Fait divers : découverte de 4 bombes radioactives artisanales
Jeudi 26 août 2021, l'hôtel de police de Colmar reçoit un appel du directeur du centre de formation Marcel Rudloff ; un de ses stagiaires âgé de 26 ans s'est vanté auprès de ses camarades d'avoir confectionné plusieurs bombes radiologiques ! La police judiciaire se transporte immédiatement, à Rouffach, au domicile des parents du mis en cause. La visite domiciliaire permet la découverte de quatre bombes artisanales composées à partir de poudre d'oxyde d'uranium et un minéral radioactif, produits achetés sur Internet qui irradient 2.500 becquerels. Le jeune homme a été mis en examen pour fabrication d'engins explosifs et écroué.
La bombe radiologique, « bombe sale » ou dispositif de dispersion radiologique appartient à la catégorie des engins explosifs improvisés. La charge explosive a pour fonction de briser l'enveloppe afin d'en répandre le matériau radioactif volatil. Un explosif déflagrant (faible vitesse exercant une poussée lente) reste préférable à un explosif détonant (plusieurs milliers de m/sec). L'explosion vise non à détruire, mais à disséminer le radionucléide réduit en fines particules afin de contaminer un terrain agricole, une zone urbaine pour y semer le chaos, contaminer la population et/ou entraîner des dommages économiques. Les personnes proches du lieu de l'explosion peuvent être atteintes par les éclats de l'enveloppe contaminée (lésions radiatives).
La simplicité de fabrication d'une bombe « sale » en permet la réalisation par tout un chacun, à la condition de se procurer le matériau radioactif : américium 241, californium 252, césium 137, cobalt 60, iridium 192, polonium 210, radium 226, ou strontium 90, et de savoir manipuler la substance radioactive correctement... En 1987, des ferrailleurs qui avaient « cannibalisé » un appareil de radiothérapie dans une décharge de Goiânia (Brésil), intrigués par la phosphorescence d'un élément, avaient emporté la capsule césium 137. Quatre personnes décédèrent, 250 personnes furent irradiées, et il fallu déblayer des tonnes de terres contaminées.
Si on sait fabriquer des éléments radioactifs depuis 1934, on en compte aujourd'hui plus d'un millier ! La radioactivité de l'uranium découverte en 1896 par Henri Becquerel désigne toute transformation spontanée du noyau d'un atome avec émission d'un ou de plusieurs rayonnements. On doit à Marie Curie la découverte, en 1898, du premier élément radioactif naturel et les rayons uraniques (radium). Dans les années 1900, le radium (226 ou 228) à faible dose va devenir une substance « miraculeuse » ! Il va être incorporé dans les dentifrices, les savons, les shampoings, les rouges à lèvres, les crèmes de beauté, crèmes épilatoires, les sodas, boissons rajeunissantes, le beurre, la peinture luminescente pour les montres, réveils et compas, les médicaments, une pommade qui active la repousse des cheveux ! Ce n’est qu’en 1932 au décès du milliardaire Eben McBurney Byers après avoir absorbé le « Radithor » pendant de nombreux mois, une potion censée le guérir d'une blessure au bras, que le public va se méfier des effets du radium. A sa mort il ne pesait que 40 Kilos et tout son corps était radioactif ! Le radium interdit pour les utilisations non médicales en 1937 va continuer à être utilisé jusqu’à la fin des années 1950 avant d'être abandonné en 1976 et remplacé en radiothérapie par l’Iridium192 et le césium137.
Les rayons X et γ entraînent l'ionisation de la matière rencontrée et irradient suffisamment d'énergie pour transformer les atomes traversés en ions (atome qui a perdu ou gagné un ou plusieurs électrons) et rendre la matière instable. L'atome instable va perdre des protons et des neutrons (rayonnement alpha) afin de transformer un neutron en proton ou l'inverse ; le rayonnement bêta émettre des photons (particules lumineuses) et rayonnements X et γ. Les noyaux instables cherchent à revenir à un état stable. Chaque atome radioactif finit par devenir, tôt ou tard, un autre atome, mais la durée de vie des atomes d'un seul et même élément n'est pas identique pour tous. Les uns se désintègrent rapidement, tandis que d'autres ont une durée de vie quasi immuable. On exprime cette durée de vie par une période de demi-décroissance. Elle correspond au temps nécessaire pour qu'un nombre d'atomes donnés soit réduit (désintégré) de moitié. Chaque famille est composée d'éléments de périodes très diverses. L'américium 241, plus toxique que le polonium 210 (utilisé pour empoisonner Alexander Litvinenko), une substance que l'on retrouve dans les détecteurs ioniques de fumée ou paratonnerres a une durée de vie de 432,7 ans. Période radioactive T de quelques éléments courants : l'uranium 238 : 4,5 milliards d'années - le radium : 1.590 années - le strontium 90 années : 28 années - le plutonium 241 : 14,4 ans - le radon A : 3 minutes.
Les scientifiques découvrirent en 1921, que les rayons « X » étaient capables de tuer la trichine, un vers parasite du porc, en bombardant l'aliment avec des isotopes radioactifs (césium ou cobalt) libérant des rayonnements ionisants sous forme de rayons gamma. Une dose inférieure à 1 kilogray suffit pour tuer les parasites de la viande, des céréales ou inhiber la germination de certains légumes. Pour obtenir une stérilisation complète, il faut appliquer une dose supérieure à 10 kilograys (les repas de certains chefs d’État sont traités de la sorte). Les rayons ionisants sont depuis largement utilisés dans l'industrie pour le contrôle de l'intégrité des pièces (usure, soudures), en médecine nucléaire à des fins de diagnostic à faible dose (radiographie, scintigraphie), à des fins thérapeutiques à forte dose (radiothérapie) pour traiter les cancers, et pour l'irradiation des aliments. Certains appareils peuvent receler une cartouche d'une soixantaine de grammes d'isotopes radioactifs (radium, césium) pouvant représenter une activité de 3.000 Curies.
Les effets des rayonnements ionisants sur l'organisme vivant dépendent du radionucléide, de la dose, du mode de contamination (inhalation, ingestion, contact), de la taille des aérosols, de la cellule atteinte, de la distance de la source RA, de l'hérédité et des conditions météorologiques. L'irradiation correspond à une exposition aux rayonnements ionisants émis par une source externe, elle cesse dès que la source radioactive est suffisamment éloignée de la personne ou par l'interposition d'un écran (blindage). Ne pas confondre avec la contamination, l'exposition interne aux particules radioactives (respirées, ingurgitées, consommation d'aliments irradiés), ou la contamination externe, pénétration par une plaie. Des doses importantes brèves et localisées peuvent être bénéfiques (radiothérapie), et des doses faibles sur une longue durée se révéler mortelles.
La radiotoxicité par inhalation ou ingestion dépend de l’activité du radionucléide (concentrations en Bq/L) ingéré multiplié par un facteur de dose. Ce facteur varie de 1 pour un émetteur bêta de faible énergie (le tritium) à 10 000 pour des émetteurs alpha de l'uranium ou du plutonium (Les rayons gamma sont moins dangereux que les rayons alpha et bêta). L'activité exprimée en Becquerel (Bq) mentionnée dans la dépêche de presse se veut alarmiste, alors qu'elle n'exprime que le nombre de désintégrations par seconde de la matière radioactive...
Unités fréquemment utilisées dans le domaine du nucléaire :
Le Gray (Gy) correspond à la quantité d'énergie communiquée à la matière par unité de masse lors d'une exposition. Un Gray équivaut à l'absorption d'un Joule par kilogramme de matière 1 Gy = 1 J/kg (La dose mortelle se situe vers 5 Grays).
Le radiamètre (Rad) qui mesure le débit de la dose est étalonné en Gray/heure ou en rad/h (1 gray = 100 rad/h), 1 rad = 10^2 joules.
La Curie (Ci), une ancienne mesure de la radioactivité encore largement utilisée. Une Ci correspond à l'activité d'un gramme de radium représentant 37 milliards de désintégrations par seconde (une Ci équivaut à 3,7.10^10 Bq).
Le Roengten qui mesure les rayons X ou ϒ dans un cm3 d'air n'est plus utilisé depuis 1979.
Le Sievert (Sv) mesure les effets biologiques sur l'organisme. Cela permet d'évaluer l’effet d’une même dose délivrée par des rayonnements de nature différente à des organes des tissus qui n’ont pas la même sensibilité aux rayonnements. (1 rem, ancienne mesure, équivaut à 0,01 Sv).
L'exposition moyenne au rayonnement naturel (radon, rayons télluriques et cosmiques) est éstimée à 2,4 mSv/an. Les effets dus à la radioactivité naturelle (bruit de fond) semblent, en l'état des connaissances actuelles, avoir peu d'incidence, avec cependant des réserves (cancers tardifs). Le radon, un gaz radioactif naturel qui se dégage du sol (maison mal ventilée) génère différents éléments radioactifs et pénétre par inhalation dans les poumons. Le potassium 40 présent dans les tissus de l'organisme humain est d'environ 4.500 Bq, soit une exposition annuelle de l'ordre de 394 µSv. Une tomographie représente une dose de 9 mSv et une angiographie une dose de 12 mSV, ce qui correspond à 5 années d'irradiation naturelle. Les « liquidateurs » intervenus sur le réacteur à Tchernobyl dans des conditions dantesques, ont subi une irradiation d'environ 100 mSv ! Pour comparaison : 1 mSv est la dose annuelle de radioactivité artificielle admise pour la population en France - 20 mSv la dose annuelle admise pour les professionnels - 100 mSv dose à partir de laquelle le risque de cancer radio-induit est reconnu - 6 Sv dose létale à 100 %.
L'individu mis en examen a déclaré aux enquêteurs qu'il avait prévu de détonner ses « bombes sales » dans un champ en plein air. L'atténuation du rayonnement gamma à travers l'air (les rayons ϒ n'ionisent pas le milieu traversé) est une fonction exponentielle, cela signifie qu'elle diminue de moitié par tranche de 90 m ( cette fonction est identique aux calculs de la désaturation ou paliers de décompression). La longueur d'atténuation est divisé par 4, 8, 16, au bout de 2, 3, 4 fois cette distance (inversement proportionnel au carré de la distance). Si l'énergie est inférieure à 1 Mev (électrons volts), la décroissance est plus rapide.
Les trafiquants peuvent porter leur choix sur de nombreux sites de sources radioactives : démantèlement d'arsenaux militaires, centrales civiles, centres de stockage de déchets RA (certains présentent une activité de 184 PBq, soit 10^15), hôpitaux, centres de recherche, l’industrie, voire les décheteries ! Juillet 2013, l’alarme du site de traitement et de valorisation de déchets de La Rivière Saint-Étienne (la Réunion) s'affole au passage d'un camion. Les deux spécialistes du Service d’intervention et d’assistance en radioprotection de l’IRSN dépêchés sur place découvrent une sonde médicale de Crowe (2 cm par 15 cm) jetée aux encombrants dans une benne de 4 mètres sur 2 ! L'IRSN effectue une dizaine d'interventions similaires par an, et les faux positifs sont nombreux. Les patients ayant passé une scintigraphie (injection de technétium 99, soit d'iode 123) ou ayant suivi un traitement de médecine nucléaire sont radioactifs, et la dose reçue est suffisante pour déclencher les détecteurs (plage de sensibilité 10 nSv.h-1 à 10 Sv.h-1) des aéroports et ceux aux postes frontières pendant quelques jours ! L'IRSN compte près d'une cinquantaine de déclenchements par année pour la seule agglomération parisienne en lien avec la médecine nucléaire ; jets de couches ou flacons d'urine aux ordures ménagères !
« Sur 3 686 incidents signalés depuis la création de la base de données en 1995, environ 10 % étaient réellement liés à des actes de trafic ou d’utilisation malveillante. (...). Au cours des dix dernières années (NdA entre 2009 et 2019), plus de 250 cas de vol de sources radioactives ont été signalés dans l’ITDB. Environ un tiers de ces sources n’ont pas été récupérées et on ignore où elles se trouvent » (Incident and Trafficking Database/AIEA).
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