Florence Cassez, figure mythique
Il y a cinquante ans Roland Barthes nous invitait à décrypter le quotidien, les nouvelles, et tout ce qui faisait l’air du temps. Dans son livre « Mythologies », il définissait les mythes modernes, ( Brigitte Bardot, la DS, le paquebot France, etc…), comme une forme de communication et de langage. Au-delà de leur représentation dans la presse, le cinéma, ils devenaient porteurs d’un message subliminal, porteurs de clichés et de valeurs qu’il analysait avec beaucoup d’humour et d’habileté.
Que faut-il voir dans l’affaire Florence Cassez ? Nous parlerait-on de bien autre chose que ce dont il est question en apparence.
Cette jeune femme a été condamnée à soixante années de prison par la justice du Mexique, pour complicité d’enlèvement et de séquestration. Elle est présentée comme une victime par ses proches, son avocat. L’affaire prend une tournure politique et diplomatique fâcheuse quand le président Sarkozy qui avait depuis longtemps déjà pris fait et cause pour l’affaire, annonce le 14 février vouloir dédier l’année du Mexique à Florence Cassez.. C’en est trop pour le Mexique. Son ambassadeur claque la porte, lors d’une séance au Sénat, alors que Michèle Alliot-Marie évoque le cas Florence Cassez comme une affaire d’état.
On n’en oublierait presque que c’est une prisonnière de droit commun. La dimension tragique de son destin, semblable à celui d’Œdipe, semble liée à une succession de malchance (que son petit copain soit un bandit de grand chemin), de hasard malencontreux (elle serait venue à la ferme des otages récupérer ses affaires, et de toute façon n’avait rien vu), et de bidonnage (la police joue devant des caméras de télévision une scène d'arrestation de Cassez et Vallarta dans le ranch, qu'ils présentent aux journalistes comme prise sur le vif, et qui est diffusée comme telle à la télévision).
Florence Cassez photographiée derrière les barreaux serait-elle devenue une martyre ? L’iconographie utilisée à son égard est celle que l’on utilise pour les otages. Le traitement est semblable à celui de Clotilde Reiss, qui avait été emprisonnée en Iran après avoir pris des photos dans une manifestation avec son portable.
L’otage n’a que sa fragilité pour se défendre, et susciter l’intérêt du monde, à défaut de déclencher la compassion de la part de son bourreau, qui devient ainsi tout à fait odieux et méprisable. Derrière les barreaux, c’est au contraire un tableau virginal qui nous est offert, un condensé de toute la violence du monde faite aux victimes innocentes.
Les mauvaises expériences des français à l’étranger ont toujours suscité l’apitoiement, voire la compassion. Qui n’a pas eu quelques déboires, dans un de ces pays où l’on maîtrise mal la langue et où l’on ignore les usages. Qu’aurait on fait en pareil cas ?
On est tenté de se projeter, de vouloir lui rendre service, comme on l'a fait peut-être un jour envers un compatriote désespéré, perdu, sans papier et sans argent, dans un pays devenu subitement hostile. Tout à coup le groupe se fédère autour de valeurs communes. C'est la meute archaïque qui s'organise, et qui mise à l'épreuve montre sa solidarité, voire son nationalisme.
Florence a toujours proclamé son innocence. C’est bien la preuve qu’elle n’est pas coupable ! On l’appelle Florence de façon familière, comme si elle était des nôtres, une fille de bonne famille que l’on aurait connue au village, avant qu’elle ne s’exile, dans un de ces pays d’Amérique centrale plein de narco-traficants, de politiciens louches et de flics véreux.
Pour les membres du gouvernement qui montent de façon surréaliste au créneau, c’est une formidable occasion de montrer leur humanité, leur sens des valeurs morales, leur croyance en la justice, et en l’espérance d’un monde meilleur, dont la France serait l’étalon maître.
Bref, n’en jetons plus. Une formidable occasion de promotion. Une affaire pareille, ça ne se lâche pas ! C’est la raison pour laquelle la provocation va bon train, en suivant une logique qui lui est propre. En faisant semblant de faire passer le cœur devant la raison, l'émotion à l'analyse, la politique extérieure du pays souffrira, mais la politique intérieure y trouvera son compte.
Parions sur l’amnésie des français pour qu’ils ne se souviennent pas de l’affaire de Tarnac. Notre ministre des affaires étrangères insista pendant des longs mois sur la culpabilité de personnes qui, aujourd’hui, vivent paisiblement dans leur village. Et ce en l’absence de toute preuve, mais devant micros et caméras.
Mais tout le monde a encore en mémoire sa formidable déclaration sur la Tunisie, alors que les événements révolutionnaires venaient de se déclencher : « Nous proposons que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce type » .
Fort de ces déclarations, on comprend mal maintenant pourquoi Michèle Alliot-Marie se déclare « choquée » par le sort de Florence Cassez.
Mais nous n’en sommes plus au dix neuvième siècle, ou Napoléon III envoyait un corps expéditionnaire pour asservir le Mexique. Tout cela se termina d’ailleurs assez lamentablement.
Florence Cassez est simplement tombée au mauvais moment. Il fallait une nouvelle otage comme tête de pont diplomatique à la France, après que la Betancourt ( pas Liliane, Ingrid !) soit sortie enfin de la jungle, et se soit vue offerte une opportunité étrange de concourir pour le Nobel de la paix, sortant de cette expérience auréolée d’un aura quasi messianique.
Tout cela nous ramène aux vieux mythes identitaires, par forcément laïques, sur lesquels se sont formés l’état français. Par exemple celui de Jeanne d’Arc, emprisonnée injustement, accusée de sorcellerie, et jugée par l’évêque Cochon dans un procès instrumentalisé.
On comprendra que le Mexique soit quelque peu fâché par le miroir qui lui est tendu !
Et tout cela n’est pas vraiment pour servir la jeune française, prise dans la tourmente de forces occultes qui la dépassent, et dont elle risque de faire les frais.
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