Festival de la propagande à ’C dans l’air’ sur l’euro
"C dans l’air", dans son émission du 5 décembre, a décidé de s’attaquer à la question de l’euro.
Pour ce faire, on nous a gratifié de quatre pseudo-experts, présentés comme économistes, mais dont aucun n’en a en réalité le titre. Philippe Dessertine est un professeur de gestion, Marc Fiorentino est un « financier » médiatique qui s’est fait remarquer pour ses condamnations à répétitions par l’autorité des marchés financiers (c’est dire son expertise…), Sophie Pedder, une journaliste anglaise envoyée par The Economist pour nous dicter la conduite de la France, Jean-Dominique Giuliani, dont la connaissance en économie est non-significativement différente de zéro et qui est à la tête d’un organe ultra-européiste : la fondation Schuman (du nom de Robert Schuman, européiste frappé d'indignité nationale à la Libération et ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain...).
Bref, c’est un plateau qui sent la propagande, et on n’en a eu pour son argent…
Voici quelques uns des florilèges de ces tristes sires :
- « Les taux d’intérêt augmenteraient de manière vertigineuse »
De quel chapeau ces prévisions sortent-elles ?
Ces europhiles nous disent qu’avant l’euro, la France empruntait à des taux extravagants, et qu’il suffirait de revenir à notre monnaie nationale pour les retrouver.
Ceci témoigne d’une incompétence crasse. En effet, si les taux d’intérêt étaient élevés, c’est parce que la Banque de France maintenait ses taux directeurs à un niveau élevé, précisément pour préparer l’arrivée de l’euro. En effet, il fallait « coller au Mark ».
Comme le rappelle Jean-Paul Pollin, professeur à l’Université d’Orléans :
« pour ne parler que de la décennie 90, il y a eu deux périodes principales avec des taux bien différents. Au début des années 90, alors que le franc est faible face au mark, les dirigeants français veulent coller à la monnaie allemande pour qu'un jour la France puisse entrer dans l'Euro. Pour attirer les investisseurs, la Banque de France fait monter les taux d'intérêt. Ils sont à 10% en 1990 ». « Regardez ce qui se passe en Suède ou au Royaume-Uni. Ces pays sont hors de l'Euro et cependant, ils n'ont pas de taux d'intérêt assassins, de taux d'intérêts de 10%. Il n'y a pas de raison qu'ils aient des taux d'intérêts plus élevés dés lors que leur politique monétaire sont crédibles". En Suède, les taux à 10 ans sont actuellement aussi bas qu'en France à 2% et au Royaume-Uni, un tout petit peu plus élevés à 2,6%. En fait, tout dépend de la politique que pratiquerait la France en cas de sortie de l'euro. Inflation, dépenses, notamment. C'est en fonction de cela que les taux s'ajusteraient ».
La dévaluation est justement l’arme qui fut longtemps utilisée et qui continue à l’être par nombre de nos voisins, pour réduire le fardeau de la dette. Jean Tirole, dernier Prix Nobel* d’économie, affirme ainsi que :
« la dévaluation nominale (forte inflation et dévaluation), moyen habituellement utilisé par un pays surendetté pour restaurer sa compétitivité et éviter un « défaut » (ou du moins un défaut formel, l’inflation étant une forme d’expropriation) ne saurait être envisagée dans une union monétaire. Ce « défaut en douceur » est l’une des raisons qui expliquent pourquoi le Royaume-Uni, les États-Unis et le Japon, dont les finances publiques sont également fragiles, se financent plus aisément que les pays européens surendettés »[1].
La dévaluation joue donc le rôle d’un défaut caché, et en douceur. Elle permet de rendre soutenable la trajectoire de la dette, par l’accroissement temporaire de l’inflation et par le retour de la croissance. Ceci conduit les investisseurs à voir la dette comme davantage solvable qu’auparavant, et à facturer des taux plus faibles[2].
En 1992, quand l’Italie et l’Espagne ont dévalué leur monnaie, les taux d’intérêts n’ont pas drastiquement augmenté. Sur le long terme, ils ont même baissé.
![](http://u.jimdo.com/www71/o/sb2688591d7fb432a/img/i047081620eaee490/1418034007/std/image.png)
- « La sortie de l’euro ferait monter la dette publique mécaniquement ».
Alors que le Monde a publié plusieurs articles sur la question, de même que Libération, l’émission annonce une explosion « mécanique » de la dette publique.
C'est à croire qu’ils ne jurent que par l’évangile selon Saint-Sarkozy (expert s’il en est) pour qui la dette augmenterait de 200 à 300% (et pourquoi pas 1000 % ?). Confondait-il avec son propre bilan ?
Rappelons d’abord que ce n’est pas lieu de résidence du détenteur de dette qui importe, pas plus que du fait que la dette ait été émise en euro, mais le pays où a été émis ce contrat[3].
Or, 97% du montant total de la dette a été émis en droit français. Et selon le principe de droit international de Lex Monetae, cette part de la dette est convertible en nouveaux francs.
En effet, le changement de monnaie en France serait acté par une loi « monétaire » (faisant office de lex monetae en droit interne), les juges français se voyant obligés d’appliquer cette loi.
Pour les 3% restants (dette émise en droit étranger), cela dépend des juges étrangers, qui doivent, en principe, d’après la Lex Monetae, convertir également ce montant en nouvelle monnaie[4]. Mais, même si ça n’était pas le cas, la dette augmenterait de seulement 60 milliards d’euros pour une dévaluation de 20%.
Rappelons par ailleurs que si la France n’avait pas payé d’intérêt depuis les années 70, sa dette serait de seulement 25% du PIB…
- Comparaison ménage-Etat.
Giuliani, qui a brillé par ses mensonges et son incompétence, ne pouvait pas passer à côté de ce sophisme qu’est la comparaison « ménage et Etat ».
Sait-il seulement que les ménages et les entreprises sont endettés à 160% du PIB, soit moitié plus que l’Etat ?
Est-il au courant que, pour acquérir un logement, les ménages doivent consentir des prêts remboursables sur des années ? Qu’ainsi, ils « dépensent plus qu’ils ne gagnent » ?
Sait-il par ailleurs qu’un ménage ne peut pas augmenter son revenu à sa guise, ce qu’un Etat peut faire en augmentant ses recettes ?
Sait-il enfin que le taux d’endettement d’un Etat peut diminuer, alors même qu’il est déficit ?
En effet, la dynamique d’endettement dépend du taux d'intérêt payé sur la dette, mais aussi de la croissance, de l'inflation, ainsi que du déficit primaire (c'est à dire hors intérêts). Ainsi, même avec un déficit primaire de 2%, une inflation de 3%, un taux de croissance de 2% et un taux d’intérêt de 2%, le taux d’endettement diminue [5].
- « Les pays qui ont appliqué l’austérité vont mieux » : l’Espagne…
Autre énormité ressassée : grâce à l’austérité, les pays du sud de la zone euro vont mieux, surtout l’Espagne.
Un simple regard sur les PIB des différents pays depuis la crise suffit à battre en brèche ce boniment.
En effet, le PIB de l’Espagne est 7% plus bas qu’en 2008 !
Par ailleurs, ce graphique ci-dessous de l’OFCE montre un lien évident entre austérité et écart de production. Plus il y a eu d’austérité, plus la croissance fut faible, et le plus souvent, négative.
Par ailleurs, le propre service de recherche de la Commission a estimé l’impact de l’austérité sur le PIB[6].
Selon la direction EcFi de la Commission pour la période 2011/2013 (en point de PIB) |
||||
France |
Allemagne |
Italie |
Espagne |
Grèce |
-4,8 |
-3,9 |
-4,8 |
-5,4 |
-8 |
Si aujourd’hui, les pays comme l’Espagne vont mieux, c’est précisément parce qu’ils ont temporairement ralenti l’austérité[7], et qu’ils profitent également de la désinflation, qui permet d’augmenter (temporairement aussi) le pouvoir d’achat, et donc de soutenir la consommation.
Cependant, cette situation ne durera pas : l’Espagne doit encore réduire son déficit (aujourd’hui de 5,6%) ce qui impliquera de nouvelles mesures d’austérité, et la désinflation ne dure qu’un temps, surtout si elle menace de virer à la déflation.
- "La dévaluation, c’est du passé"
Les intervenants font mine de croire que la dévaluation n’existe plus, et n’est plus utilisée. Or, c’est la norme ! Royaume-Uni en 2008-2009, Japon en 2013, Etats-Unis (constamment…)… Tous ces pays ont connu de brutales dépréciations et sont ceux qui aujourd’hui, repartent le mieux…
La zone euro est cantonnée à son rôle d’idiot du village global, qui attend que le jeu économique de ses « partenaires commerciaux » se fasse.
- "Dévaluation = fin du commerce international = la guerre."
Comment peut-on en arriver à un tel niveau de non-sens ?
La dévaluation permet justement de relancer le commerce mondial, puisque les produits du pays qui dévalue deviennent beaucoup plus attractifs. Ses exportations augmentent donc.
Dessertine a recours, pour appuyer cette audacieuse remarque, au mensonge systématique déjà usité en 2012 à "Mots croisés". Ainsi, on apprend que c'est à cause des dévaluation que le commerce mondiale s'est effondré lors e la crise de 1929.
Si ce monsieur passait un peu plus de temps dans les bibliothèques et moins sur les plateaux télés, il aurait su que :
1/les dévaluations sont intervenues tardivement (puisqu’on était en régime d’étalon-or)
2/que les pays qui s’en sont le mieux sortis, sont ceux qui ont quitté l’étalon-or le plus tôt (cf graphique ci dessous)
3/que le commerce mondial s’est effondré bien avant les dévaluations, non pas à cause du protectionnisme (qui lui aussi est intervenu plus tard), mais simplement parce que les capitaux américains qui étaient en Europe ont été rapatriés, et que la demande mondiale s’est effondrée[8].
Notons par ailleurs que James Meade, lauréat du Prix Nobel notamment pour ses travaux sur les zones commerciales, affirmait en 1957, au moment du traité de Rome, que le marché commun européen nécessitait de conserver la possibilité de dévaluation en rétorsion aux éventuelles politiques d’exploitation du voisin ( « Beggar thy neighbour ») mené par un pays[9] (typiquement le cas de l’Allemagne au début des années 2000).
Enfin, et là, on joue à se faire peur, ces dévaluations auraient amené Hitler, la Guerre, et la fin du monde...
Il n’y a qu’un malheur : ce sont les politiques d’austérité et déflationnistes du chancelier Brüning qui ont permis l’émergence d’Hitler.
- "L’euro a dévalué, ça n’a pas marché".
Eternel lieu commun rabâché par nos européistes compulsifs : la récente dévaluation de l’euro n’a pas permis d’augmenter les exportations : c’est bien la preuve que la dévaluation ne sert à rien.
Premièrement, l’euro s’est effectivement déprécié de 10% par rapport au dollar depuis mai. Mais, comme presque 50% de notre commerce se fait à l’intérieur de la zone euro (donc en euro), le taux de change effectif (c’est-à-dire celui à l’égard de l’ensemble de nos partenaires économiques) n’a baissé que de 5%.
Outre le fait qu’un tel niveau n’est pas suffisant pour rétablir la compétitivité de la France, il ne résout pas notre principal problème : nos principaux concurrents sont à l’intérieur de la zone euro : on aurait le plus besoin de dévaluer par rapport à eux !
Alberto Bagnai, professeur d’économétrie italien montre que la sensibilité des exportations italiennes est de loin plus forte avec les pays de la zone euro, que les autres. En clair, une dévaluation de 20% de l’euro n’a quasiment aucun impact sur la balance commerciale de l’Italie, quand la dévaluation de 20% de la Lire permettrait de l’accroître de 100 milliards de Lire[10] ! Ce raisonnement est applicable à la France, étant donné la similarité de ses spécialisations productives.
- "Les prix augmenteraient de 20% !"
Là, le baratineur en chef Giuliani nous a gratifié d’un festival. Selon ses « calculs » d’apothicaire (faits au doigt mouillé sur un coin de table), la facture d’énergie des ménages passerait de « 2100 euros » à 2520 (soit 20% d’augmentation).
La tromperie est à son sommet : dans ses savants calculs, le sieur Giuliani ne s’est pas aperçu que le prix de l’énergie était aussi constitué de taxes…
Mais surtout, qu’au moins 50% de ces dépenses sont liées à la consommation d’électricité (nucléaire), qui n’est donc pas importée…
Pour être plus sérieux, l’OFCE a estimé à l’aide d’une modélisation VAR que l’augmentation du 20% du prix des importations (ce qui revient à peu près (hors effets de marges) à une dévaluation de 20%) conduit à accroître l’indice des prix à la consommation de 1,7 (hypothèse moyenne) à 2,4 points (hypothèse haute)[11]. Ainsi, par rapport au niveau d’aujourd’hui (0 ,5% d’inflation environ), dans le pire des cas, l’inflation serait 3%...
En effet, la part des importations dans la consommation des ménages n’est que de 15% !
En ce qui concerne l’essence, nous l’avons dit, près de 60% du prix est constitué d’impôts (TVA, TICPE essentiellement).
Ainsi, une dévaluation de 20% n’augmenterait les prix à la pompe que d’environ 10 centimes, sachant qu’ils ont baissé de 10 centimes depuis le début de l’année 2014…
Ceci est confirmé par l’estimation économétrique réalisée par Alberto Bagnai en Italie[12].
Bref, on est loin des fantasmes colportés par cette émission.
- "L’Argentine a connu une situation épouvantable"
Au secours de sa piètre argumentation, Dessertine eût recours à l’exemple argentin.
Evidemment, c’était trop lui demander de regarder les chiffres avant de parler.
Il aurait pu constater que l’Argentine a connu une croissance vertigineuse immédiatement après sa dévaluation (graphique ci-dessous), succédant ainsi à des années d’austérité et de récession.
Que le taux de chômage a drastiquement baissé, de même que le taux de pauvreté, ou encore l’indice GINI qui mesure les inégalités…
C'est vrai que comparé à la Grèce, c'est épouvantable.
Mais quelle est donc leur alternative, si ce n'est ce que Draghi a déjà esquissé : la baisse des salaires, pour sauver l’euro ?
Ces gens s'inventent des conséquences d’une éventuelle sortie de l’euro qui ont en réalité déjà lieu !
[2] Par ailleurs, il faut noter, comme le rappelle R.Lavagna, que 48 heures après la défaut argentin sur sa dette extérieure, les investisseurs étrangers étaient demandeurs de la dette argentine précisément pour ces raisons
[3] http://altereconomie.jimdo.com/2014/10/13/nouvel-article/
[4] Scott, "When the Euro Falls Apart", 2012
[6] http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/economic_paper/2013/pdf/ecp506_en.pdf
[8] « la production intérieure des grands pays industrialisés régresse [...] plus vite que le commerce international ne se contracte, Si cette baisse avait été la cause de la dépression que les pays ont connue, on aurait dû voir l'inverse. L'essentiel de la contraction du commerce se joue entre janvier 1930 et juillet 1932, soit avant la mise en place des mesures protectionnistes ». J. Sapir, Le Monde diplomatique, mars 2009, Dossier : Le protectionnisme et ses ennemis, « Ignorants ou faussaires », page 19.
[9] Meade, J.E. (1957) “The balance-of-payments problems of a European free-trade area”, The Economic Journal, 67, 379-396.
[10] http://www.asimmetrie.org/wp-content/uploads/2014/07/APB2014-01.pdf
[11] http://www.senat.fr/rap/r08-169/r08-16921.html
[12] http://www.asimmetrie.org/opinions/svalutazione-del-cambio-e-prezzo-della-benzina/
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