Faut-il pousser l’affaire Cahuzac jusqu’au bout et en tirer tous les enseignements ?
En réagissant d’un ton grave et plein de solennité, le Président Hollande a tenu à faire remarquer que l’affaire Cahuzac est prise au sérieux au plus haut sommet de l’Etat. Le locataire de l’Élysée découvre, de façon brutale, que sa promesse d’une « République exemplaire » vient de partir en fumée, tout comme son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, voyait s’envoler sa promesse d’une « République irréprochable ». François Hollande est dans la pire des situations parce que du coup, l’opinion pourrait lui reprocher de ne pas avoir tiré les leçons des erreurs de son prédécesseur. Ainsi ses annonces, si elles sont traduites dans les faits, jusqu’au bout, pourraient entraîner des bouleversements majeurs. D’ailleurs, depuis hier, les politiques semblent avoir pris conscience des répercussions que ce train de mesures pourrait avoir sur eux-mêmes et leurs collègues, de gauche et de droite.

En effet, avant même que l’opinion ait eu le temps de spéculer sur le scandale, le Chef de l’Etat a ouvert une voie qui, si elle est suivie jusqu’au bout, pourrait révéler de nouveaux « Cahuzac » et envenimer encore plus le climat politique. Selon le Président de la République, désormais tous les ministres et les députés vont devoir se soumettre à une obligation beaucoup plus sévère de « publication et de contrôle » de leurs patrimoines assortie d’une sanction pouvant aller jusqu’à « l'interdiction de tout mandat public » dans les cas avérés de fraude fiscale et de corruption. Il faisait surtout l’aveu que les procédures actuelles sont assez laxiste et permettent à trop d’élus de passer à travers les mailles du filet. Et pas n’importe qui. Car avant Jérôme Cahuzac, Monsieur finances du Président Hollande, il y a eu Eric Woerth, Monsieur finances du Président Sarkozy.
En tout cas, la procédure en cause existe depuis 1988 mais la Commission pour la transparence financière de la vie politique manque de moyens. Elle n’est composée que de neuf membres qui doivent contrôler, quasiment pour la forme, 1.500 dossiers par an. Par ailleurs, elle ne peut pas enquêter sur les déclarations fiscales qui lui sont transmises. La nouveauté serait que la Commission travaille avec l’administration fiscale pour passer au peigne fin les déclarations des patrimoines des politiques, et surtout rende publiques ces déclarations fiscales, ce qui n’est pas le cas actuellement. La commission a, en effet, l’obligation absolue de garder ces déclarations secrètes, ce qui a toujours arrangé nos gouvernants.
Ce serait une première en France. Un citoyen lambda pourra suivre les débats politiques en sachant à combien s’élève le patrimoine du ministre, du député, du sénateur,… L’idée même que certains détiennent des comptes à l’étranger annonce des polémiques qui pourraient leur être fatales. On ne mesure pas l’ampleur d’un tel virage politique, et les proches de Jérôme Cahuzac devraient le rassurer. Bientôt il « risque » d’être rejoint par un bon nombre de nos politiques, certains faisant partie de ceux qui aujourd’hui « hurlent avec les loups ».
On a d’ailleurs remarqué, depuis hier, quelques bégayements des responsables politiques. Ainsi l’homme qui a ouvert le compte de Cahuzac en Suisse, Philippe Péninque, serait un membre du Front National, ami d'un ministre socialiste, une révélation qui a suffi à calmer ceux qui d’habitude crient au « tous pourris ».
Quant à la droite, qui s’apprêtait à accabler les socialistes au pouvoir, elle ronge, depuis, les freins, en voyant remonter sur la surface les affaires Bettencourt, Woerth, Takieddine, Karachi,… Sachant que l’ancien Président de droite, Nicolas Sarkozy, membre du Conseil Constitutionnel, a été mis en examen pour abus de faiblesse, il ne reste à la droite qu’à faire profil bas.
Il faut également souligner que l’affaire Cahuzac, qui est une affaire de fraude fiscale, pourrait embarrasser au-delà de la seule classe politique. On apprend ainsi du remarquable livre d’Antoine Peillon[1], grand reporter à La Croix, que certains contribuables Français ont réussi l’« exploit » de cacher une somme astronomique de 600 milliards d’euros dans les paradis fiscaux, soit près de 10% du patrimoine des Français. Selon la Commission européenne, ce patrimoine caché représente, pour le fisc français un manque à gagner de l’ordre de 40 à 50 milliards d’euros au total. Plus de 10 mille Français sont concernés rien que dans la banque UBS en Suisse et plus de 150 mille de nos compatriotes dans divers paradis fiscaux[2]. Les entreprises ne sont pas du reste.
Ainsi, en pleine période de crise, nombreux d’entre nous se soustraient superbement de leur obligation citoyenne pendant que d’autres rament et se coltinent tout le poids des impôts, des taxes, des cotisations sociales,… tout cela en subissant l’angoisse de la crise financière et du chômage qui peut rattraper n’importe lequel d’entre nous.
Pousser l’affaire Cahuzac jusqu’au bout signifie aider le fisc à mettre la main sur cette cagnotte qui lui échappe, mais tout cela a un prix par rapport à la cohésion nationale. Que du jour au lendemain on apprenne que le voisin de palier fait partie des « fraudeurs » ou que l’entreprise concurrente ne s’acquittait pas de la totalité de ses charges fiscales et de cotisations sociales grâce aux astuces permettant de planquer une partie des capitaux dans des paradis fiscaux… ça risque de mettre le pays sans dessus dessous.
Finalement, l’affaire Cahuzac rappelle, toutes proportions gardées, l’affaire Strauss-Kahn. Mise à part l’intervention de la justice, on a découvert un homme politique, riche et influent qui avait une certaine libido. Comme bien d’autres « puissants » qui ont juste la chance de ne pas se faire attraper. Lorsqu’on aura découvert que les « Cahuzac » se comptent par milliers, il sera convenable pour le plus grand nombre que jamais ne soit ouverte la boîte de Pandores et que cette affaire ne reste à jamais cantonnée qu’à un seul homme.
Boniface MUSAVULI
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