Faut-il indemniser les harkis ?
Cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, la question du sort des harkis reste toujours aussi déchirante. En s’engageant aux côtés des Français, ces populations ont payé un lourd tribut, en commençant par l’état de double exclusion, de fait, qu’elles doivent endurer depuis. Elles ne sont pas considérées comme françaises, réflexes identitaires obligent, et, de l’autre côté de la méditerranée, elles sont présentées comme des traitres qui ne peuvent plus revendiquer leur appartenance à la nation algérienne. D’où le débat récurrent sur les mesures d’indemnisation.

La question a été relancée par un collectif d’associations qui demande une enveloppe de 42 milliards d’euro pour les harkis sur cinq ans et exige, au passage, l’adoption d’une loi, toujours promise mais jamais votée, reconnaissant la responsabilité de l’Etat français dans les tragédies endurées par ces populations, réprimées dans leur pays, qu’elles ont définitivement quitté, mais traitées de façon assez indigne une fois réfugiées en France.
Tous nos responsables politiques, de la gauche à l’extrême droite, s’accordent à reconnaître que l’option ayant consisté à « parquer » les harkis dans des campements de fortune, où ils ont été tout simplement abandonnés, relève de l’inacceptable. Ces populations firent le choix de la France à un moment difficile de notre histoire ; on n’avait pas à les traiter de cette façon-là. Le Président Chirac avait, en son temps, pris acte de « la dette de la France à l’égard de tous les harkis » reconnu solennellement que « la Nation ne leur avait pas accordé la place qui leur était due ». Au cours de sa campagne, le candidat François Hollande s’est engagé à reconnaître officiellement la responsabilité du gouvernement de 1962 dans l’abandon et le massacre des harkis. En mars 2012, Nicolas Sarkozy leur a présenté un mea culpa national. En déplacement de campagne à Nice, le candidat de la droite avait reconnu que les autorités françaises s'étaient rendues coupables « d'injustices » et « d'abandon » à l'égard des harkis, et que la France avait une « dette » à leur endroit. Déjà en 2007, lors de sa première campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy avait promis de reconnaître « officiellement la responsabilité de la France dans l'abandon et le massacre des harkis ».
Mais la bienveillance de la France ne va pas plus loin. Parce que la question de l’indemnisation et celle, plus lourde, de la possible « culpabilité » de la France, ne passent pas.
En effet, les Français supportent de moins en moins d’être présentés comme une nation coupable. Et même lorsqu’on s’appelle « harkis », évoquer la « culpabilité de la France » est une démarche vouée au rejet. Parce que, dans l’opinion nationale, le « refus de la repentance » est érigé en bouclier légitime contre les revendications des communautés minoritaires. Même si quelques concessions peuvent être accordées çà et là.
Ainsi, la loi n°2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés permet aux harkis de bénéficier d'un versement en capital de 20 à 30 mille euro ou bien du versement d'une allocation de reconnaissance. En demandant une enveloppe de 42 milliards d’euro, sur 5 ans, le collectif d’associations de harkis fait de ce sujet l’objet des difficultés de plusieurs ordres.
Tout d’abord, au vu de l’état actuel de nos finances, il faut reconnaître que, même pétris de bonnes intentions, nos politiques ne peuvent absolument pas accéder à une demande de cette nature. C’est tout simplement hors de portée ! Le gouvernement cherche désespérément quelque 10 milliards d’euro. Il ne pourra jamais s’engager financièrement sur 42 milliards d’euro, aussi légitimes que puissent être les revendications des harkis. Par ailleurs, pourquoi 42 milliards d’euro et non pas 60, 70, 80 milliards ? Car rien ne garantit qu’en accédant aux revendications actuelles des harkis, la France ne risque pas de devoir faire face à de nouvelles revendications de la part de la même population. Il faut donc à la fois compatir et rester ferme sur les limites indépassables.
Ensuite, le principe même de l’indemnisation catégorielle pose des difficultés d’ordre philosophique. Réserver des mesures particulières d’indemnisation à une population pourrait s’assimiler à une politique de mise à l’écart vis-à-vis de la communauté nationale au point d’entretenir, à la longue, l’idée selon laquelle les harkis auraient vocation à rejoindre leur nation d’origine, l’Algérie ; ce qui n’est absolument pas envisageable. Il semble qu’il serait plutôt approprié d’appliquer aux harkis un traitement identique à celui dont avaient pu bénéficier les autres victimes françaises de la guerre d’Algérie, et veiller à leur intégration, ainsi qu’à celle de leurs enfants, dans la nation française.
Enfin, le débat sur l’indemnisation des harkis, s’il prend de l’ampleur, déclenchera inévitablement celui de l’indemnisation des autres victimes de la guerre d’Algérie, dont des Algériens. Cette guerre a, en effet, coûté la vie à plus de 60 mille Algériens. Une blessure qui n’a jamais été cicatrisée et qui n’attend que des apprentis sorciers pour y remuer le couteau et enflammer les esprits de part et d’autre de la méditerranée. Les relations diplomatiques entre Paris et Alger sont en effet en dents de scie. Les dirigeants algériens n’hésiteront pas à relancer la polémique, comme cela arrive trop souvent lorsqu’on aborde la question des fameux « évènements d’Algérie ».
En avril 2006, le ministre algérien des moudjahidines (anciens combattants) a accusé la France d’avoir commis un « génocide collectif » au cours des 132 années qu’a duré la colonisation du pays. Une accusation reprise et martelée en décembre 2011 par le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan en réaction à l'adoption de la proposition de loi réprimant la négation des génocides, dont celui des Arméniens. Difficile, pour la France, de réagir à de tels excès de langage pour la simple raison que cette guerre coloniale n’avait pas à être menée, compte tenu du sens de l’histoire, et que, depuis, l’Algérie est devenue un partenaire économique stratégique (gaz naturel) avec qui on n’a pas intérêt à se fâcher.
Mais les « dégâts » pourraient ne pas se limiter aux relations d’Etat à Etat. La communauté algérienne de France est à cran sur cette question des harkis. Un débat mal engagé pourrait réveiller les vieux démons et créer de l’agitation dans nos villes déjà assez affectées par la crise et qui n’ont vraiment pas besoin de ce genre de polémiques.
En définitive, la France n’ayant aucun intérêt à prêter le flanc aux querelles internes intercommunautaires et à se laisser entraîner dans des incidents diplomatiques, tout à fait prévisibles, avec Alger, la question de l’indemnisation des harkis est vouée à être subtilement éclipsée.
Boniface MUSAVULI
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