Exclusif : la Légion d’honneur pour le Lieutenant-colonel Jean-Michel BEAU, l’honneur de la République
Une décoration honore en général celui qui la reçoit. Mais il arrive que ce soit le contraire : c’est celui qui la reçoit qui magnifie la distinction accordée. La légion d’honneur qui vient, par décret du Président de la République, d’être attribuée, le 11 mai 2009, au Lieutenant-Colonel Jean-Michel Beau, prend un éclat qu’elle n’a pas toujours selon les récipiendaires. Qui aurait prédit qu’un jour, elle viendrait s’illustrer au revers de sa veste ?
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Trompé et humilié par ses frères d’armes et la présidence de la République
Jean-Michel Beau est ce commandant de gendarmerie qu’on a traîné dans la boue depuis qu’il a osé révéler le montage frauduleux opéré par la cellule antiterroriste élyséenne du commandant Prouteau, pour faire croire à son efficacité, le 28 août 1982, lors de l’arrestation des « Irlandais de Vincennes ». Convaincu par ses frères d’armes d’avoir affaire à de dangereux terroristes, il avait, dans un premier temps, accepté de couvrir les irrégularités de la procédure jugées bénignes en regard des suspects arrêtés : absence d’uniforme et surtout commencement de perquisition du domicile en l’absence des locataires et d’un officier de police judiciaire. Entre deux maux, le commandant Beau avait accepté de choisir le moindre. Et il avait demandé à ses subordonnés de s’en tenir à la version officielle des conditions d’arrestation dictée par l’Élysée.
Mais bientôt des informations circulent sur la manière douteuse dont s’est déroulée la perquisition et voilà le commandant Beau inculpé de subornation de témoins en juin 1983. C’est alors la curée. On le stigmatise comme le font les fauves envers l’âne de la fable de la Fontaine, « Les animaux malades de la peste », « ce pelé, ce galeux, d’où (vient) tout (le) mal ». Lui, l’officier de police judiciaire, expert en procédure, en instance d’affectation au commandement de la section de recherches de la gendarmerie de Paris au moment des faits, entend ses frères d’armes, Prouteau et Barril, soutenir qu’il n’y connaît rien en fait : s’il y a un coupable, c’est lui qui a validé une procédure irrégulière. Eux n’y sont pour rien : la procédure, c’est pas leur rayon ! Qui parle d’armes apportées sur place ?
En 1985, J.-M. Beau acquiert pourtant la preuve que les armes et explosifs ont été apportés sur place pour mieux confondre les personnes à arrêter et qu’on s’est servi de lui à son insu pour le cacher. Il décide en conscience de dénoncer publiquement cette atteinte délibérée aux libertés publiques par les hommes du président Mitterrand. Entre temps, dès 1983, il a été muté dans « un placard ». Il finit par démissionner de la gendarmerie mais avec la ferme intention que la justice établisse les responsabilités de chacun. Car lui assume les siennes ; il veut que les autres en fassent autant : il ne le nie pas, il a couvert des irrégularités de procédure puisque des frères d’armes lui disaient qu’il y allait de la raison d’État, mais il ignorait tout du montage frauduleux opéré par les hommes de la cellule de l’Élysée.
La vérité, 24 ans après !
Seulement, la justice aux ordres de la présidence ne veut rien savoir : elle saucissonne l’affaire en plusieurs informations qui s’enlisent. Elle sait perdre du temps pour en gagner. Elle joue apparemment la prescription, sauf quand il s’agit de sauver le commandant Prouteau en 1991 poursuivi lui aussi pour subornation de témoins. Deux petits mois – un record judiciaire ! - séparent le jugement de première instance de l’arrêt de la cour d’appel qui le relaxe au bénéfice du doute et condamne Jean-Michel Beau pour une subornation de témoins qu’il a hautement revendiquée puisqu’il a décidé d’assumer seul la responsabilité de la version falsifiée de l’arrestation des Irlandais de Vincennes… que l’Élysée avait imposée. Ce sera la seule condamnation judiciaire dans « l’affaire des Irlandais de Vincennes » : les poseurs d’armes et d’explosifs à domicile ne seront jamais inquiétés jusqu’à ce que le crime soit prescrit !
Il faudra attendre le 5 décembre 2006, vers 20 h 30, pour entendre le colonel-préfet Prouteau cracher pourtant le morceau à la présidente de la Cour d’appel qui, excédée par ses atermoiements, le morigène : « Mais enfin, Monsieur Prouteau, s’indigne-t-elle, vous saviez que Barril avait déposé les armes ?
- Oui, Madame, Paul a chargé la mule ! » (1)
Voilà vingt-quatre ans qu’obstinément il soutenait le contraire : il n’avait rien su de ces armes apportées par son second au domicile des Irlandais pour être sûr de les confondre ! C’était le commandant Beau qui avait gâché la procédure !
Les hauts fonctionnaires de l’Élysée condamnés pour "faute personnelle"
Mais ce procès où M. Prouteau se met à table, est celui de la seconde affaire, « les écoutes téléphoniques de l’Élysée », qui est née naturellement pour l’essentiel de la première, « l’affaire des Irlandais de Vincennes » : parmi le millier de citoyens dont l’Élysée traquait les conversations téléphoniques, le commandant Beau a été mis sur écoute par la cellule de l’Élysée parce qu’il en savait trop et qu’il fallait coûte que coûte neutraliser sa défense dans les procédures engagées : le 19 janvier 2005, M. Prouteau qui avait toujours nié d’en avoir eu connaissance, se repent en cours d’audience du Tribunal correctionnel : « Je n’ai pas dit la vérité, avoue-t-il. J’avais les transcriptions (des écoutes) ». La procédure avait commencé 12 ans plus tôt en 1993. Et la justice avait tenté, une fois encore, de faire traîner pour jouer la montre et la prescription afin d’épargner aux hommes du président Mitterrand l’infâmie du tribunal. Peine perdue ! Jean-Michel Beau était une des victimes des écoutes qui veillait au grain.
Qu’à cela ne tienne ! En novembre 2005, le tribunal correctionnel ose encore se montrer d’une indulgence coupable envers la bande des écouteurs de l’Élysée. Il a prétendu n’y voir qu’ « une faute de service » qui n’engageait pas leur responsabilité personnelle et donc les dispensait de verser des indemnités en réparation des préjudices commis ; c’était à l’État que les victimes devaient s’adresser pour cela. Quelques unes d’entre elles, dont J-M. Beau et Carole Bouquet, ont trouvé le jugement indigne et ont donc fait appel. Et là, - miracle ! - la cour d’appel de Paris, en mars 2007, leur a donné raison. Elle a infirmé le jugement : ce n’était pas « une faute de service » que ces fonctionnaires dévoyés avaient commise, mais « une faute personnelle détachable du service » ; ils étaient donc condamnés à verser des dommages et intérêts aux victimes.
Les attendus sévères ont analysé l’étendue des ravages infligés simultanément à la République française. Ils méritent d’être rappelés : « L’autorité légitime arguée par les prévenus pour permettre la qualification des délits qu’ils ont commis en faute de service, a estimé la Cour d’appel, ne peut être reconnue en faveur d’un officier supérieur de la Gendarmerie et de hauts fonctionnaires dès lors qu’aucune disposition légale ne leur imposait une obéissance inconditionnelle à des ordres manifestement illégaux (…) du président de la République. (…) Ces délits d’une extrême gravité jettent le discrédit sur l’ensemble de la fonction publique civile et militaire, affaiblissant l’autorité de l’Etat dans l’opinion publique, n’excluant nullement la satisfaction de leurs intérêts personnels, telle la garantie d’une évolution intéressante de leur carrière ou la conservation d’avantages à raison de leur proximité avec les plus hautes autorités de l’Etat, outre leur volonté d’éviter la divulgation d’agissements peu glorieux. ». Les prévenus ont eu beau se pourvoir en cassation : le 30 septembre 2008, la cour de cassation a confirmé l’arrêt de la cour d’appel et condamné définitivement la bande des écouteurs de l’Élysée (2)
Jean-Michel Beau, un héros de la République
Il n’est pas exagéré de soutenir que, durant 26 ans, face à une bande malfaisante d’hommes sans foi ni loi qui, à la présidence de la République, violaient la loi d’autant plus tranquillement qu’ils étaient sûrs de leur impunité, grâce à un appareil judiciaire longtemps aux ordres et sans honneur, un homme s’est dressé avec cette inconscience folle de l’héroïsme d’une simple conscience qui dit obstinément non à la jungle qui l’entoure quoi qu’il lui en coûte : il n’a ménagé, en effet, ni carrière ni vie personnelle pour qu’éclate la vérité et que chacun assume ses responsabilités. Cet homme, ce héros, se nomme Jean-Michel Beau. Tandis que les plus hauts responsables de l’État se vautraient dans l’indignité et foulaient aux pieds les libertés fondamentales des citoyens, il a, à lui seul, par son courage et sa détermination, défendu les valeurs de la République pour le bonheur de tous.
Rarement Légion d’honneur aura été mieux portée. Et en toute logique, cette réhabilitation nationale devrait être complétée par la reconstitution de carrière d’un officier à qui la République doit de n’avoir pas sombré dans le déshonneur où l’entraînaient les plus hauts responsables de l’État (3). Paul Villach
(1) Paul Villach , « Une dignité cher payée : « L’affaire des Irlandais de Vincennes - 1982-2007 - ou l’honneur d’un gendarme » un livre signé Jean-Michel Beau paru aux Édition Fayard, Agoravox, 18 mars 2008 :
(2) Les sept coupables sont les suivants : MM.
- Gilles Ménage, ancien directeur adjoint du cabinet de François Mitterrand,
- Christian Prouteau, chef de la « cellule de l’Elysée »,
- Pierre Charroy, ex-commandant du groupement interministériel de contrôle,
- Pierre-Yves Gilleron, ancien commissaire de la DST,
- Louis Schweitzer, ex-directeur de cabinet de Laurent Fabius à l’Hôtel Matignon,
- le général Jean-Louis Esquivier,
- l’ex-capitaine Paul Barril, membre de « la cellule de l’Élysée ».
(3) Autres articles relatant l’affaire parus sur Agoravox
- Paul Villach , « Les écoutes de l’Élysée » : la Cour d’appel de Paris à l’écoute... d’une nouvelle civilisation », Agoravox, 19 mars 2007.
- Paul Villach, « Est-ce à l’État de payer en cas de "faute personnelle" commise par un fonctionnaire ? » , Agoravox, 7 juillet 2008.
- Paul Villach, « Écoutes téléphoniques de l’Élysée : des fonctionnaires enfin personnellement responsables ? », Agoravox, 3 septembre 2008.
- Paul Villach, « Les écoutes téléphoniques de l’Élysée : « une faute personnelle » de fonctionnaires dévoyés, confirme définitivement la Cour de cassation », Agoravox, 1er octobre 2008
Et pour le plaisir, voir l’interview stupéfiante du président Mitterrand niant l’existence des écoutes téléphoniques de l’Élysée : avant de clore brutalement l’entretien, il jure ses grands dieux devant des journalistes belges qu’il n’a jamais vu d’écoutes téléphoniques, qu’il ne sait même pas comment c’est fait et qu’il ne pensait pas que ses interlocuteurs allaient « tomber si bas », en l’interrogeant sur ce sujet ! La vidéo qui reste est un grand moment d’éducation civique : http://www.youtube.com/watch?v=8XVe...
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