Exterminer, expulser, recoloniser : les objectifs d’Israël au nord de Gaza
Par Idan Landau, 1er novembre 2024, 972mag.com
Traduction Alain Marshal
+972 Magazine est la version anglaise du site israélo-palestinien « Sikha Mekomit » (« Appel local » en hébreu), lancé en 2010 par Noam Sheizaf, un contributeur régulier à Foreign Affairs et Foreign Policy. Ce média réunit une dizaine de rédacteurs provenant d’Israël et des Territoires palestiniens occupés, dont d’anciennes plumes d’Ha’aretz, le principal journal de la gauche israélienne.
Regardez les deux photos ci-dessous, toutes deux prises le 21 octobre 2024. À droite, on voit une longue file de personnes déplacées — plus précisément des femmes et des enfants — parmi les ruines du camp de réfugiés de Jabalia, au nord de la bande de Gaza. Les hommes de plus de 16 ans, séparés du groupe, agitent un drapeau blanc en tenant leur carte d'identité. Ils sont en train de quitter les lieux.
À gauche, on voit un camp installé par l’organisation de colons Nachala juste à l’extérieur de Gaza, à l'occasion d'un événement célébrant la fête de Souccot. Vingt et un ministres de droite et membres de la Knesset, ainsi que plusieurs centaines d'autres participants, y sont présents pour discuter des projets de construction de nouvelles colonies juives à Gaza. Ils sont en train d’entrer.
À gauche : des colons israéliens se rassemblent lors d'une manifestation célébrant Souccot près de la bande de Gaza, appelant à l'annexion et à la recolonisation, le 21 octobre 2024. (Oren Ziv) À droite : Des Palestiniens déplacés font la queue sous la menace d'une arme dans les ruines du camp de réfugiés de Jabalia. (Utilisé conformément à la clause 27a de la loi sur le droit d'auteur)
Ces photos racontent une histoire qui se déroule si rapidement que ses détails déchirants sont déjà sur le point d’être oubliés. Pourtant, cette histoire pourrait commencer à n’importe quel moment des 76 dernières années : la Nakba de 1948, le « plan Siyag » qui l’a suivie, la Naksa de 1967. D’un côté, des Palestiniens déplacés, emportant tout ce qu’ils peuvent porter, affamés, blessés et épuisés ; de l’autre, des colons juifs joyeux, sanctifiant cette nouvelle terre que l’armée a nettoyée pour eux.
Mais l’histoire de ce qui se passe actuellement, de part et d’autre de la barrière de Gaza, tourne autour de ce que l’on appelle le « plan des généraux » — et de ce qu’il cache.
Le plan
Le « plan des généraux », publié début septembre, poursuit un objectif très simple : vider le nord de la bande de Gaza de sa population palestinienne. Le plan lui-même estimait qu’environ 300 000 personnes vivaient encore au nord du corridor de Netzarim — la zone occupée par Israël qui divise la bande de Gaza en deux — bien que les Nations unies avancent un chiffre plus proche de 400 000.
Lors de la première phase du plan, l’armée israélienne informerait toutes ces personnes qu’elles ont une semaine pour évacuer vers le sud en empruntant deux « couloirs humanitaires ». Au cours de la seconde phase, au terme de cette semaine, l’armée déclarerait toute la région zone militaire fermée. Toute personne restée sur place serait considérée comme un combattant ennemi et serait tuée si elle ne se rendait pas. Un siège total serait imposé au territoire, aggravant la crise alimentaire et sanitaire — créant, comme l’a formulé le professeur Uzi Rabi, chercheur principal à l’université de Tel Aviv, « un processus de famine ou d’extermination ».
Selon ce plan, le fait d’avertir la population civile à l’avance de l’évacuation garantirait le respect des exigences du droit humanitaire international. C’est un mensonge. Le premier protocole des Conventions de Genève stipule clairement que le fait de prévenir les civils pour qu’ils fuient n’annule pas le statut de protection de ceux qui restent et n’autorise donc pas les forces militaires à leur faire du mal ; un siège militaire n’annule pas non plus l’obligation de l’armée de laisser passer l’aide humanitaire destinée aux civils.
Les beaux discours sur le droit humanitaire sonnent creux lorsqu’on considère que l'homme à la tête de ce plan, le général de division (de réserve) Giora Eiland, a passé l'année écoulée à réclamer un châtiment collectif contre l'ensemble de la population de Gaza, à appeler à traiter l'enclave comme l'Allemagne nazie et à encourager la propagation des maladies pour « rapprocher la victoire et réduire les risques pour les soldats de Tsahal ». Après dix mois de telles déclarations, il a saisi l'occasion — en consultation avec certains conseillers de l'ombre, dont nous reparlerons — de promouvoir un plan d'extermination dans le nord de la bande de Gaza. Il l’a présenté minutieusement aux politiciens et aux médias, sous un voile de mensonges sur le respect du droit international.
Les médias et les politiciens ont fait ce qu’ils font toujours : ils ont créé une diversion. Tandis que le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le ministre de la Défense Yoav Gallant s’empressaient de démentir, des responsables anonymes et des soldats sur le terrain informaient déjà les médias que le plan commençait à être mis en œuvre.
Giora Eiland témoigne lors d'une audience de la commission d'enquête civile sur les massacres du 7 octobre, Tel Aviv, 8 août 2024. (Avshalom Sassoni/Flash90)
La réalité est pourtant encore plus effroyable. Ce que l’armée applique dans le nord de Gaza depuis début octobre n’est pas le « plan des généraux » tel quel, mais une version encore plus sinistre et brutale, concentrée dans une zone plus restreinte. On pourrait même dire que le plan lui-même, et l’intense tempête médiatique et diplomatique internationale qu’il a déclenchée, ont aidé à maintenir tout le monde dans l'ignorance de la réalité et à occulter les deux manières dont le plan a déjà été redéfini.
La première, la plus immédiate, est l’abandon des mesures destinées à minimiser les dommages pour les civils, à savoir accorder aux habitants du nord de Gaza une semaine pour évacuer vers le sud. La seconde concerne l’objectif réel du dépeuplement de la zone : tout en présentant l’opération militaire comme une nécessité sécuritaire, elle incarnait en fait, dès le début, l’esprit d'épuration ethnique et de recolonisation.
Détourner l'attention
La catastrophe dans le nord de Gaza s’intensifie d’heure en heure, et le concours de circonstances fait que l’inimaginable — l’extermination de milliers de personnes dans la zone assiégée — n’est plus hors de portée.
L’opération militaire actuelle a débuté aux premières heures du 6 octobre. Les habitants de Beit Hanoun, Beit Lahiya et Jabalia — les trois localités situées au nord de la ville de Gaza — ont reçu l’ordre de fuir vers la zone d’Al-Mawasi, au sud de la bande de Gaza, en empruntant deux « couloirs humanitaires ». Israël a présenté cette attaque comme un moyen de démanteler l’infrastructure du Hamas après sa réinstallation dans la zone et de se préparer à une éventuelle reprise par Israël de la gestion de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza — en d’autres termes, un retour de l’administration civile israélienne qui gouvernait Gaza jusqu’au « désengagement » de 2005. La première cause n’était que partiellement vraie, et la seconde n’était qu’un écran de fumée.
Pour les Palestiniens de ces régions, la situation était bien différente. L’armée attaquait les résidents dans leurs maisons et abris par des frappes aériennes, des tirs d’artillerie et des drones, tandis que des soldats progressaient de rue en rue, détruisant et incendiant des bâtiments entiers pour empêcher les habitants de revenir. En l’espace de quelques jours, Jabalia s’est transformée en une vision d’apocalypse.
Contrairement à l’image véhiculée par l’armée, qui laissait entendre que les habitants des zones au nord de la bande de Gaza pouvaient librement se déplacer vers le sud et sortir de la zone de danger, les témoignages locaux décrivaient une réalité effrayante : quiconque quittait son domicile risquait d’être abattu par des tireurs d’élite ou des drones israéliens, y compris de jeunes enfants et des personnes brandissant des drapeaux blancs. Les équipes de secours qui tentaient d’aider les blessés ont également été ciblées, de même que les journalistes qui tentaient de documenter les événements.
Une vidéo particulièrement poignante, vérifiée par le Washington Post, montre un enfant au sol, implorant de l’aide après avoir été blessé par une frappe aérienne ; alors qu’une foule s’approche pour l’aider, elle est frappée par une nouvelle frappe aérienne, tuant une personne et blessant plus de 20 autres. Voilà la réalité dans laquelle les habitants du nord de Gaza sont censés avancer, affamés et épuisés, vers la « zone humanitaire ».
https://x.com/AlainMarshal2/status/1855035693157716150
Face à cette brutalité, la machine de propagande israélienne s'est rapidement mise en marche pour justifier les raisons pour lesquelles les civils n'évacuaient pas — principalement en affirmant que le Hamas frappait « à coups de bâton » ceux qui tentaient de partir. Si le Hamas avait effectivement empêché les civils d’évacuer, comment l’armée pourrait-elle prétendre que ceux qui ont choisi de rester sont des terroristes voués à être tués ? En écoutant les habitants eux-mêmes, on entendait pourtant ce même cri désespéré, inlassablement répété : « Nous ne pouvons pas évacuer parce que l'armée israélienne nous tire dessus. »
Le 20 octobre, l'armée a diffusé la photo d'une longue file de Palestiniens déplacés, accompagnée d'une légende d’une froideur banale, digne d’un bulletin météo : « Le mouvement des résidents palestiniens continue depuis la zone de Jabalia, au nord de la bande de Gaza. À ce jour, plus de 5 000 Palestiniens ont évacué la zone. »
Un drone de Tsahal montre des Palestiniens déplacés forcés d'évacuer Jabalia, le 21 octobre 2024. (X/Avichay Adraee/utilisé conformément à l'article 27a de la loi sur le droit d'auteur)
Les observateurs attentifs auront remarqué que toutes les têtes sur la photo étaient couvertes : il s’agissait d’une file de femmes et d’enfants, non pas « évacués » mais déracinés de force. Où sont les hommes ? Emmenés vers des lieux inconnus. Dans quelques mois, nous entendrons peut-être parler de leur séjour dans les camps de détention israéliens, où des rapports décriront les tortures et les abus ayant causé la mort d’au moins 60 prisonniers gazaouis depuis le 7 octobre.
Contrairement aux dispositions prévues par le « plan des généraux », les civils n'ont pas eu une semaine pour évacuer, comme l’a ensuite reconnu Eiland ; dès le début, l’armée a traité les zones du nord comme une zone militaire, où tout mouvement était réprimé par des tirs mortels. C'est ainsi que le plan a servi de paratonnerre, détournant l'attention et les critiques d’une réalité bien plus brutale que celle qu'il proposait.
Une politique d'extermination
Depuis le début de son opération dans le nord de Gaza, l'armée israélienne a tué plus de mille Palestiniens. L'armée de l'air israélienne bombarde généralement la nuit, quand les victimes dorment, massacrant des familles entières dans leurs maisons et compliquant l’évacuation des blessés. Le 24 octobre, les services de secours ont annoncé que l'intensité des bombardements les obligeait à cesser toute opération dans les zones assiégées.
Parmi les attaques les plus notables, on relève le bombardement d’une maison dans le quartier Al-Fallujah du camp de Jabalia le 14 octobre, tuant une famille de onze personnes ainsi que le médecin venu les soigner ; l'attaque contre l'école Abu Hussein dans le camp de Jabalia le 17 octobre, qui a tué vingt-deux personnes déplacées qui s’y réfugiaient ; le meurtre de trente-trois personnes dans trois maisons du camp de Jabalia, dont vingt-et-une femmes, le 19 octobre ; la destruction de plusieurs immeubles résidentiels à Beit Lahiya le même jour, causant la mort de quatre-vingt-sept personnes ; les frappes aériennes sur cinq bâtiments résidentiels à Beit Lahiya le 26 octobre, ayant tué quarante personnes ; et le massacre de quatre-vingt-treize personnes dans le bombardement d’un immeuble résidentiel de cinq étages à Beit Lahiya le 29 octobre.
L’opération d'extermination en cours dans le nord de Gaza ne devrait surprendre personne ayant prêté attention aux crimes de guerre commis par Israël au cours de l'année écoulée et aux innombrables rapports d'enquêtes que les médias les plus respectés du monde ont publiées à ce sujet. Que ce soit des bombes de 900 kilos larguées sans cible militaire à proximité ou l’assassinat régulier d'enfants par des tirs de sniper à la tête, ces atrocités passées laissent entrevoir ce que l’armée israélienne continuera de faire si personne ne l'arrête.
https://x.com/AlainMarshal2/status/1855018790712647850
Dans la zone encerclée du nord de Gaza, seuls trois grands établissements médicaux – l'hôpital indonésien et l'hôpital Kamal Adwan à Beit Lahiya, ainsi que l'hôpital Al-Awda à Jabalia – accueillent les centaines de blessés des dernières semaines. Cependant, l'armée israélienne a également pris pour cible ces hôpitaux, les rendant incapables de soigner les blessés. Des rapports de Médecins Sans Frontières et de l’ONU qualifient la situation de « menace vitale immédiate ».
Au début de l'opération, l'armée israélienne a ordonné l’évacuation des trois hôpitaux sous 24 heures, menaçant de capturer ou de tuer toute personne encore présente – bien loin de la « semaine de grâce » mentionnée dans le « Plan des généraux ». Elle a bombardé Kamal Adwan et ses alentours dès les premières étapes de l'opération, avant de le soumettre à un raid de trois jours qui l’a entièrement mis hors service et conduit à la détention de la plupart des médecins.
L'armée a également bombardé à plusieurs reprises l'hôpital indonésien et Al-Awda. Deux patients de l'hôpital indonésien ont perdu la vie suite aux coupures d’électricité, avant que l’hôpital ne cesse totalement de fonctionner. C'est ainsi que même des blessures légères aboutissent souvent à des décès, faute de ressources médicales pour les traiter.
Bien sûr, Israël considère chaque maison et chaque ruelle de Gaza comme une menace potentielle et donc comme une cible légitime. Quelle excuse donnera-t-on pour avoir refusé l'accès à six groupes d'aide médicale affiliés à l'Organisation mondiale de la santé ? Il s’agit probablement d’une sanction pour avoir envoyé des médecins occidentaux dans la bande de Gaza, lesquels ont ensuite publié des témoignages révélant que des tireurs d’élite israéliens visaient des enfants. Un rapport de l’ONU publié peu avant concluait qu'Israël mène « une politique concertée visant à détruire le système de santé de Gaza » dans le cadre d'un « crime contre l'humanité d'extermination ».
Une politique de famine
Ces attaques se doublent d'un siège total empêchant toute nourriture et tout matériel médical de pénétrer dans le nord de Gaza, constituant ce qui semble être une politique intentionnelle de famine. Selon le Programme alimentaire mondial des Nations unies, Israël a commencé à couper les vivres le 1er octobre, soit cinq jours avant le début de l’opération militaire.
Des Palestiniens font la queue pour acheter du pain dans la seule boulangerie ouverte à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 24 octobre 2024. (Abed Rahim Khatib/Flash90)
Ce fait a été officiellement reconnu, bien qu'indirectement, par un ultimatum américain du 15 octobre exigeant qu'Israël autorise les cargaisons d'aide à entrer dans le nord de Gaza sous 30 jours, faute de quoi les livraisons d’armes américaines seraient suspendues. Cela montre, comme les ONG l’avaient signalé, qu’aucune aide n’avait été autorisée jusque-là. Ce délai de grâce de 30 jours est grotesque ; comme l’a déclaré le responsable de la politique étrangère de l’UE, en 30 jours, des milliers de personnes pourraient mourir de faim.
Un article de Politico a renforcé l'idée que cette dernière « exigence » de Washington, comme les précédentes, n'était qu’un geste symbolique vide de sens destiné à apaiser les consciences. Dès août, le plus haut responsable américain pour la situation humanitaire à Gaza avait informé les ONG, lors d'une réunion interne, que les États-Unis n’envisageraient aucun retard ou suspension des livraisons d'armes à Israël pour faire pression sur ce dernier en matière d’aide humanitaire. En ce qui concerne les violations du droit humanitaire international, l'attitude exprimée par ce représentant, selon un participant, était que « les règles ne s'appliquent pas à Israël ».
La politique de famine d'Israël dans le nord de Gaza ne s'est pas limitée à empêcher l'entrée de nourriture. Le 10 octobre, l'armée a bombardé le seul entrepôt de farine de la région – un crime de guerre aussi claire que possible, élément majeur du dossier de génocide présenté contre Israël devant la Cour internationale de justice. Quatre jours plus tard, l'armée a bombardé un centre de distribution alimentaire de l'ONU à Jabalia, tuant dix personnes.
Les ONG ont émis des avertissements urgents sur cette catastrophe grandissante, signalant leur incapacité à accomplir leurs fonctions de base dans les conditions extrêmes imposées par Israël dans le nord de Gaza. Un nouveau rapport de l’IPC [cadre intégré de l'ONU de classification de la sécurité alimentaire] sur la faim à Gaza prédit des « conséquences catastrophiques » de la malnutrition sévère, surtout dans le nord.
Le 16 octobre, les médias israéliens ont annoncé qu'après des pressions américaines, 100 camions d’aide avaient pénétré dans le nord de Gaza. Mais des journalistes sur place ont rapidement rectifié : aucune aide n’avait atteint les zones assiégées. Le 20 octobre, Israël a rejeté une nouvelle demande de l'ONU pour acheminer de la nourriture, du carburant, du sang et des médicaments. Trois jours plus tard, en réponse à une requête d'ordonnance provisoire par l'ONG israélienne Gisha, l’État israélien a admis devant la Haute Cour qu’aucune aide humanitaire n’avait été autorisée à entrer dans le nord de Gaza jusqu'à cette date, soit déjà un siège alimentaire de trois semaines.
Depuis lors, Israël prétend avoir permis l'entrée de quelques camions d’aide dans le nord de Gaza, mais faute de preuves photographiques, il est difficile de savoir combien d’entre eux sont réellement parvenus à leur destination déclarée.
Faire un clin d’œil à la droite et feindre des justifications de sécurité à la gauche
Dès le début, la justification militaire d’une opération aussi radicale était sujette à caution. Eiland a évoqué « 5 000 terroristes » dissimulés dans le nord de Gaza, mais quiconque suivait de près la situation sur le terrain pouvait constater que les affrontements avec des agents du Hamas dans ces zones étaient rares et très espacés.
En effet, comme l’a révélé Yaniv Kubovich du Haaretz, « les commandants sur le terrain [...] affirment que la décision de lancer des opérations dans le nord de la bande de Gaza a été prise sans de véritables délibérations et semble avoir surtout visé à exercer une pression sur la population de Gaza. » Les forces militaires ont reçu l’ordre de se préparer à l’opération, poursuit le rapport, « alors même qu'il n'y avait pas de renseignements qui la justifiaient. »
Des Palestiniens fuient aux abords du camp de réfugiés de Jabalia, le 8 octobre 2024. (Bilal Salem)
Par ailleurs, les hauts responsables de la défense n’étaient pas unanimes sur la nécessité de cette manœuvre, et de nombreux membres de l’armée ainsi que du Shin Bet estimaient qu’elle risquait de mettre en danger la vie des otages [Note du traducteur : Tous les détenus israéliens, même les soldats, sont systématiquement qualifiés d' « otages », alors que concernant ces derniers, il serait plus approprié de parler de « prisonniers de guerre » ; quant aux milliers de Palestiniens détenus arbitrairement par Israël, y compris des femmes et des enfants, ils ne sont jamais qualifiés d' « otages »]. Des sources ayant parlé au Haaretz ont affirmé que les soldats entrés à Jabalia « n’ont pas rencontré de terroristes en face à face », bien qu’au moins 12 soldats aient été tués dans le nord de Gaza depuis le début de l’opération.
Alors, quelle était la motivation réelle de l’opération ? Pour répondre à cette question, il suffit de se tourner vers l’événement de Souccot organisé par les colons et leurs partisans le 21 octobre, intitulé « Préparer la colonisation de Gaza ». Lors de cet événement, ils ont exposé leur vision de la construction de colonies juives sur l’ensemble de la bande de Gaza après avoir vidé l’enclave de sa population palestinienne. La ville de Gaza, par exemple, devait devenir « une ville hébraïque, technologique et verte qui unirait toutes les composantes de la société israélienne ». Et sur ce point au moins, ils disaient vrai : les Israéliens se sont toujours rassemblés autour de l'idée de déplacement et de dépossession des Palestiniens.
Cet événement n’était que le dernier appel en date à l’annexion et à la colonisation de la bande de Gaza, faisant suite à une conférence extatique organisée en janvier à Jérusalem, à laquelle ont assisté des milliers de personnes, dont pas moins de 26 membres de la coalition. Bien que seulement un quart de la population israélienne soutienne la recolonisation de Gaza, la présence significative de ministres et de partisans du Likoud de Netanyahu montre que, politiquement, cette idée est de plus en plus acceptée.
Le mouvement Nachala de Daniela Weiss a déjà élaboré des plans : six groupes de colons, avec 700 familles en attente. Tout ce dont ils ont besoin, c’est d’une fenêtre d’opportunité – un moment où l’attention nationale est détournée (au Liban, en Cisjordanie, en Iran), un moment de détermination dans le style « décisif » de Bezalel Smotrich, et l’enjeu sera planté de l’autre côté de la clôture.
https://x.com/AlainMarshal2/status/1846280482692218988
Ils l’appelleront « avant-poste militaire » ou « ferme agricole », une stratégie bien rodée pour faire un clin d'œil à la droite tout en feignant des justifications de sécurité auprès de la gauche. L’armée ne les abandonnera jamais : ce sont nos « meilleurs garçons », l’armée est leur chair et leur sang. Et ainsi, le retour adviendra.
Les cerveaux derrière le « Plan des généraux »
Les observateurs les plus attentifs ont pu deviner la direction que prenaient les événements dès la première semaine de la guerre. Alors que la plupart des Israéliens prenaient encore la mesure de l’ampleur du désastre du 7 octobre, les colons dessinaient déjà des cartes et y plaçaient des épingles de colonisation.
La plaie du « désengagement », lorsque l’armée a déraciné 8 000 colons de la bande de Gaza, est restée volontairement ouverte, sans jamais cicatriser : un « traumatisme » revécu et transmis année après année, qui a empoisonné l’infâme Kohelet Policy Forum – un groupe de réflexion de droite responsable de nombreux plans directeurs de l’actuel gouvernement – et toute une série de politiciens de droite animés par une haine viscérale et un désir insatiable de vengeance.
C’était la réincarnation d’un thème israélien fondamental : les victimes éternelles ne peuvent jamais fauter. C’est cet état d’esprit qui a transformé le traumatisme du 7 octobre, pour reprendre les termes de Naomi Klein, en « arme de guerre », imprégnant sans discontinuité l’attaque du Hamas de l’imaginaire de l’Holocauste.
Une étoile de David est gravée sur un mur alors que des soldats israéliens opèrent à l'intérieur du camp de réfugiés d'Al-Shati, au nord de la bande de Gaza, le 16 novembre 2023. (Yonatan Sindel/Flash90)
Et bien sûr, la ministre d’extrême droite Orit Strook l’avait pressenti avant tout le monde, prédisant en mai 2023 : « À propos de [la recolonisation] de Gaza, je pense que les Israéliens n’y sont pas encore mentalement prêts en ce moment, donc cela n’arrivera pas aujourd’hui ou demain matin. À long terme, je suppose qu’il n’y aura pas d’autre choix que de le faire. Cela se produira lorsque le peuple d’Israël sera prêt, et malheureusement, nous le paierons dans le sang. » Difficile de savoir à quel point cela l'attristait, puisque cette même Orit Strook, en pleine guerre, se réjouissait de l’essor des nouvelles colonies et des avant-postes en Cisjordanie, qualifiant cela de « période de miracles ».
Quel est le lien entre ce bouillonnement de messianisme et le « plan des généraux » ? Ce lien a été révélé début de mois, lorsqu’Omri Maniv, de la chaîne TV Channel 12, a découvert que, bien que les généraux de l’armée incarnent publiquement ce plan, l’intellect derrière celui-ci est l’organisation de droite Tzav 9. Ce groupe, responsable de l’incendie de camions d’aide humanitaire avant leur entrée dans Gaza, a été sanctionné par les États-Unis, tout comme son fondateur, Shlomo Sarid.
Selon le rapport de Maniv, c’est Sarid qui a mis Eiland en contact avec le Forum des commandants et combattants de réserve, qui a publié le plan. Parmi les fondateurs du Forum, on retrouve le général de division (réserviste) Gabi Siboni, de l’Institut Misgav, une émanation de l’ancien Institut de stratégie sioniste, un paravent pour — surprise, surprise — Kohelet.
Au fil des années, Kohelet a perfectionné sa capacité à influencer l’agenda public en Israël grâce à des extensions et sous-branches qui opèrent sous des noms apparemment anodins, certains de ses chercheurs allant jusqu’à nier tout lien avec l’organisation. Sarid a pratiquement cité le manuel d’opération de Kohelet en expliquant, lors d’une réunion interne sur Zoom avec les membres de Tzav 9 : « Nous avons mis au point une stratégie intelligente : nous abordons une question centrale et controversée, puis, en tant qu’organisations civiles, nous proposons une solution au gouvernement. Nous arrivons de tous les côtés. Nous avons proposé des solutions à la fois de droite et de gauche. »
Eiland savait que Sarid et les membres du Forum des commandants et combattants de réserve œuvraient pour rétablir les colonies à Gaza, mais il a nié que son plan visait à préparer le terrain pour cela. C’est ce à quoi ressemble un déni par un idiot utile.
Comme tout bon commandant du commandement central de Tsahal, envoyé pour sécuriser une célébration religieuse de colons au Tombeau de Joseph à Naplouse, ou pour bloquer les sorties des villages palestiniens de Kafr Qaddum et Beita, il continuera d’affirmer qu’il ne fournit que des solutions de « sécurité » sans rapport avec l’agenda des colons. « Ce n’est pas politique », nous répète-t-on sans cesse, tandis que les messianistes exultent, versant parfois une larme sur « le prix sanglant à payer » [Note du traducteur : seul le sang israélien épanché est déploré].
L'armée israélienne arrête des Palestiniens sous la menace d'une arme près de l'hôpital indonésien de Beit Lahiya, dans le nord de la bande de Gaza. (X/AvichayAdraee)
Mais était-il vraiment un idiot utile ? Cette semaine, nous avons appris que la direction politique israélienne exerce des pressions sur les militaires pour empêcher les habitants de Jabalia de rentrer chez eux, « bien que les objectifs de l’opération [...] aient été en grande partie atteints ». Eiland anticipe désormais que, pour les Palestiniens, le nord de Gaza « deviendra peu à peu un rêve lointain. Tout comme ils ont oublié Ashkelon [Al-Majdal], ils oublieront aussi cette zone. » Ce n’est plus la voix d’un simple tacticien militaire, mais celle d’un véritable partisan de l’épuration ethnique.
Ainsi, nous avons percé toutes les couches de la tromperie du « plan des généraux » : contrairement à ce qui a été annoncé, le plan lui-même constitue un crime de guerre ; l’armée n’a laissé aucun délai de grâce pour l’évacuation des civils ; la justification militaire est discutable et certainement pas proportionnelle à l’ampleur de l’opération drastique ; et l’objectif ultime du plan n’est pas militaire, mais politique : la recolonisation de Gaza.
La fenêtre d’opportunité d’Israël
À l’heure actuelle, environ 100 000 résidents sont assiégés à Beit Lahiya, Beit Hanoun et Jabalia, affamés et assoiffés. Des familles entières sont massacrées et des quartiers entiers rasés chaque jour. La destruction par Israël des infrastructures de santé et le blocage de l’aide médicale ont rendu les hôpitaux inopérants, incapables de soigner les blessés. Pendant ce temps, un black-out partiel des communications et l’absence quasi totale de journalistes dans les zones assiégées nous maintiennent dans l’ignorance.
Peut-on prévoir la suite ? Certains se tourneront inévitablement vers les États-Unis pour obtenir des réponses. Dans quelques jours, les Américains se rendront aux urnes pour ce qui s’annonce comme une course serrée entre Donald Trump et Kamala Harris. Si Trump gagne, les dirigeants israéliens pourront pousser un soupir de soulagement. Il ne freinera aucun plan israélien, aussi brutal soit-il, ne serait-ce que parce qu’il ne fait pas clairement la différence entre Gaza et Israël.
Quant à Harris, elle ne risquera pas les derniers jours de sa campagne en faisant des déclarations fortes. Elle ne mettra certainement pas en péril le vote juif des démocrates en lançant un ultimatum sérieux à Israël — en fait, elle l’a déjà affirmé. Et si elle gagne ? Rien ne presse. La nouvelle présidente devra étudier la situation. « Nous suivons de près ce qui se passe à Gaza et travaillons avec nos alliés pour trouver une solution à cette situation tragique », ne manquera-t-elle pas de déclarer.
L’Europe n’a aucun levier d’influence sur Israël dans l’immédiat, et de toute façon les divergences internes à l’UE — notamment le soutien résolu de l’Allemagne à Israël — empêchent tout changement radical de politique. À La Haye, où siège la Cour Pénale Internationale, les moulins de la justice tournent lentement.
Le président Biden salue le vice-président Harris alors qu'il arrive pour prononcer son discours sur l'état de l'Union, mardi 7 février 2023. (Adam Schultz/Wikimedia Commons)
La seule chance de salut peut venir de Washington, mais chaque jour Washington s'enlise davantage dans les déclarations scandaleuses de Trump. La machine à intoxication de la droite américaine, appuyée par Elon Musk, tourne déjà à plein régime dans la production de désinformation et de fake news. Le résultat inévitable sera qu’encore une fois, personne ne se souciera des corps palestiniens qui s’amoncellent.
Tout cela offre à Israël une fenêtre d’un ou deux mois pour intensifier même davantage l’opération d'extermination dans le nord de Gaza. D’après ce que j’observe, rien ne l’arrêtera durant cette période, probablement même après. L’escalade de la guerre au Liban et dans le nord d'Israël sert aussi d'écran de fumée.
Combien de Palestiniens Israël exterminera-t-il dans le nord de Gaza d’ici là ? Le nombre de plus de 1 000 morts au cours des quatre semaines depuis le début de l’opération actuelle peut sembler peu comparé aux chiffres observés au début de la guerre, mais il ne faut pas oublier que la zone actuellement assiégée abrite moins d’un cinquième de la population de Gaza. Proportionnellement, cela équivaut aux records des deux premiers mois de la guerre, lorsque l’armée tuait en moyenne 250 personnes par jour sous d'incessants bombardements aériens. Il n’est donc pas surprenant que les habitants du nord de Gaza affirment que les dernières semaines ont été les plus dures depuis le début du conflit.
Forcés de partir, sans retour possible ?
À défaut d’une extermination massive par des moyens encore inédits, Israël semble opter pour une solution intermédiaire entre extermination et transfert. L’extermination visait à terrifier et intimider, un moyen pour l'armée de « persuader » les habitants du nord de Gaza d’évacuer « volontairement ». Mais cela n’a pas suffi. Des soldats ont donc été envoyés dans les abris pour regrouper les réfugiés sous la menace des armes et les envoyer vers le sud, après avoir séparé les hommes, emmenés pour interrogatoire ou arrestation.
Le 21 octobre, la chaîne publique israélienne Kan a diffusé des images de drones montrant des Palestiniens regroupés et poussés vers le sud, titrées « Les Gazaouis quittent Jabalia ». Ils « partent » de la même manière que les habitants de Lyd, d’Al-Majdal et de Manshiyya ont « quitté » leur terre en 1948. Les habitants de Gaza eux-mêmes témoignent : « Ceux qui ne suivent pas les ordres sont abattus ».
Et c'est ce qui se passe, les femmes et les enfants d’un côté, séparés des hommes de plus de 16 ans qui brandissent leurs papiers d’identité dans une autre file – un déplacement forcé capturé par les caméras de la force qui impose le déplacement. Dans les années à venir, Israël écrira dans les livres d’histoire qu’ils sont partis de leur plein gré.
Des Palestiniens déplacés font la queue sous la menace d'une arme dans les ruines du camp de réfugiés de Jabalia.
Et au moment où la télévision israélienne diffusait ces images de « départ paisible », des journalistes de Gaza rapportaient un nouveau bombardement d’un abri dans le même camp de réfugiés, faisant 10 morts et 30 blessés. Un secouriste sur place décrit l’horreur : un drone a annoncé aux habitants qu’ils devaient évacuer le site, et pas plus de dix minutes plus tard, avant que la majorité n’ait pu quitter les lieux, le site explosait.
Le « plan des généraux » n’est donc pas seulement une tromperie, mais un fiasco opérationnel. La population menacée n’a pas voulu évacuer volontairement sous le feu des balles et des obus de mortier, préférant les horreurs connues aux inconnues, comme le veut la nature humaine (d’ailleurs, qui, dans l’armée israélienne, est capable de percevoir les Palestiniens comme des êtres humains ?). Même l’extermination comme instrument de terreur n’a pas suffi à « persuader » les habitants du nord de Gaza d’évacuer « volontairement ». Des troupes d’infanterie ont donc été envoyées dans les abris pour contraindre les personnes déplacées, sous la menace des armes, à sortir et à se diriger vers le sud (après la séparation des hommes pour interrogatoire ou arrestation).
Tout indique qu’Israël ne compte pas laisser les déplacés revenir. En ce sens, les destructions dans le nord de Gaza sont sans précédent. L’armée s’assure de brûler, de détruire et de raser chaque bâtiment après le départ des Palestiniens – parfois même alors qu’ils sont encore à l’intérieur. Cette fois-ci, même les Américains et les Européens peuvent voir ce qui se prépare.
Combien de temps faudra-t-il pour nettoyer totalement le nord de Gaza de sa population ? Difficile de le dire avec précision, entre la détermination des habitants à rester, le nombre maximal de morts par jour que l’armée se fixe en fonction de ses propres calculs, et la réaction de la communauté internationale. Il semble certain que l’assaut actuel se poursuivra encore pendant des semaines.
En attendant, de nombreux déplacés ne s’installent pas au sud du corridor de Netzarim, mais plutôt à la périphérie de Gaza-ville, de peur que s’ils quittent totalement le nord, ils ne puissent jamais y revenir. Si l’armée les expulse aussi de là, ce sera une preuve supplémentaire que cette opération de nettoyage n’est pas dictée par des considérations opérationnelles.
Un combat pour la vie
Que nous reste-t-il à faire ? En Israël, nous sommes peu nombreux à voir la réalité en face. Mais le peu que nous pouvons faire, nous devons le faire.
Tout d’abord, nous devons ignorer les quolibets ignares de la galerie : « Mais la charte du Hamas ? », « Mais l’Iran ! » ou « Mais ce sont des barbares ! ». Rien de tout cela n’a de pertinence face au génocide que notre armée perpètre à l’heure où vous lisez ces lignes (et je n’emploie pas ce mot à la légère ; voici quatre historiens israéliens qui sont parvenus à cette conclusion, et ils sont bien plus experts que moi). Comment, exactement, le massacre du 7 octobre [Note du traducteur : voir La vérité sur le 7 octobre : Tsahal a déclenché la directive Hannibal (Haaretz)] justifie-t-il la destruction d’écoles et de boulangeries ? Quel rapport y a-t-il entre la charte du Hamas et l’interdiction de l’entrée de matériel médical à Gaza, causant la mort massive de blessés ?
Des Palestiniens déplacés de Jabalia, Beit Lahiya et Beit Hanoun s'abritent dans des tentes au stade Al-Yarmouk dans la ville de Gaza, le 1er novembre 2024. (Omar Al-Qataa)
Nous devons aussi ignorer la caricature qu’est « l’opposition ». L’« alternative » que propose le « centre gauche » israélien oscille entre une « occupation stratégique » de plus de territoires et une politique de « séparation » qui laisse à l’armée toute liberté d’action dans les territoires occupés, voire envisage une résurgence de « l’option jordanienne ».
Les discours incessants sur de grands accords politiques multilatéraux ne visent qu’un seul but : fuir la réalité sanglante. C’est refuser de regarder en face nos propres actes, refuser de revendiquer la responsabilité de la catastrophe – dont le Hamas porte effectivement une part de responsabilité, mais bien moins que nous. Et finalement, c’est refuser de considérer les Palestiniens comme des êtres humains, comme nous.
J’ai passé d’innombrables heures à lire des témoignages de Gaza cette année, et ce qui m’a frappé comme particulièrement horrible, même si ce ne sont pas les crimes les plus atroces, c’est la manière dont les soldats israéliens traitent les Palestiniens comme du bétail, les conduisant d’un lieu à l’autre. Comme un troupeau, encerclés par des tireurs d’élite et des drones, qui tirent à balles réelles sur quiconque refuse de bouger ou prend trop de temps. Les avions et les drones diffusent des ordres d’évacuation, puis bombardent presque immédiatement ceux qui n’ont pas eu le temps de s’enfuir. Une telle déshumanisation rappelle inévitablement les scènes des nazis forçant les Juifs à monter dans les wagons à bestiaux.
La toile de crimes décrite ici n’est pas si abstraite : une grande partie de la population israélienne y participe. Des centaines, voire des milliers, se sont filmés en action, tandis que beaucoup d’autres ont appelé ouvertement à l’extermination. La majorité, toutefois, n’est ni aussi explicite ni aussi arrogante. La plupart se contentent de servir l’armée durant des centaines de jours de service de réserve « parce qu’il faut protéger notre pays ». Ils commettent des crimes sans y penser, ou à demi, ou seulement en silence, en piétinant cette pensée.
Ils peuvent trouver une myriade d’excuses, mais chacune s’effondre face aux plus de 16 000 enfants morts – dont plus de 3 000 âgés de moins de 5 ans – tous identifiés par leur nom et leur numéro de carte d’identité. Et elles s’effondrent face à la destruction de toutes les infrastructures civiles, qui n'ont pas et ne peuvent avoir un but purement militaire.
Ainsi, nous sommes tous responsables de cette situation, certains plus que d’autres. Le mouvement de refus de l’armée est né trop tard et avance trop lentement, mais il a besoin de tous les encouragements, de tout le soutien et de toutes les voix possibles. Le consensus sur cette guerre d’extermination empoisonne la société israélienne et noircit si profondément son avenir que même les petites poches de résistance peuvent insuffler du courage et de l’espoir à ceux qui n’ont pas encore été emportés par la vague de démence ambiante.
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