Face à De Gaulle, l’amiral Émile Muselier, candidat au pire !…
Après avoir recueilli l’avis du général Catroux, et celui de Pierre Cot, tels qu’ils avaient pu les formuler en janvier 1941, pour le premier, et en juillet de la même année, pour le second, venons-en aux Britanniques… Selon les experts, la prise de position que nous allons découvrir semble devoir être attribuée au conseiller principal de Churchill pour les affaires françaises, Desmond Morton, qui écrit, quelques semaines avant l’arrivée de Jean Moulin à Londres :
« Je crois que la cause des Français libres, dans la mesure où elle est indépendante de De Gaulle et gérée par nous, i.e. les programmes français de la B.B.C., ou par des indépendants, comme France Libre de Labarthe, est un avantage pour nous dans notre effort de guerre, mais que De Gaulle est un handicap. Son principal souci paraît être de battre Vichy plutôt que les Allemands et de se glorifier lui-même. Il est antibritannique, antidémocrate et vaniteux. Il est même déloyal à Winston lui-même. Après un entretien avec lui, il s’est ouvertement vanté devant les siens d’avoir gagné du temps et mis Winston sur la défensive. Que son leadership soit un échec est généralement admis et est démontré par le nombre insignifiant de Français blancs qui l’ont rallié. » (Jacques Baynac, Présumé Jean Moulin – Juin 1940-Juin 1943, Grasset et Fasquelle, 2006, page 247.)
Dans ce paragraphe très parlant, il faut immédiatement retenir la présence… d’André Labarthe, l’un des proches d’entre les proches de Pierre Cot au moment de la guerre d’Espagne. Voici ce que nous en dit Laure, la sœur de Jean Moulin, dans la biographie qu’elle a consacrée à son… petit frère :
« Une scène rapportée par André Labarthe, nous rend Jean Moulin singulièrement présent à cette époque : « En août 1936, un jour, revenant d’Espagne, j’ai rencontré pour la première fois un préfet qui était alors directeur de ministère. Je me disais, avant d’entrer dans son bureau : « Encore un comme les autres, un qui me dira administrativement que je l’ai intéressé, qu’il prend bonne note et qu’il parlera à qui de droit ; un jeune vieux, en somme, un de ce long troupeau de la frousse hiérarchique qui gagne des galons dans les couloirs blafards des cabinets de ministres. » Moi, je venais à lui comme l’impuissance du monde devant la guerre qui menaçait. Et, au lieu d’un masque, j’ai trouvé un homme, au lieu d’une poignée de main en confection me poussant dans l’entrebâillement d’une porte capitonnée, j’ai senti ses doigts tout chauds serrant les miens, j’ai vu un visage, de beaux yeux noirs. L’homme pleurait. C’était Jean Moulin. » » (Laure Moulin, Jean Moulin, Presses de la cité 1982, page 125.)
En face de De Gaulle, les Britanniques placent donc, tout simplement, un ami commun de Pierre Cot et de Jean Moulin : André Labarthe… Mais il n’y avait pas que lui… En voici deux autres qui apparaissent dans le même rapport, en qualité d’opposants français à De Gaulle :
« Le personnel militaire et civil de De Gaulle, des marins dépendants de lui, est reconnu inefficace, mais cela n’est pas vrai de la direction de la marine sous Muselier à Westminster House.
L’atmosphère y est entièrement différente de celle de Carlton Gardens. Muselier est beaucoup plus humain et compréhensif que De Gaulle. Il a du courage, mais malheureusement sa santé n’est pas très bonne. Il travaille loyalement avec l’Amirauté, et son chef d’état-major Moret [Moullec] (que De Gaulle déteste) est réputé être le plus efficace officier d’état-major des Forces Françaises Libres. » (Idem, page 247.)
C’est maintenant à l’amiral Muselier de venir témoigner devant nous, en montrant qu’il s’appuie, lui aussi, sur André Labarthe :
« Le Gouvernement britannique m’avait fait connaître par plusieurs voix autorisées son désir de voir créer un comité exécutif, composé d’un nombre restreint de personnalités actives qui, travaillant la main dans la main, seconderaient le général de Gaulle et lui éviteraient de commettre de nouvelles fautes. Le major Morton, président du comité Morton et collaborateur direct du premier ministre, lord Bessborough, chef désigné par Sa Majesté pour la coordination des œuvres françaises, sir Robert Vansittart, du Foreign Office, et plusieurs hautes personnalités britanniques avaient insisté pour que Labarthe et moi-même fissions partie de ce conseil. » (Vice-Amiral Muselier, De Gaulle contre le gaullisme, Éditions du Chêne 1946, page 226.)
Par une lettre, qu’il lui adresse le 20 septembre 1941, l’amiral propose à De Gaulle de mettre en place un « Comité exécutif de la France Libre« , présidé par Muselier lui-même, intégrant, parmi ses membres, André Labarthe. Seules, les séances plénières seraient présidées par le général de Gaulle, chef suprême des forces armées… Ainsi, concluait l’Amiral…
« Placé à la tête de la France Libre en tant que président du Mouvement, président des séances plénières des deux Comités [consultatif et exécutif], président du Conseil d’Empire, président du Comité militaire et Chef suprême des Armées de terre, de mer et de l’air, vous continueriez à jouer le rôle que la France attend de vous. » (Idem, page 228.)
C’est le lieu de citer ce que le général Catroux n’écrirait à Charles de Gaulle que le 18 juin 1942, en un moment où celui-ci se disait prêt à proclamer la rupture avec les Alliés britanniques et américains. Le souci de fond est le même :
« Notre raison d’être, notre justification et j’ose dire notre grandeur résident, aux yeux des Français et des étrangers comme à ceux de nos propres adhérents, dans le fait que nous combattons. Et c’est à ce titre que l’on admet que nous disposions de certains territoires. Si nous nous retirions de la lutte, nous cesserions de compter aux yeux de la France et du monde et nous donnerions raison à ceux qui nous traitent d’aventuriers. J’ajoute que nous ne serions ni suivis, ni compris par la masse de nos adhérents et surtout par nos soldats. À ce point de vue, il est significatif que nos troupes n’aient pris aucun intérêt à la tâche que nous accomplissons au Levant et que leur esprit ait été constamment tourné vers les théâtres actifs d’opérations. Il leur est arrivé de dire que les Chefs de la France Libre les empêchaient de se battre parce qu’eux-mêmes ne le désiraient pas […]. » (Général Catroux, Dans la bataille de Méditerranée, etc., page 276.)
C’est bien ce qui, dès 1941, menace la naissante résistance intérieure qui s’apprête à venir aux nouvelles à travers, justement, la personne de Jean Moulin, l’alter ego de Pierre Cot.
Tout cela sent manifestement la poudre… ou, pour le pauvre amiral, qui s’est placé au premier rang, la corde de pendu…
Michel J. Cuny
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