Il y a quelques temps le débat national portait sur le « droit de l’Homme » de pouvoir donner la mort à son prochain, dans certains cas. L’euthanasie résonnait à nouveau comme l’état nazi. Certaines vies ne vaudraient plus la peine d’être vécues ? Le commun des mortels s’octroierait légalement le pouvoir d’en décider. Le thème était lancé à la vindicte populaire au mépris de l’urgence sociale de millions de citoyens survivant au seuil de pauvreté et de chômeurs sans cesse plus nombreux. Puis la prostitution venait brièvement faire le trottoir des « sujets de société ». Le clivage se déplaçait ensuite sur la solution miracle contre la drogue. Des « salles de shoot » seraient offertes aux citoyens auto destructeurs, afin qu’ils puissent pratiquer leurs sévices de façon plus officielle. Voilà que les autorités publiques se sentiraient investies dans l’assistance à la mort lente ou plus radicale ? Les plus de 120000 SDF de France attendront pour être une priorité.
En pleine crise économique, l'urgence est-elle vraiment à débattre de l'euthanasie ou des "salles de shoot" ? Le moment est-il indiqué pour décomposer le socle du mariage ? La question ne serait plus d'être "plutôt de Gauche" ou "plutôt de Droite", l'urgence serait d'abord à ne plus exposer le pays à une dépression collective conjointe à la menace d'un chaos économique et social.
Oui, en quelques semaines, la « culture de mort » avait soudainement voix au chapitre, et sur toutes les lignes. Etonnamment, un grand tabou national demeure, celui du suicide de masse.
Les chiffres les plus récents de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) datant de 2009, ayant été collectés en 2008, dénombraient donc en moyenne 10 500 suicides annuels. Un chiffre signifiant, il classe la France parmi les nations les plus touchées en Europe, et caractérise le suicide parmi les problèmes majeurs de santé publique. Alors que le nombre de décès par suicide baissait depuis 1987 (après le pic de 12 525 morts en 1986), les années 2008 et 2009 marquèrent un grand redémarrage à la hausse : 10.127 en 2007, 10.353 en 2008. Les 35-65 ans, donc les actifs supposés, sont les plus concernés, il faut y insister. Pour les chiffres couvrant 2010 et 2011 ? Toute recherche de données réellement fiables serait à ce jour impossible.
Un étonnant décalage de deux années entre la collecte des chiffres et leur publication persiste en France, à contrario de la plupart des pays européens. Un flou plus grand encore demeure s’agissant des tentatives de suicide. Thérèse Hannier, présidente de l’UNPS (l'Union nationale pour la prévention du suicide) affirme son intuition « d’une très nette augmentation ». Le nombre de suicides s'éléve en effet, proportionnellement au chômage et à l’aggravation de la crise.
Les rapports de l'Institut national d'études démographiques et de la Direction de la recherche du Ministère de la santé, basés sur des relevés de 2006, évaluent les tentatives à environ 220.000 cas... Les études antérieures en annonçaient 150.000. Les chiffres parlent d’eux même.
D’ailleurs, le psychiatre et professeur de médecine légale Michel Debout, ex-membre du Conseil économique et social, travaillant sur le sujet depuis quarante ans, ayant créé et présidé quatorze années durant l’UNPS, ne cesse de tirer la sonnette d’alarme. Selon lui, la corrélation entre chômage et suicide est évidente, tragiquement évidente. Il s’interrogeait il y a peu dans la presse spécialisée assurant « qu’on peut craindre le pire pour 2012 et 2013, particulièrement chez les 40-55 ans, alors pourquoi ne met-on pas en place un soutien médical et psychologique aux chômeurs ? ». Il pose régulièrement cette question de bon sens, laquelle se heurte à une fin de non recevoir. Pourquoi ?
Toujours selon le Pr Debout, chef du service de médecine légale au CHU de Saint-Étienne " ces suicides sont le reflet de la situation de crise avec les menaces sur l'emploi, la pauvreté, le surendettement, et un nombre croissant de personnes ayant du mal à faire face aux réalités de la vie". Les derniers relevés du champ de bataille recouvrent donc annuellement 3 ou 4 fois plus de victimes de la « mortalité sociale » comparativement aux décès constatés sur les voies routières. Bien sûr, la gravité est égale pour tous ces phénomènes de société. Une tragédie reste une tragédie. Néanmoins, que penser de cet évitement manifeste face au suicide ?
Pour tout ce qu’elles remettent en question, et déjà l’information elle-même, retenons que les plus de 10500 personnes mettant fin à leur vie chaque année en France, souffrent d’abord d’être ignorées et passées sous silence, niées. Ce drame caché dérange bien des institutions et acteurs de la société. L’actualité regorge aussi de voisins de pallier ignorés de tous, jusqu’à valider un jour leur décès face à une odeur de cadavre qui se répand dans un couloir. Le délitement du lien familial caractérise un autre fait de société conjoint. A trop "tuer le père" on y perd souvent tous ses repères.Tout le monde est ainsi responsable. Chacun se sent à juste titre un peu coupable. Le Vivre ensemble est moribond.
Voir le pays « des droits de l’Homme » ne plus laisser suffisamment croire à des centaines de milliers de ses citoyens qu’ils bénéficient encore du droit premier de vivre ? En effet, cela interroge. Parler de « cas individuels » face à un drame sans cesse renouvelé et situé à une telle échelle de grandeur ? Parler de « communauté nationale » quand un flot permanent de citoyens se retrouve acculé à se tuer, souvent pour lancer un dernier cri de révolte ou de désespérance absolues. En choisissant de mourir, affirmer une dernière fois son existence ? La motivation relève de l’intime. Prétendre encore disposer d’un des meilleurs systèmes sociaux ? La société toute entière devient passible de l’accusation de non assistance à personnes en danger de mort.
Certains élus ayant osé parler « d’assistés » ou de "parasites" s’agissant notamment des 90 % (selon les enquêtes du Pole Emploi) de chômeurs mettant toute leur énergie, aussi celle du désespoir, pour se réintégrer dans la vie active, autant d’énergie que mettent les millions de survivants au seuil de pauvreté pour pallier à leurs besoins vitaux, oui vraiment, certaines personnalités de premier plan auraient de quoi rougir de honte le restant de leur vie pour les offenses qu’elles infligèrent à des millions de citoyens. Le temps serait venu de rappeler aussi les droits, pas seulement les devoirs. Le droit de vivre ?
Finalement, tout un modèle de société se trouve mis en cause, ou mis en échec, face au fléau du suicide, devenu collectif. Que les plus hautes autorités créent des débats alimentant plus ou moins une « culture de mort » ne recouvre pas l’attitude la plus appropriée. Faudra t’il ajouter aux frontons de nos mairies le principe de Vie ?
Durant la dernière campagne électorale (quel candidat eut le courage d’évoquer le drame national qui nous occupe ?) le pouvoir actuel s’engageait à signer 150000 « contrats d’avenir ». Pour peu que l’on comptabilise les victimes de la « mortalité sociale », ce recrutement aidé perd soudain beaucoup de sa superbe. Faisons avec précision « l’état des lieux » de la France suicidaire. Rappelons le, notre pays marque par un taux de suicide parmi les plus élevés d'Europe.
Seuls la Finlande, les pays Baltes, la Hongrie et la Slovénie sont donc confrontés à un chaos mortifère plus dense encore. Dans l'hexagone, près d'un décès sur 50 fait suite à un suicide. Un décès sur 50 ? ! Les hommes représentent 75% des cas, soit 7739 décès masculins, face à 2725 décès féminins, selon la dernière évaluation. Paradoxalement, les tentatives et les pensées suicidaires sont davantage attribuées aux femmes. Elles sont plus nombreuses à avoir déjà fait une tentative au cours de leur existence. Les méthodes choisies par les hommes (pendaison, arme à feu...), toujours plus radicales, expliqueraient cet écart entre les deux sexes. Il serait grand temps de rétablir la dimension sacrée de la vie.
Alors que l’âge auquel on situe la classe des « seniors », celle des 45 et 54 ans, ne cesse d’être abaissé, gardons que cette tranche de la population reste aussi la plus suicidaire. La France théoriquement la plus active deviendrait la plus mortifère ? Les personnes âgées marquent par un accroissement relatif à ce type de fin de vie tragique. Notre société « moderne » gagnerait à respecter autant ses anciens que les sociétés dites « primitives ». Quoi qu’il en soit, un pays qui se prive ou piétine ses forces vives ne saurait être que plus globalement en sursis. Cette France du suicide rassemble une population que l’on définit volontiers comme « dans la force de l’âge ». La désespérante frappe autant la maturité que la post adolescence des ambitions logiquement les plus idéales. Comme l'Histoire l'a démontré en 1929, avec alors, une hausse très significative des suicides constatés sur deux ou trois ans après le démarrage de la crise, la menace d’un séisme humain est aujourd’hui bien réelle. Alors ?
Le suicide de masse doit participer au plus tôt d’une cause nationale d’urgence. Le principe premier de vie se nourrit aussi de la vérité. Le maintien dans le secret fonde ce type de passage à l’acte. La France traverse « sa » crise. La réconciliation nationale passera par la prise en compte première des plus fragiles, des plus éprouvés, les millions de victimes d’une guerre économique à rallonge, mais pas seulement.
Pour peu que l’on se souvienne des records avérés de pessimisme frappant notre pays comparativement au monde entier, se plaçant même en tête de la négativité loin devant des pays théoriquement plus « pauvres » ou en voie de développement, difficile de ne pas admettre que la France marque par une "maladie" sociétale, propre à elle-même.
En réponse à cette désespérance collective, tout semble fait parfois pour accroître plus encore la « culture de mort » ambiante. La promotion d’un monde sans Dieu autre que l’Homme, voire, d’une religion laïque obligatoire s’apparentant essentiellement à l’athéisme érigé en symbole de modernité supposée, tout converge vers un seul schéma de pensée, unique. La valeur de l’Humain n’est vraiment pas cotée en Bourse.
Loin de s’inscrire seulement en traduction de cette « culture de mort », le suicide de masse raisonne d’abord comme un hurlement muet, un SOS de vie en détresse que la société actuelle s’envoie à elle-même. Hélas, nous nous réfugions trop souvent dans une profonde et lâche surdité volontaire, cet aveuglement délibéré de confort.
Affronter et solutionner une telle tragédie sanitaire et sociale, Humaine, plutôt que de divertir régulièrement le peuple avec des « sujets de société » relève de l’ éthique de gouvernance dont aucun Pouvoir ne gagnera jamais à s’écarter, dans l’intérêt de la noble mission possible du Politique, face à un peuple, face à l’Histoire. Aucune priorité ne saurait prévaloir sur la défense et préservation de la Vie même.
Guillaume Boucard