Extase automnale
Voilà, il va partir, ce sont ses derniers jours, ses derniers tours de roue...
Pour les lecteurs d’AgoraVox, ce sera peut-être déjà derrière.
Je ne sais si vous êtes comme moi, mais l’automne, je le ressens comme la plus belle saison de l’année, comme les mois que je préfère. Cette fois encore, il s’est habillé de ses plus beaux atours. Le beau temps a ajouté ce qu’il fallait pour combler le plus insensible des beautés de la nature.
Si le printemps apporte le renouveau avec son cortège annonciateur de lumières, de nature en reconstruction après une période de sommeil hivernal long et éprouvant pour les nerfs et générateur de tristesse, l’automne en précurseur, en intermédiaire entre les deux faces du miroir, a également une position de choix pleine d’espérances.
Il donne les couleurs de la nostalgie, peut-être, après des vacances au soleil, mais alors quel concert de couleurs. Certains l’appellent "L’été indien". Joé Dassin en le chantant pensait à l’automne d’outre-Atlantique dans les campagnes canadiennes.
Il avait raison. Mais j’ai aussi raison. L’échelle change, c’est la seule différence. Les couleurs sont toutes là, rassemblées en bouquets désordonnés ou en rangs d’honneur. Ces grappes se posent, se superposent, s’enchevêtrent en couches serrées. Ce qui est petit pour les grandes surfaces du Canada, n’est-il pas gentil ? Il n’y a plus qu’à planter son chevalet et sortir palette et pinceaux. Le décor est planté pour les exploits picturaux. Si le temps manque, les photos pourront donner l’illusion de la poésie interne sans parvenir à l’évasion picturale réelle.
Comme vous l’avez peut-être appris, j’aime me lancer à corps perdu sur les chemins forestiers de l’aventure en miniature. Alors, lors de ces occasions de plénitude, je m’assois sur l’herbe, camouflée par l’ocre des feuilles. En position surélevée avec, en général, un petit lac en avant plan, je regarde, sans bouger, pendant un temps dont j’oublie les minutes. Prendre ensuite la plume et le carnet de notes qui ne me quitte pas, et rêver tout simplement.
Là, le ravissement est complet. Plus besoin de s’évader vers des sites enchanteurs aux bleus paradisiaques. Le paradis, il est à destination, à ma porte. Il n’y a plus qu’à prendre le temps de le voir, de le sentir, de l’entendre, de le toucher. Le goûter sera, peut-être, pour plus tard, après la récolte de ce que l’on y découvre au détour d’un chemin.
Mon album de photos numériques, réfugié sur mon PC, ne désemplit pas avec ces photos sous tous les angles de cette saison pleine de promesses. Toujours à la recherche vaine de la reproduction de l’impossible perfection, du sublime moment qui n’existe qu’en naturel pendant cette période courte de trois mois de l’année. L’espace disque nécessaire au stockage de ces photos-là prend une place non négligeable dans les profondeurs de mon sauvetage de souvenirs.
Le ciel, qu’il soit bleu ou gris, rien ne fait démériter la forêt. La lumière vive ou blafarde apporte l’éclat brillant ou toujours suffisant pour éblouir le regard averti. Le monde féerique et imaginaire dans sa splendeur en écho avec l’esprit.
Au sol, les champignons s’étirent paresseusement le cou au maximum pour aller voir plus haut et happer la fraîcheur de la rosée enrobée de lumière.
Dans l’air, la mouette s’attarde et essaie de se rappeler les moments de grâce vus d’en haut ; probablement les images greffées par les gènes n’ont pas manqué de prendre racine. Imaginons que l’évolution concrétisée par la théorie de Darwin n’ait pas prolongé cette envie de souvenirs féeriques. Que de lacunes, que de manques à gagner pour, nous, les suivants dans la chaîne.
La fraîcheur de l’air contraste avec les chaleurs d’un été encore dans la mémoire de la nature.
Les derniers effluves des plantes odorantes transpirent une dernière fois. Cela ne durera pas. L’hiver aura son mot à dire bientôt en effaçant jusqu’au printemps les couleurs d’un trait de plume volante.
Le vent berce encore légèrement les arbres tout en les dénudant progressivement ; très probablement sont-ils contents de se reposer du poids de feuilles qu’ils ont dû endurer pendant un été lourd de chaleur.
Au gré d’un plaisir bien dissimulé, ces feuilles décident à se laisser aller au gré de la bise, pas pressées du tout de regagner le sol en perdition et de rejoindre leurs compagnes plus empressées.
En effet, les troncs dénudés de proche en proche semblent soulagés du poids et que la fête finisse.
Le tapis que les feuilles forment en finale s’épaissit, gonfle pour apporter l’élasticité, le duvet sous les pieds du promeneur.
Celui-ci ne s’y trompe pas, il sait qu’il a été invité à une "spéciale", à un moment privilégié. Alors, il s’arrête, ému devant le paysage offert. Sort l’objectif, le doigt sur la gâchette de l’appareil photo ou vidéo. Sans discontinuer, changeant d’angle, mais sans beaucoup bouger, il "prend son pied" au propre comme au figuré.
Si d’aventure, une mare, un petit lac au creux d’un vallon glisse, ondule dans le scintillement d’un contre-jour et croise ainsi une partie de son oculaire, il sait d’instinct que la photo sera bonne. Alors, ça clique, ça déclique, tout en silence et dans des positions alambiquées. Ensuite, il regarde, tout enfievré, les résultats dans le petit écran de l’appareil. Content, il reprend de plus belle, il presse et dépresse pas encore conscient qu’il aura des problèmes après pour débroussailler tout cela sur l’ordi.
Peindre dans ces conditions relève presque de la gageure, qui titille la main sans pinceau de l’artiste.
L’impressionnisme, le presque surréalisme est bien là. Comment rester insensible au spectacle créé divinement pour la seule beauté des yeux ?
Tout a jauni, bruni dans les tons les plus chauds. Une symphonie de couleurs pastel faisant place à un dégradé plus expressif. Symphonie sans musique tonitruante pourtant. Une paix intense s’en dégage, voulue de toutes parts, irréelle mais tellement attendue. Plénitude de l’âme.
Les orages, on s’en doute, arriveront tôt ou tard, et feront effondrer ce qui reste au sommet de ces vertes cimes, muées en dégradés de jaunes vers l’absence.
Le temps reprendra son cours comme de coutume. Tout rentrera dans l’ordre établi comme il se doit. C’est la nature des choses, se dira-t-on.
Doucettement, imperceptiblement, j’aurai vécu une part d’un autre été indien.
La vie sous toutes ses formes ne peut s’évader de la marche en avant, ni dévier trop longtemps.
Cette troisième période de vie de l’année est en ligne directe avec celle qui a été prêtée à l’homme. Point pour point.
Je vous avais déjà proposé une association semblable dans mon article "Quartiers d’été". Je la reprenais encore dans l’article de transition "Et si c’était à refaire".
Une vie, un an, seulement une promenade d’espace-temps avec pour seul ajustement un facteur correctif.
Heureusement, il y a les moments de grâce que je viens de vous souffler à l’oreille.
L’espoir que tout s’y arrête un long moment est vain, mais j’aurai essayé.
Alors, puisque tu prends la relève, bonjour "hiver".
L’Enfoiré,
Citations :
Attention, ces images pourraient vous faire rêver."Automne. Le post-scriptum du soleil." Pierre Véron
"L’automne est le printemps de l’hiver." Henri de Toulouse-Lautrec
"L’automne est une demeure d’or et de pluie." Jacques Sessex
"L’automne raconte à la terre les feuilles qu’elle a prêtées à l’été." Georg Christoph Lichtenberg
"L’automne est un andante mélancolique et gracieux qui prépare admirablement le solennel adagio de l’hiver." Georges Sand
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