Eva Joly, la Mère Fouettarde de la République française ?
Coincée par le jeu des appareils politiques, incapable de faire de la politique, la candidate des Verts est à plaindre ou à combattre…
La candidate des Verts (EELV) Eva Joly ne fait pas dans la dentelle et on peut même dire qu’elle ne parle pas la langue de bois, du moins, « du bois dont on fait les marionnettes », comme elle s’est amusée à le dire, la diction triste, devant un David Pujadas frétillant en plein journal télévisé le 22 novembre 2011, histoire d’envoyer une boule puante aux socialistes qui obéiraient, selon elle, aux consignes de l’industrie nucléaire.
Mon opinion sur elle est bien partagée. Maintenant qu’on la "lynche" pour de mauvaises raisons, j’aurais presque envie de la soutenir, mais politiquement, cela va m’être très difficile.
Un "lynchage" hypocrite
Ce qu’on lui reproche, c’est ce qu’on reproche à tous les candidats susceptibles de ne pas être présents au second tour de l’élection présidentielle : quelle serait alors leur attitude entre les deux tours ? La question est pertinente, essentielle, classique, mais la réponse ne peut être que langue de bois : pourquoi un candidat s’avouerait-il immédiatement vaincu ? Si c’était le cas, pas même la peine de concourir. Moins de frais, de stress, d’énergie gaspillée… C’est le même problème d’ailleurs pour Jean-Luc Mélenchon : soutiendra-t-il François Hollande au second tour ? On ne place même pas le conditionnel.
Alors, ma foi, je trouve tout à fait normal qu’Eva Joly ne dise pas à cinq mois exactement qu’elle voterait finalement pour François Hollande au second tour. D’une part, cela incite ses électeurs potentiels à aller voter pour François Hollande dès le premier tour (tout le monde sait que la dynamique du premier tour est une condition du succès au second) ; d’autre part, juste après l’accord "calamiteux" entre le PS et EELV, elle, qui avait prononcé des mots définitifs, ne pouvait décemment pas se renier si rapidement.
Donc, elle n’a pu que louvoyer, laisser entendre qu’elle a le même "ennemi" (le mot est beaucoup trop fort et me choque : nous ne sommes pas en guerre civile, j’aurais préféré le mot "adversaire" ; je le mets sur sa "norvégianité") que le PS… mais cela n’a pas suffi et le tir de barrage a dû provenir au départ du PS (donc pas seulement du "Figaro" !) pour conforter la différenciation et la "gauche-duritude" de François Hollande (il s’est d’ailleurs attiré à cette occasion la grande sympathie de Jean-Pierre Chevènement).
Laborieusement, Eva Joly a dû mieux clarifier sa position en émettant sur Twitter un laconique : « Évidemment, au second tour, la gauche et les écolos devront se rassembler. » prouvant une fois encore que la réelle couleur des Verts est le rose !
Discordances internes
Cela dit, il y a une réelle et double "schizophrénie" (désolé pour l’image) dans ces accords PS-EELV : d’une part, au PS, on a bien cherché à se différencier du candidat François Hollande (était-ce calculé ou était-ce une sournoiserie entre éléphants ?) et d’autre part, chez les Verts, c’est bien pire puisque Eva Joly n’a semble-t-il jamais été impliquée dans les négociations menées par Cécile Duflot.
Il y a effectivement une réelle divergence de perspective entre la (malheureuse) candidate des Verts et l’appareil de son parti : sous la houlette de Cécile Duflot et Jean-Vincent Placé, l’appareil de EELV qu’ils ont su conquérir est déterminé à faire vraiment de la politique avec ce que cela implique en terme d’ambitions personnelles. Pour eux, l’objectif est d’avoir en juin 2012 un groupe écologiste dans chacune des assemblées parlementaires : Sénat et Assemblée Nationale. Pour cela, ils doivent bénéficier de la bienveillance électorale du PS qui (à mon sens) n’a aucune contrepartie (Bertrand Delanoë voit d’un très mauvais œil l’arrivée à Paris de Cécile Duflot qui aurait des vues sur la mairie en 2014 avant l’élection présidentielle de 2017).
Même s’il était en opposition de motion au printemps, c’était également la position de Daniel Cohn-Bendit qui voulait même aller plus loin : ne pas présenter de candidat à l’élection présidentielle, en présenter un à la primaire socialiste pour mettre les thèmes écologistes au cœur du débat présidentiel et ne se focaliser que sur les élections législatives. L’idée, c’était de garder le souvenir des 16% aux européennes de juin 2009 ou des 12% aux régionales de mars 2010 et ne pas se compter (chichement) le 22 avril 2012 (scrutin particulièrement difficile pour les écologistes ; Dominique Voynet n’a même pas atteint 2% le 22 avril 2007 !).
Concrètement, personne dans l’appareil de EELV ne se soucie plus vraiment de la campagne présidentielle. Les négociations avec le PS sont terminées, il n’y a plus besoin de rapport de forces. Eva Joly se retrouve donc mécaniquement bien seule. C’est d’ailleurs assez cocasse d’entendre des apparatchiks comme Noël Mamère, Denis Baupin ou Yves Cochet lui demander de « jouer plus collectif » alors qu’elle a été volontairement isolée (et l’éloignement de Nicolas Hulot a prouvé a posteriori qu’il n’avait rien à faire dans cette galère).
Intransigeance
Si, sur la forme, j’aurais donc tendance à vouloir soutenir Eva Joly qui se retrouve prise en tenaille dans la méchante logique des ambitions politiques, j’aurais beaucoup plus de mal à la soutenir sur le fond car elle me fait peur.
Ce qui me fait peur surtout, indépendamment des prises de position sur tel ou tel sujet (où l’on peut être d’accord ou pas), c’est cette impression que pour elle, il n’y a aucun débat à avoir et qu’elle veut imposer ses vues. Imposer ses vues quand on pèse moins de 5% des voix, cela ne s’appelle guère démocratie. Surtout quand on veut l’imposer à quelqu’un qui est le favori de l’élection.
Je n’emploierais pas l’expression de "prise d’otages" qui est très excessive dans une époque de réelles prises d’otages parfois sanglantes, comme au Niger ou au Kenya (et deux autres Français viennent d’être kidnappés au Mali le 24 novembre 2011), mais l’idée est là. Celle de faire sans arrêt du chantage avec les socialistes pour avancer ses pions (le dernier chantage, c’était lors de l’élection de Jean-Pierre Bel à la Présidence du Sénat).
Idéologie antinucléaire
Sur le nucléaire, aucun débat n’a eu lieu, ni au sein du PS (y a-t-il eu au moins une convention interne sur le sujet ? comment le PS a-t-il déterminé ses positions sur ce thème ?), ni au sein du Parlement, à peine lors de la précédente campagne présidentielle, mais la démagogie de la peur, donc basée sur l’émotion, l’a emporté sur la raison et les arguments structurés. Les Verts se conduisent avec la catastrophe de Fukushima exactement comme un certain nombre de personnalités de l’UMP avec l’odieux assassinat d’Agnès : jouer sur l’émotion et en profiter pour renforcer une idéologie.
Daniel Cohn-Bendit a d’ailleurs raison lorsque le 23 novembre 2011, il regrettait le manque d’explication. Il précisait en effet que les Français ne sont pas majoritairement "contre" le nucléaire mais que majoritairement, ils doutent. Et donc, que l’antinucléarisme primaire ne va pas de soi pour l’immense majorité des Français.
Il n’y a pas vraiment plus d’argumentation dans le camp d’en face, favorable au nucléaire, que ce soit au sein du PS (rappelons que l’ancienne présidente d’Areva fut l’une des collaboratrices les plus proches du Président François Mitterrand) ou au sein du pouvoir actuel.
Par exemple, il y a un argument qui me gêne terriblement, c’est celui de l’emploi : le démantèlement des centrales nucléaires coûterait des centaines de milliers d’emplois à la France.
Cette vérité est refusée par les écologistes qui pensent qu’on pourrait se reconvertir comme par magie dans le secteur des énergies renouvelables ou même dans la nouvelle "filière" du démantèlement. Cette idée de croire qu’on peut déplacer comme un pion un employé d’une compétence très spécialisée vers une autre est une utopie de macro-économiste (la même qui a imposé les 35 heures). Demandez à la direction des ressources humaines d’une station de radio, par exemple, comment réaffecter son personnel technique avec les évolutions technologiques actuelles (tout numérique).
Mais malgré cette vérité, l’argument n’est pas vraiment recevable : si le nucléaire faisait courir trop de risque, alors, il ne s’agirait pas de parler d’emplois mais de vies humaines, et dans ce cas, il faudrait arrêter toutes les centrales nucléaires (pourquoi arrêter seulement vingt-quatre réacteurs ? Les uns seraient dangereux, pas les autres ?). On a trop bien compris ce qu’il s’est passé pour l’amiante où une sorte de consensus implicite entre le patronat, les syndicats et les pouvoirs publics a laissé filer la catastrophe qui va encore coûter humainement très cher.
C’est pour cela que la position des Verts sur le nucléaire est idéologique : il ne s’agit pas de réfléchir à l’intérêt général pris globalement dans son ensemble : besoin en énergie + tous les risques, au niveau national mais aussi à l’échelle planétaire, mais de saborder une industrie sans logique environnementale de rechange.
Car la logique environnementale, avec le changement climatique, c’est de limiter au maximum les énergies fossiles (les réserves ne sont de toute façon pas inépuisables). Or, rien ne nous est proposé en compensation du démantèlement des centrales nucléaires : les énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque) ne sont pas une solution viable sans les coupler avec des centrales thermiques classiques pour réguler la production. La décision de l’Allemagne est d’une incroyable hypocrisie puisque son retrait du nucléaire va s’accompagner d’un retour au charbon et de l’achat de l’électricité… française provenant de nos centrales nucléaires !
Discours "totalisant"
Plus généralement, le comportement sur le nucléaire l’est également sur d’autres sujets et c’est cela qui me fait frémir, car la plupart des propos sont de registre "totalitaire", je ne dis pas contre les libertés publiques (je n’ai aucune inquiétude sur le sujet, au contraire d’une autre idéologue de pacotille), mais se voulant "totalisants", "globalisants", et rappellent les derniers vrais idéologues en politique (que j’oppose aux pragmatiques), qui étaient les communistes dans les années 1960.
C’est peut-être pour cette raison que certains ont introduit (trop exagérément) l’expression "Khmers verts" ou évoqué l’incorruptible Robespierre.
Sagesse et politique
Moi, plus modestement, je me demanderais plutôt si Eva Joly ne voudrait pas nous jouer le rôle de la Mère Fouettarde. Les Lorrains (entre autres) savent que le Père Fouettard se tient tous les 6 décembre (c’est bientôt) auprès de …saint Nicolas (eh oui !) pour punir les enfants qui auraient mal agi (pendant que saint Nicolas distribue des bonbons aux enfants sages, n’y voyez aucun clientélisme !).
Car c’est l’impression qu’elle me donne, celle d’une donneuse de leçon, qui donne ou refuse ses points. À la voir exprimer sa colère parce que les socialistes n’ont pas agi "sagement". À comprendre cette supposée pureté d’une République dite exemplaire, sans aucune compromission avec la loi (jusqu’où ? jusqu’aux contredanses ?) qu’elle veut prôner. À la manière dont elle veut se servir de son expérience de juge (son seul atout) pour revenir à un certain ordre moral, pour établir une sorte de régime aseptisé fait uniquement d’interdits et d’autorisations…
Tout cela, en ce qui me concerne, me ferait peur : non que je prône la corruption et les malversations (que je combats comme tout honnête citoyen), mais parce que vouloir la perfection des comportements, c’est comme prôner le paradis sur Terre, ça ne peut mener qu’au désastre humain. Ce n’est pas avec des règles globalisantes qu’on peut superviser une société de plus en plus complexe, mais avec une connaissance diversifiée de toutes les spécificités dont elle est composée.
Ce qu’Eva Joly fait, depuis qu’elle est en campagne, ce n’est pas de la politique, finalement, mais de la morale…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 novembre 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Tout va bien, madame la Marquise !
Hollande coincé entre Joly et Chevènement.
La stratégie des Verts.
Eva Joly et Nicolas Hulot.
Jean-Vincent Placé sénateur.
Cécile Duflot.
Daniel Cohn-Bendit.
Débat présidentiel sur le nucléaire.
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