Faut-il haïr les riches ?
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Puisque la mode est au devoir de vacances, que le gouvernement nous montre la voie, qu’on peut être en congé sans que notre esprit ne soit vacant nous nous sommes imposés un exercice estival de réflexion.
Il nous fallait trouver un thème fédérateur qui emporte l’unanimité et ne suscite pas l’ininimitié que nous sentons poindre dans les commentaires acerbes que déclenchent souvent nos articulets.
Nous avons donc choisi de tenter de répondre à cette question lancinante qui nous obsède tous : Faut-il haïr les riches ? Au risque de tuer le suspens habilement suggéré par le titre, nous sommes tentés de répondre impulsivement par un oui franc et massif. Il est même conseillé de les exécrer, de les abominer, de les maudire, de les abhorrer, voire de les vomir.
Pour notre part, compte tenu des remontées acides que nous provoquent leurs frasques et leurs trains de vie somptuaires, nous optons pour la dernière proposition.
Notre répulsion est tellement prégnante que nous n’arrivons même pas à aimer les pauvres car nous les soupçonnons d’aspirer à devenir riches si nous en croyons les chiffres d’affaires record cumulés de la Française des jeux et du PMU en 2012.
Ceci étant dit, il nous faut étayer les raisons de notre détestation sur des arguments solides basés sur une étude sociologique malheureusement biaisée. En effet, elle se fera essentiellement à travers la littérature, la presse et l’audiovisuel et ne comportera aucune étude de terrain, comme c’est l’usage.
Ce biais consistant à éluder la pratique au profit de la seule théorie nous est malheureusement imposé par notre proche environnement très pauvre en riches. Mais comme les enquêtes étudiant la prostitution ne peuvent prendre en compte cette minorité invisible que constituent les demi-mondaines entretenues ou les occasionnelles préoccupées par les fins de mois, nous avons éliminé arbitrairement les ‘’presque-riches’’, les’’ qui font comme si ’’ uniquement pour nous énerver.
Nous étudierons les riches à travers le prisme de leur positionnement politique puisque nous partons du postulat qu’ils peuvent se nicher sur l’ensemble de l’échiquier, même si leurs surfaces financières s’accommodent guère des extrêmes où l’espace est réduit.
Bien sur, il faut garder raison, il y a riches et riches, les bons et les mauvais, un peu comme pour le cholestérol, ceux qu’il faut conserver précieusement ou pour le moins ménager et ceux qu’il faut éliminer. Séparer le bon grain de l’ivraie n’est pas chose aisée.
Les riches de droite se divisent au moins en deux chapelles : d’abord les vieilles lignées discrètes au luxe peu ostentatoire, qui vont à la messe en deux chevaux et qui font tout pour se faire oublier. Cette variété est tellement transparente qu’il est difficile de trouver de la littérature à leur sujet.
Heureusement, il y a la droite bling-bling, celle qui s’affiche décomplexée, la Rolex au poignet avec une tendance à l’américanisation « Dis moi ce que tu pèses, je te dirai si tu es des nôtres ». Celle-ci, nous pouvons la haïr sans nous forcer tant elle est peu aimable au sens littéral du terme.
Il est plus difficile et moins spontané de haïr les riches de gauche, ceux que l’on désigne sous le terme de gauche caviar, car s’ils s’aiment beaucoup en tant qu’êtres humains, hommes des lumières, humanistes éclairés, ils détestent l’image de richesse qu’ils renvoient à l’insu de leur plein gré.
Comme ils éprouvent de la compassion pour tous les damnés de la terre, ils aiment s’imaginer en faire partie, les conditions matérielles en moins, l’empathie a ses limites. Ils adorent la mixité sociale mais préservent leur progéniture d’une trop grande promiscuité durant leur scolarité.
La vie d’un riche de gauche est une longue souffrance comparée à celle d’un riche de droite qui ressemble à long fleuve tranquille car le premier, très tourmenté, s’en veut d’être riche, se rêve pauvre tout en constatant la triste réalité au réveil et peut, de ce fait adopter des comportements qui peuvent vous déconcerter, voire vous heurter.
Faites ce test : demandez l’heure à jacques Séguéla, il vous la donnera aimablement avec ce charmant commentaire « il est 14 heures à ma Rolex » et si vous lui êtes sympathique, il vous donnera avec ravissement la valeur de sa précieuse tocante et vous plaindra de ne pas en posséder une surtout si vous avez dépassé la cinquantaine, ce qui constitue pour lui, un signe manifeste d’échec patent dans votre vie professionnelle.
Tentez la même expérience avec Yannick Noah et il partira en courant pieds nus, retrouvant ainsi ses jambes de vingt ans, du temps où il faisait l’essuie-glace sur les courts de tennis. Vous serez tenté alors de le haïr mais vous auriez tort, il ne veut simplement pas vous humilier en arborant la même Rolex que Séguéla et préfère passer pour un malpoli que pour un nanti.
Devons nous faire le tri entre les riches, opposer ceux qui ne s’étonnent pas de l’injustice,se
bornent à la constater et s’arrangent avec, et ceux qui s’illusionnent sur eux même en votant à gauche comme les catholiques tièdes vont à la messe en s’acquittant ponctuellement du denier du culte ?
Nous sommes évidemment enclins de répondre par la négative et couvrir d’opprobre cette engeance friquée sans distinction mais nous sentons depuis peu une nette inflexion dans la haine salutaire qui animait notre président au début de son mandat.
En effet, assiégé de toutes parts par les riches dans son propre gouvernement, il doit composer avec eux malgré son allergie. Des signes de contamination encore peu perceptibles comme cette récente déclaration dans laquelle il se félicite du rebond de la Bourse laissent craindre une détérioration de son système immunitaire anti bactériches.
Chez le peuple même, qui vénérait jusqu’à peu l’Abbé Pierre, une dérive se fait jour depuis quelques années. Le trouble nous saisit quand nous parcourons le dernier palmarès des français les plus populaires où nous ne trouvons aucun chômeur de longue durée sur le podium, et nous sentons notre détermination haineuse chanceler.
Bien sur, les personnalités choisies ne sont pas que riches, elles sont souvent issues de la diversité, œuvrent dans le sport-biz ou le show-biz, ceci démontre une réelle ouverture d’esprit des classes populaires pourtant soupçonnées par Terra Nova de voter Bleu Marine.
Néanmoins, pour que cette chronique sur la haine ordinaire ne se termine pas en conte de fées, nous en concluons qu’il est parfaitement raisonnable de détester les nantis de manière collective mais que nous pouvons avoir en stock un petit quota de gens riches afin de les protéger de la vindicte populaire.
Comme l’antisémite à son bon juif, le raciste son épicier maghrébin préféré, l’esclavagiste son domestique bien-aimé, le cabot hargneux son matou favori, nous nous réservons le droit de préserver notre part infime d’humanité en choisissant avec soin un bon riche pour peu qu’il soit un minimum aimable.
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