Fleurs à la mer
C’est un grand oiseau de nuit, un oiseau blanc à qui on avait dit « si tu vas à Rio ». Il a fait un fracas formidable dans 228 vies, dans le silence de la mer que chantait Ferré . Mais aussi dans le bruit des plateaux télés des pâles idoles du PAF, les pales de l’hélicoptère qui brassent l’air vicié de ceux qui s’autorisent à penser dans les milieux autorisés. Ni femmes ni enfants d’abord, tout le monde ensemble, dans le mystère d’un écho radar qui s’est tu. Avec dans les bottes médiatiques, des montagnes de questions. Où subsiste encore l’écho de 228 âmes parties vers l’irréel. Et puis revient à la mémoire, comme à la surface de l’eau , le lancinant souvenir d’une vieille chanson presque prémonitoire de Polnareff : « Holidays ».
Je vous préviens, ce sera juste un billet pour ne rien dire, ou plutôt pour dire l’inverse. Pas une histoire de gros navions avec des complots et des on-nous-dit-rien-on-nous-cache-tout. Pas une histoire de décrochage, de portance, d’ADIRU, d’ISIS ou de fly-by-wire.
Toute fin est brutale, puis définitive. Celle-ci plus que d’autres. On veut bien faire semblant de croire qu’on s’en remettra, que tout passe, tout lasse, on n’y croit qu’à moitié. Pour l’instant, tout casse. La mort est basse, mais il ne faut pas la regarder de haut.
La vie, on commence à la connaître. On sait bien qu’elle nous endort avec ses prouesses technologiques , ses horizons artificiels au tableau de bord du temps qui passe, ses commandes électriques pour que tout se passe bien, que les vols et nos petites affaires arrivent à l’heure et qu’on n’en parle plus. Un pilotage automatique branché sur nos quasi-certitudes.
Qui nous disent que les femmes meurent à 83 ans et les hommes à 78.
Certes, la faucheuse, cette traînée, on la connaît aussi. On sait bien qu’elle réclame son lot du lundi au lundi, été comme hiver, avec l’obstination d’un chasse-neige finlandais qui balaie la neige de la nuit et ses petits flocons. Mais on l’imagine davantage dans le silence bleuté des veilleuses de Villejuif que dans le cuir des premières classes, quand on fait tinter le glaçon au-dessus des mers du Sud, et qu’on se demande juste si on sera à l’heure à Roissy.
On a tort.
On a bien tort. Cette catastrophe est un tragédie grecque habillée de la technologie des grands espaces. Elle amène son lot de drames et de farces de l’ironie du sort. Ceux qui ne devaient pas être sur ce vol mais qui y étaient, pantins désarticulés du Loto aérien. Ceux qui devaient y être et n’y furent pas, continuant ainsi à jeter leurs dés pour acheter l’Avenue Foch au Monopoly de la vie, sans toucher 20.000 francs.
L’occasion pour les lucarnes télévisuelles de s’autoriser à penser qu’on ne sait rien, mais qu’on ne manquera pas de le dire longuement.
L’occasion pour notre époque formidable de sortir son dernier jouet des années 2000 : la cellule psychologique. Sortez le psychologue, vous effacez le problème. Dites que vous avez mal, et vous n’aurez plus mal. Dites que vous voulez mourir vous aussi, comme lui, comme elle, et vous ne mourrez pas . Etonnant, non ? Desproges, reviens, ils sont devenus fous…
Cette catastrophe est aussi le déni de ce qui est un rite ancestral et universel : enterrer ses morts. Pas de cadavre, pas de fleurs, pas de tombe, pas de fourgon noir aux mains gourdes des croque-morts gris-métallisés qui vous demandent s’ils peuvent y aller, ma p’tite dame.
Non, rien de tout cela. Ce seront bouquets de fleurs jetés d’un hélicoptère au petit hasard, de grand matin. Dans une mer étale qui ne voudra pas dire ce qu’elle sait, ni rendre ce qu’elle a pris.
Holidays. C’était sans doute des vacances pour certains passagers du vol funeste.
Holidays, c’est aussi le titre de cette chanson prémonitoire de Polnareff qui me revient à l’esprit :
Holidays, oh holidays
C’est l’avion qui descend du ciel
Et sous l’ombre de son aile
Une ville passe
Que la terre est basse
Holidays
Holidays, oh holidays
Des églises et des HLM
Que fait-il le Dieu qu’ils aiment ?
Qui vit dans l’espace
Que la terre est basse
Holidays
Holidays, oh holidays
De l’avion, l’ombre prend la mer
La mer comme une préface
Avant le désert
Que la mer est basse
Holidays
Holidays, oh holidays
Tant de ciel et tant de nuages
Tu ne sais pas à ton âge
Toi que la vie lasse
Que la mort est basse
Holidays
Holidays, oh holidays
C’est l’avion qui habite au ciel
Mais n’oublie pas, toi si belle
Les avions se cassent
Et la terre est basse
Holidays
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Holidays, 1972, paroles et musique Michel Polnareff
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