Etudiants français non admis
Les universités belges francophones dénombrent 86% d’étudiants étrangers en première année de médecine vétérinaire, 78% en kinésithérapie, et presque autant en études d’infirmières et en podologie. « Tout cela au détriment des résidents belges ». Bien sûr, la moindre qualité de nos écoles préparatoires, voire le niveau intellectuel de nos ouailles locales, ne pouvaient pas être remis en question. Alors, cette « invasion » sera, « au nom de l’intérêt général » (sic), jugulée dès 2006 par une loi restrictive, et toute la presse d’applaudir.
« Les afflux massifs d’étudiants étrangers - particulièrement de France - au détriment des students indigènes, c’est fini », annonçait un quotidien de Belgique francophone, rapportant les mesures proposées par un des nombreux ministres en charge de l’enseignement dans notre pays. Outre l’anglicisme utilisé sans raison, cette phrase résume à elle seule le ton peu amène des articles publiés sur cette affaire dans nos journaux.
« Toute personne résidant chez nous depuis trois ans minimum, de même que les enfants des travailleurs installés en Belgique, les réfugiés politiques et les boursiers de la coopération au développement seront admis sur les quotas d’autochtones. Pour les non-résidents, la règle sera : premier arrivé, premier inscrit. Une fois le quota de 30% par école atteint, les inscriptions seront clôturées. »
Mais de quoi parle-t-on ?
Les chiffres sont sans appel : les universités francophones dénombrent 86% d’étudiants étrangers en première année de médecine vétérinaire, 78% en kinésithérapie, et presque autant en études d’infirmières et en podologie. « Tout cela au détriment des résidents belges », poursuivait un journaliste. L’argument de la future pénurie masquait mal l’argument pécuniaire : un étudiant coûte à la collectivité tant d’euros, donc pourquoi devrions-nous payer pour former des étudiants d’un autre pays, fût-il européen, voire notre plus proche voisin, et même si ces non-résidents, terme plus correct qu’étrangers, passaient avec de meilleurs résultats les épreuves de sélection ? Bien sûr, la moindre qualité de nos écoles préparatoires, voire le niveau intellectuel de nos ouailles locales, ne pouvaient pas être remis en question. Alors cette « invasion » sera, « au nom de l’intérêt général » (sic), jugulée dès 2006 par une loi restrictive, et toute la presse d’applaudir. Sauf que !
Sauf qu’après quelques jours de contentement d’un travail bien fait, les enjeux économiques d’une telle présence « étrangère » en nos murs apparaissaient au grand jour : 1600 étudiants en moins dans nos écoles, cela fait des étudiants "finançables" en moins, et donc cela fait beaucoup de postes d’enseignants en moins ; cela fait aussi beaucoup de locations d’appartements en moins, sans compter les retombées sur le petit commerce local que faisaient vivre ces " indésirables". Et alors que personne n’avait réagi au problème moral qu’une telle limitation entraînait, c’est l’aspect financier des retombées potentielles qui a fait revenir le dossier dans les pages de nos journaux.
Sauf que les directeurs des écoles concernées affirment ne pas comprendre les mesures, étant donné qu’ils ne refusaient de toutes façons pas d’étudiant belge en dehors de la filière vétérinaire, que la qualité de l’enseignement était améliorée par cet apport d’élèves motivés, et que cela permettait de mettre sur pied des collaborations transfrontalières, rien n’y fait. Money, money, money, chantait un groupe disco des années soixante-dix, pardon, septante.
Peu importait que nos concitoyens européens, principalement français dans ce cas, soient interdits d’enseignement belge ; en revanche, que l’épicier du coin voie son bénéfice entamé devenait une affaire qui pouvait faire réfléchir. Peu importait que nos étudiants bénéficient aussi de l’enseignement français sans limitations autres que celles imposées aux Français eux-mêmes. Peu importait la libre-circulation des individus, l’Europe et tout le toutim. Et puis, ils pourront s’inscrire sans restriction en fonction des quotas, selon le principe du premier venu premier servi, et puis 30% : « c’est au-dessus de la moyenne européenne » (sic), Lettonie, Estonie, Malte compris, pays peu réputé pour accueillir de nombreux étudiants étrangers. Alors, ma bonne dame, ne chicanons pas sur des principes moraux.
« C’est une limitation de la liberté d’accès à l’enseignement supérieur que nous défendons avant tout », explique la présidente -faisant fonction- de la Fef (Fédération des étudiants francophones). Comme souvent, ce sont les étudiants qui se mobiliseront le mieux. Loin de toute considération pécuniaire, ils jugent cette limitation liberticide et contraire à l’esprit européen.
Les règlements européens permettent-ils une telle discrimination ? Le précédent autrichien est instructif. Confronté à l’afflux d’étudiants allemands, ce pays germanophone de 8,5 millions d’habitants avait proposé une limitation sur base de la nationalité ; cela fut refusé par l’Europe. Les arguments ayant entraîné le rejet de cette loi ont été étudiés, et serviront à ne pas réitérer les mêmes erreurs.
Mais que reste-t-il de cet esprit européen ? Quelles valeurs positives sont encore portées par une Europe malade, tiraillée entre les valeurs communes et l’intérêt propre de chacun des peuples qui la composent ? Déjà les derniers sommets européens avaient vu les puissances donatrices rechigner à verser au pot commun un argent qu’elles auraient voulu garder pour leur population. La Belgique francophone a la mémoire courte, elle oublie qu’une de ses provinces, le Hainaut, ruinée par trente années de mauvaises politiques économiques, a reçu et recevra plusieurs millions d’euros dans le cadre d’un plan de rattrapage économique. Elle oublie que Bruxelles bénéficie de la manne européenne en accueillant ses institutions, et que son économie est ouverte aux quatre vents européens, avec le rachat de tous nos grands groupes par des financiers de pays voisins.
L’Europe, telle qu’elle évolue depuis 2001, ne permet plus de rêver, et cette décision est un nouveau coup de canif dans le contrat commun.
Repli identitaire, ou real politique, faites votre choix.
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