Eurovision 2021 : la chanson diabolique de Chypre suscite la polémique / La censure et l’intolérance dans toute leur splendeur
J’ai déjà écrit plusieurs articles sur la pression exercée sur la population par l’Église, dans différents États à majorité orthodoxe. Des messes et des communions clandestines ont eu et continuent à avoir lieu en Russie, en Serbie, en Grèce, à Chypre, bravant les mesures sanitaires et les interdictions de rassemblement.
Cependant, là, nous nous trouvons à un autre niveau.
En effet, la chanson de la chanteuse grecque Elena Tsagrinou, El Diablo, suscite des polémiques dans la population majoritairement orthodoxe de la République de Chypre. Cette chanson é été choisie par le comité chypriote de l’Eurovision, sous la direction de la radio-télévision publique (CyBC). Et depuis sa première diffusion, vendredi 26 février, le clip qui accompagne la chanson a créé la polémique sur l'île méditerranéenne, après un appel anonyme menaçant de « brûler le bâtiment » de la radio-télévision publique (CyBC) et des critiques virulentes émanant de professeurs d'éducation religieuse[1].
Une dépêche de l’agence AFP[2] nous apprend que : « La chanson, intitulée El Diablo (Le Diable, en espagnol) et interprétée par la chanteuse grecque Elena Tsagrinou, a été diffusée mercredi pour la première fois par CyBC dans le pays méditerranéen, dont la majorité des habitants sont chrétiens orthodoxes. CyBC a informé la police d'un appel anonyme menaçant de brûler le bâtiment de ce diffuseur en signe de protestation, a rapporté vendredi l'agence de presse chypriote. La police enquête sur l'incident. »
Par ailleurs : « Un syndicat de professeurs d'éducation religieuse au lycée a publié un communiqué vendredi exprimant son « horreur » au sujet des paroles de la chanson sélectionnée pour la compétition européenne prévue en mai, arguant que la chanteuse « louait Satan, lui dédiait sa vie et l'aimait ». Le syndicat a intimé à CyBC d'abandonner la chanson, tout en s'interrogeant sur les critères retenus par la chaîne pour « sélectionner des chansons d'une si faible qualité. Pourquoi est-ce si difficile de sélectionner des artistes de notre île (...) qui peuvent promouvoir notre culture et notre tradition musicale dans les compétitions de musique internationales ? », s'est également interrogé le syndicat.
Toujours selon la dépêche de l’AFP reprise par Le Figaro, « CyBC a répondu aux attaques en expliquant que la chanson avait été mal comprise et qu'elle s'inspirait de la « lutte éternelle entre le bien et le mal ».
Mais, la virulence des attaques contre la liberté d’expression est toujours présente ; j’espère que la volonté des censeurs ne passera pas cette fois…
Je n'appartiens pas du tout aux fans de l'Eurovision. Je considère que l'institution dans son ensemble est presque vide culturellement, avec une majorité de pays se sentant obligés de choisir des paroles en anglais pour satisfaire je ne sais quelle vanité ou répondre à des impératifs d’universalité mal comprise (pour ma part, je considère que la diversité des langues et des cultures est une richesse pour l’humanité, mais, ça, c’est une autre histoire).
Cependant, ce qui arrive aux théologiens et aux religieux protestataires nous retourne dans les années les plus sombres du Moyen-Age quand on brulait des « sorcières »… C’est comme si la Renaissance, le siècle des Lumières, les Révolutions et les progrès sociaux n’ont jamais existé !
Mais la censure religieuse a toujours existé : Lorsque, par exemple, Baudelaire publiait Les Fleurs du Mal (1857), qui contenait des poèmes beaucoup plus audacieux qu'El Diablo, dont Les Litanies de Satan, la petite bourgeoisie et l’Église ont été offensées. Et les Fleurs du Mal ont été jugées et les poèmes en question ont été censurés. Plus tard, bien sûr, l'œuvre a été restaurée et à ce jour est considérée comme une œuvre majeure de la poésie mondiale et Baudelaire comme l'un des plus grands poètes de l'humanité[3].
Plus précisément, comme le montrent la photo jointe à l’article, les croyants se sont rendus sur place et ont formé une file d'attente pour embrasser les reliques de Saint-Éphraïm qui se trouvent dans cette église[4]. Rappelons qu’en pleine pandémie de covid, les rassemblements sont interdits sur l’île. Contactée la police a déclaré avoir envoyé des membres de sa force sur les lieux.
Il est à noter que selon un journaliste de politis.com.cy qui se trouvait sur place, deux voitures de patrouille sont passées devant l'église, mais ne se sont pas arrêtées. Des vendeurs ambulants ont également été trouvés sur place sans y être autorisés : le temple et ses marchands, en quelque sorte[5].
Et je suis certain que ceux qui condamnent la chanson El Diablo, sont les mêmes qui se prosternent devant les reliques du saint (?), avec un cilice bien serré dans leurs chairs pour montrer qu’ils font pénitence…
[1] La chanson est sur Youtube, avec différentes réactions : https://www.youtube.com/watch?v=gVVP2dCvQJc
[2] https://www.lefigaro.fr/musique/eurovision-2021-la-chanson-diabolique-de-chypre-suscite-la-polemique-20210227
[3] Voir la publication (26 février 2021) de Yannis Ioannou, professeur à l’Université de Chypre, sur son compte Facebook : https://www.facebook.com/profile.php?id=100018836826176
[4] Quotidien O Politis : Politis.com.cy
[5] Idem.
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