Feu la télé de Madame (3)
Envahisante, intrusive, harcelante, la télévision occupe de nos jours une très grande place dans la vie des citoyens. Dans ce troisième volet, nous poursuivrons notre analyse du phénomène « télévision » dans ses modes d’expression. Si la télé est devenue la « machine à décerveler » du père Ubu, elle est aussi devenue le principal organe de propagande des Ribouldingues de la politique de notre glorieuse République, avec leur langage et leurs règles propres et ce, à la gloire du pouvoir en place.
(suite)
Dans la liste des manies désagréables des clowns de la french Tivi, on notera celle qui consiste à faire semblant de présenter les émissions — voire le jité — comme étant spécialement destinés aux téléspectateurs : Votre TV-Matin se poursuit avec… Et voici votre émission médicale dédiée au cancer de la prostate (dames, s’abstenir) ; Et maintenant, place à votre journal télévisé. Soyez heureux, téléspectateurs ! Vous faites partie de cette élite pour qui la télé se décarcasse. On doit sans doute cette navrante ineptie à nos amis Étazuniens (l’auteur va se renseigner auprès des autorités compétentes).
Les voix. Le ton sur lequel parlent certains présentateurs et surtout présentatrices est placé un ou deux tons au-dessus du ton normal, ce qui est pénible à entendre d’une part, et doit fatiguer leur voix ensuite. Et il n’y a pas que les demoiselles de la météo qui parlent ainsi. Par contre, un présentateur de TV-6 susurre de façon très confidentielle les infos sur un ton maniéré, théâtral, en cultivant les basses. Autre défaut : nombre de journalistes ou de présentateurs nous gratifient généreusement de leur asthme (on pense par exemple à un certain présentateur du bulletin météo à Beauf M-Télé). D’autres livrent les infos sur un ton pleurnichard, comme un enfant se plaignant d’un méfait à sa maman. Une émission de la 2 (TV-Matin) réunit une brochette de personnes à la voix pénible : un animateur pour bignolles à la voix sèche et cassante, une chroniqueuse à la voix rauque de corbeau, une autre à la voix nasillarde, une autre encore à la voix de souris, et une journaliste livre enfin les nouvelles sur un débit de mitraillette (1). On a déjà évoqué le cas d’un journaliste de TV-6 qui cultive sa voix comme une plante précieuse. Beaucoup articulent mal ou à peine, de sorte que l’on a parfois du mal à suivre ce qu’ils disent. N’apprend-on donc pas à poser la voix, à parler naturellement dans les écoles de journalisme ?. « Un acteur, c’est d’abord une voix », disait Arletty ; et un journaliste ou un chroniqueur, semble-t-il, c’est d’abord un manque de voix.
Il est de bon ton que les présentateurs et animateurs s’appellent par leur prénom — mode moderne, qui sévit aussi dans les sociétés — et en se tutoyant, donnant ainsi à leurs interventions un petit air de famille, d’entre-soi, d’où le téléspectateur se sent exclu. Et si un journaliste présente un reportage, il saluera le présentateur ou la présentatrice du journal — mais pas les téléspectateurs : Bonsoir, Anne-Marie, hé bien oui, la situation s’est significativement tendue en Suisse où on a assisté à de violents affrontements entre les pompiers et la police qui a utilisé des canons à eau pour disperser la dizaine de soldats du feu déguisés en ours manifestant devant le zoo de Bern… Les esprits s’échauffent. On craint le pire. On se rappelle peut-être les chroniqueurs de TV-Matin dans leur exercice quotidien de lèche-bottes : « Bonjour William, bonjour à tous ! » : on salue d’abord le producteur-présentateur, les téléspectateurs passent après. Et puis : à tous, c’est-à-dire tous dans le même sac, tous en tas. On n’atttend plus que le Hello everybody !
Lors d’une interview, il est courant que le journaliste professionnel coupe grossièrement la parole à celui qu’il interroge, ne lui laissant pas le temps de terminer ses phrases, et en le bombardant de questions ou d’objections. Même les ministres n’échappent pas à cela. Cette méthode est théoriquement destinée à ne pas laisser l’invité développer ses idées à l’infini, et répond à un objectif de temps : on n’a que tant de minutes à consacrer à l’invité avec tant de questions à poser, en attendant la « pause » publicitaire (par ici, les sous-sous) qui pollue la télé. Mais aussi et surtout, ce procédé a pour but de destabiliser l’interlocuteur. La tactique du/de la journaliste est de malmener l’interviewé, pafois de façon agressive — surtout si l’interviewé appartient à un parti de droite (n’oublions pas que la plupart des journalistes sont prétendument de gauche). Et on se demande comment des personnalités peuvent se prêter au jeu sadique de ce type d’interview. Cela ressemble plus à un interrogatoire de police, cherchant à prendre un prévenu en défaut, qu’à un entretien courtois. Ne manque plus que la lampe dans les yeux.
Et au moment d’élections importantes les journalistes, délaissant les « petits » partis, opposent systématiquement à la fin deux partis qu’ils jugent prédominants, en « diabolisant » l’un pour faire gagner l’autre. Il y a des années qu’ils utilisent ce grossier procédé et, bizarrement, ça marche encore.
D’autre part, les journalistes interviewant une personnalité ou un invité s’adressent à eux en les appelant familièrement par leur prénom et leur nom, en ne faisant jamais — ou presque jamais — mention du titre : Bonjour, (prénom, nom) au lieu de Bonjour, madame la Présidente ; Bonjour, (prénom, nom) au lieu de Bonjour, monsieur le Député... Même chose pour les personnes sans titre : Bonsoir, (prénom, nom), au lieu de : Bonsoir, monsieur Untel ou madame Unetelle. Cette manière désinvolte dans les rapports humains a un côté choquant. Mais les journalistes, arrogants et suffisants, estiment sans doute faire partie de l’élite, et considèrent qu’ils en droit de s’adresser aux personnalités sur un pied d’égalité ; et pour les simples péquins, pourquoi se gêner ?
Toutes les choses énumérées dans les précédents volets — et bien d’autres encore — rappellent cette pique de Jules César, s'adressant à un orateur qui avait très mal prononcé son discours : « Si tu as voulu parler, tu as chanté. Et si as voulu chanter, tu as très mal chanté ». Quant aux présentateurs et journalistes de la french Tivi, ils ne savent ni parler ni chanter.
Jean Dutourd écrivait déjà : « En ce qui concerne la langue française, la télévision est à présent quelque chose comme le Musée des horreurs. » L'auteur considère, pour sa parti, que c'est une annexe du Musée de la connerie (2), et fait partie des grands fléaux qui affligent la France d'aujourd'hui comme la drogue, l’illettrisme, les religions à la con et la pauvreté d’une part, et l'incompétence, la lâcheté et la malhonnêteté des hommes politiques d’autre part. Conclusion : les journalistes, non contents de déformer les informations — les infox (3) —, déforment aussi la langue et sa prononciation, l’un n'allant pas sans l’autre.
L’apparence. Une place de plus en plus grande est faite au style Ribouldingue (4), c’est-à-dire à des hommes pourvus d’une barbe mal rasée du plus bel effet, surtout si elle est poivre et sel. C’est crado et ça vieillit. Cela leur donne d’autre part un air « muslim », ce qui dément les accusations d’islamophobie [sic] dont on charge les Français. Il est vrai que la barbe est à la mode, en un temps où la virilité est battue en brèche par tout un tas de féministes distinguées (SainteMeetouche, BalanceTonPorc (5), etc.).
Le style « cool » (djinze, basquettes, tenue négligée, cheveux en bataille) caractérise un certain nombre de présentateurs d’émissions, sauf pour les grand’messes du jité, où une tenue soignée avec quelquefois une cravatte, est en général de mise pour les messieurs. Les infox, c’est sérieux, ça, madame. Question préoccupante : va-t-on bientôt voir des jités ou des émissions présentés par des journalistes voilées ?
Le journaliste professionnel arbore souvent un sourire artificiel, même en annonçant des événements sérieux ou dramatiques, comme si c’était pour eux matière à amusement ou à séduction — à moins qu’ils ne posent pour une marque de dentifrice. On est d’autre part frappé par le nombre de sourires aux dents parfaitement blanches qui rappellent la plaisanterie du film La vengeance d’une blonde à propos d’un présentateur au sourire éblouissant : « Ce n’est pas un sourire, c’est un appel de phare ». SVP, un peu moins de bleaching, et un peu plus de sérieux.
L’écran. Si vous regardez un jité sur certaines chaînes d’info en continu, vous serez sans doute surpris par l’empilement de bandeaux en bas de l’écran : jusqu’à trois, sans compter « l’incrustation » du logo de la chaîne, et l’heure qui s’affiche. Sur un bandeau s’affiche le nom et les qualités d’une personne interviewée ; sur un autre bandeau est mentionné le thème du reportage ou de l’interview ; sur un troisième bandeau défilent des infos en continu, et qu’on a parfois du mal à lire. Sur ces bandeaux s’étalent comme des crachats gluants les fautes de français et d’orthographe généreusement attribuées aux fameux « stagiaires ». Au-dessus des bandeaux, l’écran est parfois divisé en deux : une moitié pour le journaliste qui interroge, une deuxième moitié pour la personne interrogée. Il peut même y avoir une troisème, voire une quatrième portion d’écran, répresentant une scène où se déroule l’action par exemple. Sans compter les « incrustations », faisant la promo d’une émission. Bref, ce n’est plus un écran, mais un puzzle. L’on a intérêt à avoir un écran géant. D’ailleurs les écrans sont devenus de plus en plus grands, voire immenses (presque un pan de mur).
Pour les chaînes publiques, le numéro de la chaîne, précédé d’un gros point, apparaît en incrustation ; par malheur ce logo est de couleur claire de sorte que sur fond clair le chiffre ne se voit pas. Il suffirait — peut-être — d’ombrer le chiffre pour qu’il soit visible. Même chose d’ailleurs, et cela est valable pour toutes les chaînes, pour les sous-titres en général en blanc, de sorte que sur fond clair, on se crève les yeux pour les lire. Pourquoi ne pas ombrer les lettres des sous-titres ? Personne n'y a pensé ? Ou est-ce trop difficile ?
La posture. Les journalistes qui, avant, présentaient les infos sagement assis en tapotant leurs feuillets sur le bureau ou en ânonnant ce qui défile sur leur prompteur, ont fait place à une nouvelle race de journalistes, avec un style sans doute importé des U.S.A. : ils sont debout, ou déambulent avec une « tablette » à la main, s’approchent parfois d’un meuble sur lequel ils s’appuient nonchalamment, parfois une main dans une poche, pour débiter leurs âneries habituelles. Certaines chaînes d’info en continu ont, elles, un couple de présentateurs (homme + femme), en référence au couple parental, le téléspectateur étant considéré comme un petit nenfant. A ce couple parental peut s’adjoindre un « expert » dont on sollicite les doctes avis, et qui va débiter, à propos d’une situation, des fadaises qui n’intéressent personne.
Pour couronner le tout, l'écran derrière le présentateur est animé, ce qui est un moyen imparable pour dissoudre l’attention. Par exemple un paysage peut défiler doucement derrière le (la) journaliste, ou bien la Tour Eiffel scintille dans la nuit. Il y eut aussi la période « lames ». Au fond, peu importe l’info : il faut délayer, jeter de la poudre aux yeux et aux oreilles. Si le téléspectateur s’intéresse aux infos, à l’actualité, c’est foutu. Alors, il faut distraire son attention par tous les moyens possibles.
Le mobilier. On ne sait à quel(s) architecte(s) d’intérieur dément(s) la télévision française a fait appel pour le dessin des meubles dans les studios. Les bureaux habituels, simples et sobres, ont été remplacés par des sortes de comptoirs de café aux contours bizarres, en courbes tarabiscotées, où l’esthétique et l’ergonomie ont été sacrifiées. Là aussi c’est symbolique : au lieu de dire les choses franchement, de façon directe et droite, les journalistes usent de circonlocutions verbales (le « politiquement correct ») et de circonvolutions mobilières (ils tournent autour du pot).
Autour de ces délires mobiliers sont disposés des sièges sur un tube central et à dossier très bas, sans accoudoirs, sur lesquels les présentateurs et les invités prennent inconfortablement place. Tout ce monde a l’air joliment ridicule. De plus, il y a là un aspect sado-anal car on a l’impression que le tube des pieds de ces sièges va leur entrer dans le… fondement. Y’a pas à dire, la télé française a l’art d’entuber.
Après le jité, les téléspectateurs subissent un deuxième fléau, sournois et délétère. Ce fléau, c’est la publicité, qui vous harcèle de façon permanente ; une publicité odieuse, indécente, accaparant un espace télévisuel dans lequel s’engouffrent de grandes sociétés, nationales, internationales, transnationales, et même über-nationales. La publicité vante des « produits », sans grande utilité, voire des produits dangereux (par exemple, pour certains produits ménagers, il est recommandé : « Tenir à l’écart des enfants » — voilà qui est rassurant sur la nature du produit !). D’ailleurs, il est reconnu que pour les « annonceurs » le produit, c’est et ce n’est que le téléspectateur — qui devrait donc être tenu à l’écart du téléviseur.
Les émissions dites de divertissement (pascalien, n’en doutons pas) feront l’objet d’un autre article. Des divertissements qui, selon les déclarations cyniques d’un responsable d’une chaîne de la french Tivi, ne servent qu’à « vendre des temps de cerveau disponible à caca-cool » (notons au passage que ce prodigieux crétin se rend volontairement complice des dégâts de santé que provoque ledit caca-cool).
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Notes
(1) Les bulletins météo sont dits rapidement, ce qui fait penser aux Raisins verts de Jean-Christophe Averty, qui obligeait la bafouilleuse Anne-Marie Peysson à réciter très vite le générique. Mais ça, c’était de l’humour. Certaines pubs pour des « dispositifs médicaux » (= pseudo-médicaments) sont dites à un rythme si rapide qu’on arrive à peine à comprendre. Mais ça, c’est de la pub.
(2) Entrée sujette à redevance annuelle, mais c'est ouvert tous les jours, 24 h sur 24.
(3) Une infox est une info présentée comme ayant une « réalité alternative » (définition inspirée de Kellyanne Conway, conseillère de Donald J. Trump).
(4) Héros de la bande dessinée de Forton Les Pieds nickelés. Voir l’illustration en tête d’article.
(5) Sur le modèle de Touche pas à mon pote, l’auteur propose de créer le mot-clé Touche pas à mon porc. Qui m’aime me suive, et cochon qui s’en dédie ! La chasse aux sorciers (Polanski, Besson, Bruel, Samitier, Ruggia, etc) qui sévit en France commence à être lassante par son caractère systématiquement anti-mâle. Cette chasse deviendra-t-elle une châsse, où on coffrera des gens de talents ?
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