Faut-il sauver le soldat Ferry ?
Depuis quelques semaines, le philosophe suscite une levée de boucliers, sans précédent. Il ne se passe pas un jour, en France, sans que l’on n’évoque « l’affaire. » Des chroniqueurs comme Guy Carlier, en bons flingueurs, rédigent l’acte de décès. Ou le rayent de la carte des penseurs en quelques lignes pour justifier un salaire, le matin. Qu’a-t-il fait pour catalyser tant de railleries ? L’intellectuel, aux yeux des cerbères, a déterré un secret d’État. Crime de lèse majesté où la loi du silence est « la fille aînée de la République ». Le professeur s’est fait populiste, sans le vouloir. Contrairement à ce que la « noblesse » – l’alliance médiatico-politique- raconte, l’Agrégé n’a pas « balancé » un ancien ministre. Ni jeté en pâture l’honneur d’un « illustre », pour qui les projecteurs et la gloire valent plus que l’engagement politique. Les polémistes confondent avec malice pédagogie et déballage, signe des temps modernes, où tout se vaut au bout du compte. Pour peu qu’on ait fréquenté Luc Ferry, on sait que l’homme tient la délation en horreur. On sait également que la philosophie n’est pas pour lui synonyme de potins. Convaincu de la folie de « la transparence », il a cherché par l’absurde à démontrer l’impasse de l’entreprise qui veut qu’aujourd’hui, on dit tout sur tout le monde. Pour ce faire, il lui fallait un exemple. Qui fait l’ange, fait la bête. C’est la conséquence d’une dialectique mal comprise où la société, à l’heure du net et de l’image, ne retient que la forme. Mais pas le fonds : la démonstration du propos.
« Ce moraliste » que le Canard Enchaîné démolit, avait voulu mettre en garde des journalistes homistes contre la tentation de pureté… la passion de la factualité, du légalisme. En expliquant que la loi permet à un homme, aussi retors soit-il, d’attaquer en justice toute personne qui l’accuse de crime : la pédophilie, en l’espèce. Malgré la véracité des faits… les rumeurs de cabinets ou autres témoignages de haute moralité. L’instrumentalisation des mécanismes judiciaires, les retours de bâton, pour le dire autrement, se retournent contre ceux qui font du droit à l’information, un métier, voire une éthique à plein temps. D’où la gageure, l’impossible mission des nouveaux hussards, pris entre l’enclume et le marteau ! C’était le message de « l’homme à la jaguar ». De celui qui occupe un emploi fictif à l’université, dixit Isabelle Barré.
Cette leçon, digne du Collège de France, n’avait pas sa place sur Canal plus. Encore moins à une heure de grande écoute. Lorsqu’elle asperge une classe politique qui fait de la vertu, une obligation pour les autres. « Une exception » pour quelques uns. Il ne faut pas révéler aux Français les dessous de table du pouvoir, ses pratiques, à un an des présidentielles. Surtout si les sondages qualifient Marine Le Pen au deuxième tour. L’heure doit être au tollé. A l’indignation, à l’union sacrée, à la moquerie, sous couvert d’expertise et de rigueur…Les mêmes qui reprochent au philosophe une « vanité » sans bornes, versent dans l’arrogance civique.
Ferry, toujours prompt à débusquer les non-dits, pour soulager une conscience malmenée par les affres du pouvoir, a dynamité les sanctuaires du silence… les « tours jumelles » du grand secret. Il a rappelé qu’on ne peut pas faire à la fois l’éloge de la transparence au nom de la démocratie, demander des comptes aux politiques et avoir autour d’une même table, des journalistes qui partagent les mêmes cachotteries, couvrent les mêmes clients. Garder les cadavres ou les sortir du placard, quitte à en payer le prix politique. C’est la rançon des insoumis, des candidats involontaires au suicide médiatique.
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