue et répandue un père au foyer n’est pas un « papa-poule », une mère de remplacement, un sous-produit maternel, un ersatz de maman : il est et reste un homme... un homme père, un père au foyer.
A la question : « Pourquoi êtes-vous heureux d’être père au foyer ? » je ne peux répondre que : « Parce que ma femme m’a donné toute la place pour entrer dans ma dimension de père et « au foyer » n’est qu’une modalité liée à notre situation d’aujourd’hui dans laquelle, par caractère ou par autre chose (ça n’a en fait que peu d’importance), je me sens très bien. » C’est le regard que porte ma femme sur ma paternité qui me rend heureux d’être père... le « au foyer » n’est qu’un arrangement mutuel qui nous satisfait tous les deux aujourd’hui mais qui peut évoluer demain.
Je n’ai pas trouvé mon identité de père dans les premières années de nursing de mes enfants, (c’est peut-être le cas pour d’autres pères, il n’y a pas de règle en matière d’identité), c’est la parole de ma femme qui m’a construit à pouvoir être père aujourd’hui. C’est elle qui m’a donné les fondations de ma paternité. Avant de pouvoir « transmettre » j’avais besoin de fondations à ma paternité. C’est la parole de ma femme qui m’a donné ces fondations, d’abord en reconnaissant que ma filiation était bonne (je veux un enfant de toi) et ensuite en me donnant le goût d’être père, l’espace d’être père, l’autorité d’être père... et surtout la confiance d’être père.
Quelques chiffres pour terminer : les écoliers ont 15 jours de vacances toutes les 6 semaines, 2 mois l’été. Il faut les occuper pendant ces temps-là. S’occuper correctement d’une maison et des enfants c’est grosso-modo un mi-temps (4 heures par jour) 7 jours sur 7 soit 28 heures par semaine x 52 semaines (pas de vacances). Toutes les mamans au foyer savent de quoi je parle ! Etre « au foyer » ne veut pas dire « ne rien foutre »... pour ceux qui en douterait je les invite à me suivre une journée... et ils comprendront rapidement le « rock and roll » de l’affaire, ça n’est pas triste ! Je ferai peut-être une suite humoristique à cet article : « 24 heures de la vie d’un père au foyer ! ».
J’étais un jour sur un plateau télé* (TF1 je crois) et Wolinski qui était l’invité de Christophe Dechavanne a dit en rigolant : « Mais pourquoi on a invité ce mec-là ? Il fait le même travail que font des millions de femmes tous les jours et elles on ne les invite pas ! » Il avait raison.
* C’est un avantage d’être « père au foyer » depuis longtemps : on est invité sur les plateaux et on a des journalistes qui viennent faire des reportages et des interviews à la maison. C’est sympa et ça amuse beaucoup les enfants... en ensuite ils sont les vedettes à l’école.
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