Faire d’une victime un agresseur : la recette provençale du « Midi libre »
« Le Monde » psychiatrisait l’opposant, la semaine dernière (1). Voici « Le Midi libre » qui présente une victime en agresseur. Serait-il donc devenu impossible aujourd’hui à un journal d’évoquer un livre qui décrit les violations de la loi par une autorité sans venir aussitôt au secours de celle-ci, y compris au mépris des faits et de l’autorité de la chose jugée ?

Le récit d’un blâme annulé par le tribunal administratif
Un livre, qui vient de paraître, relate un conflit qui a opposé un professeur à toute sa hiérarchie. Tous échelons confondus, elle a répliqué en lui infligeant un blâme : le chef d’établissement a inventé les fautes de service nécessaires, l’inspecteur d’académie l’a appuyé par écrit dans sa besogne, le recteur a avalisé ces fautes imaginaires pour signer un arrêté de blâme ; et le ministre, après un recours hiérarchique de la victime, a confirmé le blâme.
Or, le tribunal administratif qu’a saisi alors la victime, a annulé ce blâme, deux ans et demi après. Cette sanction a sans doute eu le temps de produire tous les effets dommageables attendus par une hiérarchie-voyou. Mais, la justice, pour une fois, a osé désavouer l’autorité en jugeant le blâme illégal pour « inexistence matérielle de motif » et « violation de procédure ». « L’inexistence matérielle de motif » signifie que les motifs de la sanction n’étaient pas fondés : les prétendues fautes de service alléguées étaient imaginaires. Quant à « la violation de procédure », il s’agissait de la violation hardie des droits de la défense, par simple changement soudain de motifs en cours de procédure. Tant qu’à violer la loi, pourquoi s’arrêter en si bon chemin, quand on est hiérarque et qu’on ne risque rien, sauf un respect accru du peuple impressionné par tant de brutalité ? « Des insultes prétendument proférées en tête-à-tête à l’encontre du chef d’établissement » avaient été reprochées au professeur dans la lettre d’ouverture de la procédure disciplinaire. Or, l’arrêté de blâme, un mois et demi après, les avait transformées en « un manquement au devoir de réserve en conseil d’administration ». C’est dire si ces gens étaient fixés sur les griefs ! Qui veut noyer son chien, ne se laisse pas arrêter par de vulgaires règles de procédure.
Relatant ce conflit, le livre tente donc de comprendre comment une administration de l’Éducation nationale, représentée par ses quatre échelons agissant de concert, peut se permettre de violer ainsi la loi impunément, en mobilisant toutes ses compétences.
L’article du Midi libre, journal dit d’information
Que Le Midi libre, quotidien régional en Languedoc-Roussillon, ait souhaité en rendre compte, rien de plus normal, puisque l’événement s’est produit dans la région et qu’il a pour slogan ce jeu de mots flagorneur : "Notre quotidien, c’est vous !" Il lui a donc consacré un article de quelques lignes sous la rubrique « Échos éduc ». Le voici :
« UN PROFESSEUR RACONTE LE BLÂME ACADÉMIQUE DANS UN LIVRE. "Ce n’est pas un règlement de comptes", confie d’entrée Yann Kelly, professeur de l’Éducation nationale retiré. Son dernier ouvrage n’est pourtant pas tendre envers le Mammouth. Il y raconte ses dernières années d’enseignant dans le décor du collège Albert-Camus. L’affaire se passe en 2004. Cette année-là, l’homme - qui enseigne les lettres classiques depuis trente ans - reçoit un blâme académique pour avoir commis plusieurs fautes professionnelles, que l’auteur estime « imaginaires et illégales ». Yann Kelly, homme procédurier et surtout profondément touché, réagit, saisit la justice. Son dossier remonte jusque dans les bureaux du ministère de l’Éducation nationale. Il explique avec un style parfois ironique, parfois agressif, l’origine de l’histoire, décrit dans les détails les coulisses mal connues de l’univers scolaire. "Des gens les ignorent, affirme l’auteur. J’ai fait l’objet d’un harcèlement. Je veux tirer les leçons d’une expérience, je veux aussi le rétablissement des droits de la personne." Avec Yann Kelly, le "bien entendu, c’est off" n’existe pas. Il décrit l’envers du décor sans détour, avec sa vision forcément orientée, ce qui impose une lecture - aussi instructive soit-elle - à relativiser. » Suivent les références du livre et de l’éditeur. (Les noms propres ont été modifiés pour préserver l’anonymat.)
La recette malhonnête du Midi libre
Pour réussir en trois coups de cuillère à pot, comme il le fait dans ses cuisines, à inverser les rôles et faire de la victime l’agresseur, la recette du Midi libre tient plus du « fast-food » que de la gastronomie. Les trois ingrédients utilisés sont plutôt frustes.
1- D’abord discréditer la victime. Une périphrase la prive de son titre de professeur : elle devient « l’homme qui enseigne les lettres classiques ». Puis « l’homme », toujours, est qualifié de « procédurier ». Le terme, dit le dictionnaire Robert, désigne "celui qui aime la chicane". Son acception est toujours péjorative. Il est, en effet, employé systématiquement pour discréditer toute personne qui ose demander à un adversaire par voie juridictionnelle la réparation d’un préjudice subi. C’est tout de même un comble ! En démocratie, toute vengeance privée au fusil n’est-elle pas interdite ? La seule solution possible n’est-elle pas un recours juridictionnel ?
Et pour clore le portrait, Le Midi libre juge le style de la victime « agressif ». Le mot est lâché !
2- Ensuite omettre sciemment le fait qui accable le véritable agresseur. Il est bien dit que « l’homme » a saisi la justice, mais non que la justice lui a donné raison : l’annulation du blâme par le tribunal est dissimulée aux lecteurs. Est-ce pour ménager le suspense ou l’administration de l’Éducation nationale qu’il est seulement question de « l’homme qui reçoit un blâme académique pour avoir commis plusieurs fautes professionnelles, que l’auteur estime "imaginaires et illégales" » ? La belle affaire qu’une personne sanctionnée estime la sanction imméritée ! N’est-ce pas la règle ?
En revanche, révéler que c’est la justice qui l’a jugée illégale, est-ce que ça ne change pas tout et en particulier l’image des quatre hiérarques responsables qui ont prémédité cette agression ? Seulement, pour Le Midi libre, c’est hors de question ! Ces gens sont au-dessus de tout soupçon.
3- Enfin oser s’ériger en arbitre impartial. C’est à l’auteur que le journal reproche « une vision orientée » des faits. On a compris que celle du Midi libre ne l’est pas. Il conseille donc au lecteur de « relativiser » ! C’est le dernier mot de l’article écrit en plus comme un pied : que peut bien signifier « un professeur de l’Éducation nationale retiré » ?
Un « journal dit d’information » avait coutume jusqu’ici de glisser discrètement son opinion dans ses informations. C’est ce qui le différenciait du « journal dit d’opinion » qui affichait la sienne avec loyauté. Il semble que « le journal dit d’information » ait aujourd’hui hardiment brûlé les étapes pour devenir simple « brûlot de propagande » et inculquer à ses lecteurs l’idéologie autoritaire qui l’anime : l’autorité a toujours raison, même quand elle a tort et que, par aventure, c’est un tribunal qui l’a dit. Le respect de l’autorité de la chose jugée ne va tout de même pas empêcher de dissimuler ses turpitudes. Où irait le bon peuple s’il n’était pas toujours assuré du bon fonctionnement des institutions de son pays ? (2) Paul Villach
(1) "La Psychiatrisation de l’opposant : Le Monde à l’école de La Pravda ?", Agoravox, 18 mars 2008
(2) Interrogée samedi 22 mars sur sa partialité, l’auteur de l’article a fait cette réponse confondante : « Monsieur, Je suis absolument confuse de votre réaction. J’ai pourtant essayé de rédiger un article le plus objectif qui soit (...) Par ailleurs, le terme "procédurier" n’est pas péjoratif. Enfin, "professeur retiré" signifie pour moi que si (le professeur) est en retraite, (il n’en reste) pas moins actif. Là non plus rien de péjoratif...
Mon métier ne me permet pas sur ce genre de sujet de prendre parti. Aussi ai-je utilisé le mot "auteur" et "estime" concernant le blâme "illégal" : ce n’est ici que professionnalisme !!!! »
L’adjectif « confuse » qui ne s’emploie que pour regretter une erreur ou une maladresse que l’on a commise, est employée ici à la place de « étonnée ». Quant à « l’article le plus objectif qui soit » et au « professionnalisme », on en viendrait à éprouver de la compassion pour celle qui les revendique, si on était sûr que l’inconscience l’emportait sur la malhonnêteté.
DERNIÈRE MINUTE :
Toutefois, invitée par la victime à prendre l’initiative d’un rectificatif, la journaliste vient aujourd’hui, 25 mars 2008, de promettre qu’ « un article dans les prochains "Echos éduc" du Midi libre rendra compte du verdict du tribunal de Nîmes qui a jugé ce blâme illégal. » Voilà un professionnalisme que l’on préfère, sous réserve que la représentation des faits soit fidèle !
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