FN : la France pense tout bas
L’enfer sur moi ! J’avais oublié quelques jours l’existence de Marine Le Pen et du FN ! Mais heureusement les médias veillent, pour me rappeler « tout haut » ce que je suis sensé penser « tout bas »... Citoyen actif je m’étais replongé à la faveur de la trêve estivale dans les nouvelles solutions de sécurité sociale, les enjeux de la refondation républicaine face aux communautarismes et à la corruption morale, et dans une réponse durable à la crise écologique et au modèle productiviste de la société de consommation. Après tout, le Sommet de la Terre de 2015 approche. Il aura lieu chez nous, français, à Paris. Il constitue peut-être cette troisième voie d’une res-publica nouvelle, réunissant tous les français anciens ou récents sur des intérêts vitaux communs et rationnels, en face de défis à relever ensemble (l’évolution des techniques, de l’économie devant nourrir tout le monde, et des représentations symboliques individuelles et collectives vers une société écologiquement soutenable). L’u-topie est là devant nos pieds : l’opportunité de se construire des mémoires communes dans la lutte et l’effort de tout un peuple, en lien avec des nations partageant enfin toutes le même besoin ! Vivre ! Occupant les médias, l’épopée inessentielle du Tour de France m’avait -ironie- permis de me remettre à penser à ce qui me préoccupe vraiment, « tout bas ». Non ! Un hebdo « de gauche » relance le téléthon frontiste au coeur de l’été : Marine en tête en 2017 ! Il semble surtout qu’il veulent me mettre Marine en tête, en vue de 2017... Pourquoi cette saturation de l’espace psychique, privé, public, politique par des médias appartenant à un « système » apparemment dénoncé par le FN ? A quoi joue-t-on ? Et que sait on au fond ce que la France pense « tout bas » ?
Une des familles les plus riches de France constituée en icône.
Voici Marine Le Pen. C’est peu de le rappeler, mais la « fille du peuple », que son père compare sans complexe à Jeannette Vermeersch, est née d’une famille de rentiers et a grandi dans un château à Saint-Cloud ! Ce père, poujadiste libéral et vieux professionnel de la politique (J.-M. Le Pen vit de mandats électifs depuis 1956) n’a pas résisté au désir de transmettre à sa fille le FN comme s’il s’agissait de l’épicerie familiale ! Jadis, il avait endossé à titre personnel l’héritage Lambert dédié à la « cause nationale ». Cette affaire finalement enterrée à l’issue d’un compromis avec les héritiers du vieil industriel conservateur, éclaire la conception particulière qu’on se fait chez les Le Pen de la « cause nationale » et de la famille. Voici que la petite dernière Marion Maréchal, à qui l’on a opportunément accolé la terminologie « Le Pen », s’est vue confier une circonscription gagnable du Vaucluse à 22 ans devant tous les prétendants, fidèles militants, plus expérimentés et mieux avancés en âge ! Une étudiante en droit, comme le fils Sarkozy à l’époque ! Peu importe.
Marine Le Pen a donc repris le flambeau paternel à sa façon « dédiabolisée ». Elle critique le système UMPS et les apparatchiks européens. Mais elle siège quand même à Strasbourg depuis 2004 avec à la clef plus de 6000 euros mensuels, et a même réussi à faire salarier également son compagnon par l’institution européenne. Contemptrice de l’immigration, elle a voté en faveur du dumping social des « travailleurs détachés » d’Europe de l’Est. Morigénant l’atlantisme de Bruxelles, elle a voté en faveur du Marché Transatlantique dès 2008. Elle reproche à la classe politique son esprit de lucre et fréquentations douteuses, mais c’est un de ses amis personnels qui faisait justement profession d’organiser l’évasion fiscale de Cahuzac ! Et elle a toujours nié aux français avoir été au courant de rien concernant les malversations de l’ex-ministre des finances. Soit elle ment et cautionnait l’omerta du milieu politicien, soit elle sait mal s’informer des affaires d’état, ce qui est grave dans les deux cas.
Un parti d’extrême-droite reste un parti de droite.
Dans la famille du « ni-ni », je voudrais le ni-droite-ni-gauche, « économiquement de droite, socialement de gauche, et nationalement de France » (dixit J.-M. Le Pen). Certains militants n’hésitent pas à parler plus simplement de ‘national-socialisme’, les naïfs... Qu’importe si cela ne veut rien dire d’être socialement de gauche et économiquement de droite, tant qu’on est bien nationalement de France.
Car, l’essence même des choses politiques est qu’il n’y a pas de différence entre le social et l’économique. L’essence même du clivage droite-gauche depuis l’apparition du socialisme au XIXème siècle repose sur le clivage économico-social. En clair, il n’est question que d’économie : comment répartit-on la richesse produite entre capital et travail ? C’est toute la question. Quelle part revient au propriétaire du capital, et quelle part revient au producteur de travail ? Quelle part revient au chauffeur du camion, et quelle au propriétaire du camion ? Tout simplement. La droite pense que la majeure partie du bénéfice doit revenir au propriétaire du camion. La gauche que la majeur partie du bénéfice doit revenir au conducteur. C’est tout. Chacun se fera son idée. D’autant que nombre d’entre nous sont un variable mélange de capital et de travail. Voilà le travail et le débat démocratique !
Le social n’existe donc pas. Seul l’économique existe. Voilà ce que pensent les gens de gauche ! Le social, c’est les « pauvres de monsieur le curé », les « dames patronnesses », la « soupe populaire », et « l’aumône » au mendiant. Toutes choses fort utiles et émouvantes, mais qui n’ont rien à voir avec la politique, Monsieur Le Pen. Car, enfin, qui croit sérieusement qu’il faut laisser mourir de faim les « pauvres enfants malades » ? Tout cela n’est pas très sérieux.
Se plaçant hors du champ de la lutte des classes, l’extrême-droite prétend réunir les « petits » contre les « gros », et faire ainsi masse numérique, pour renverser les « financiers et les bourgeois ». Pour sortir de l’antagonisme économique, l’extrême-droite mobilise donc « l’identité nationale » externalisant ainsi le clivage entre le « eux » et le « nous ». A grand renfort d’imagerie esthétique, de mythologies plus ou moins livresques, et pour finir, de conflits extérieurs et autres « chocs des civilisations » (par exemple l’islamisme panarabique de son côté ne procède pas plus autrement dans son propre contexte).
Ce sentiment de fusion nationale est cependant bien théorique. Car au quotidien, à la boutique ou au bureau, les antagonismes de classe demeurent. Et un régime nationaliste doit toujours faire appel à « l’autorité », la lutte contre la « corruption de l’esprit », le « ramollissement des moeurs », la « cinquième colonne » et l’ennemi de l’intérieur, et bien sûr le « grand satan » extérieur qu’il soit « yankee », « sioniste », « financier apatride », « judéo-bolchevik », « internationale franc-maçonne », « musulman », « socialo-communiste français » mais aussi bien « chinois » ou « intellectuel dégénéré ». Bref, à chaque nationalisme sont ennemi de l’intérieur et son ennemi de l’extérieur. Au choix, il sera aussi militaro-laïque ou cléricalo-conservateur. Voir un peu tout cela à la fois ! Ce qui importe c’est que l’ennemi face peur et que les rangs se resserrent autour de valeurs simples et compréhensibles de chacun.
Mais, ce faisant, l’ordre social reste le même. « Chacun à sa place » dans la « grande oeuvre de la société ». Et le travailleur trime pendant que l’actionnaire empoche. Voilà pourquoi un parti d’extrême-droite reste un parti de droite. Un parti fondamentalement conservateur et lié aux intérêts de l’establishment. Et que passé les moments dramatiques de la prise du pouvoir, vient toujours la « nuit des longs couteaux » où l’on liquide tout le terreau des petits militants socialo-factieux devenus inutiles, comme des mesurettes sociales qui fâchent la banque peu ou prou nécessaire au régime.
Demandez à un milliardaire avisé ce qu’il pense du FN, il sourira silencieusement, l’œil plein de mystère. Il sait que l’extrême-droite tend toujours à boursoufler ses mesures sociales qui ne s’appliqueront jamais, pour discréditer les vrais progressistes aux propositions plus réalistes mais aussi plus austères. Il sait bien que le bolchévisme outrancier de façade ne s’appliquera jamais. Et que la police déployée pour la « tranquillité nationale » servira bientôt à assurer la « stabilité patronale » désentravée des « contraintes démocratiques ».
Qui veut un jour disloquer le front électoral du FN devra contraindre ce parti à venir se battre sur cet écueil des intérêts divergents du petit-patronat et du petit-salariat. Et non pas se laisser entrainer dans ses batailles chimériques et ses chevauchées des walkyries. Qui sont sans fin.
Le « modèle russe ».
Le Russie a toujours fait rêver l’esprit français. Autrefois le Tsar et le romantisme slave, l’emprunt russe, hier le mirage bolchevik, aujourd’hui les néolibéralisme autoritaire. A l’aide d’énarques habiles et d’experts en communication, Marine Le Pen a réussi à se poser en alternative socialo-poujadiste au « système UMPS ». Son projet pour la France ? Le « modèle Poutine » ! La Russie, c’est justement le pays où les « oligarques » accapareurs se pavanent en berlines de luxe devant un peuple plus misérable encore qu’à l’époque soviétique ! Quant à la désindustrialisation, elle atteint des sommets.
Si les classes éduquées (universitaires, avocats, journalistes, médecins, ingénieurs, etc.) sont persécutées, le petit peuple, c’est vrai, peut fantasmer sur le galop télévisé de Poutine sur son cheval blanc (sic !). Régulièrement, le « peuple viril » peut aller « butter » des tchétchènes « jusque dans les chiottes » ou de l’ukrainien occidentalisé (ces affaires sont d’ailleurs complexes, mais leur utilisation nationaliste en interne est elle assez simple). Et qu’importe si ce sont encore les simples soldats qui meurent dans les guerres et non les généraux. In fine, le bonheur lui-même devenant insupportable dans un quotidien trop opprimé, l’austérité des mœurs finit par supplanter le priapisme ostentatoire par lequel débute toute révolution réactionnaire. Voici qu’on légifère à Moscou contre les petites culottes en dentelles jugées « immorales » et contre les gros mots à la télévision ! Nos amateurs de « quenelles » et de « libération virile » apprécieront... L’oligarchie jouit en paix sur un peuple voué à la vie chiche, laborieuse et pudibonde. Bref, voici nos « hommes » réduit à la condition de grenouilles de bénitier soumis à un clergé lénifiant que le pouvoir ressort pour boucler la boucle « et nunc et semper et in saecula saeculorum ». Amen.
Le « parti des gens ».
A y voir de plus près, le FN dédiabolisé -et un peu affadi dans le genre, il faut le dire même si c’est plutôt mieux- ressemble à s’y méprendre au nouveau « parti des gens ». Le parti des gens ordinaires. De ces « croquantes et croquants » jadis vilipendés par Georges Brassens. Tiens ! Il ne manquerait plus qu’un chansonnier à la hauteur pour nous retrouver dans la France des années 50 et de l’inspecteur Maigret. Et Louison Bobet ne va-t-il pas gagner la Grande Boucle pour 2017 alors ? Jeannette Vermeersch a épousé Pierre Poujade ! Chacun reconnaitra ses « voleurs de pomme » et ses « culs-terreux » pour terminer avec Brassens. Ce qui est certain, c’est que le FN sentira bientôt la naphtaline des armoires de grand’ mère à force de donner dans le légitimisme populaire du marché de ma ville. Les hoquètements effarouchés poussés de la pruderie malmenée en 2002 changent déjà de camp : les ambitieux peignés sont déjà visibles au FN, et le vieux Le Pen s’alarme même publiquement d’une dédiabolisation excessive -et fatale- de son cher parti. Il le sait, sans souffre sa pensée n’est rien. Et pas plus tard que récemment, sur un bas mur de Paris, comme un changement dans l’ordre moral, un mot grossier et canaille raillait la présidente bleu-marine.
Bonnet bleu et bleu bonnet.
Alors, pourquoi tout cela ? Pourquoi ce vedettariat soudain pour l’officine Le Pen qui n’a rien apporté au débat public en 40 ans, sinon d’exciter le poulailler journalistique et d’amuser les banquets des nostalgiques de la Waffen SS ? Il suffit que la fille récite de travers le programme du Font de Gauche pour faire prendre conscience des enjeux de laïcité et de communauté nationale, des enjeux de régulation financière et de valeurs morales ? Personne n’avait donc pris conscience des enjeux de l’immigration, et personne n’avait aucune réponse à y apporter ? Voici que le Peuple à qui l’on ôte sa liberté demande encore la matraque !
En réduisant le champ de nos consciences à ce tête-à-tête étriqué entre libéralisme et réaction, le système se défend bec et ongle. Le Pen n’est même pas un réactionnaire sérieux. Comment prendre au sérieux un parti qui caquette sur la « solution ébola » pour l’immigration quand deux semaines plus tard le virus -bien réel celui-là- fond sur l’Afrique de l’Ouest, et s’arrêtera on ne sait pas encore où ? Face à Mélenchon en 2012, Marine Le Pen plaidait pour la suppression de la couverture médicale universelle aux immigrés clandestins. Le candidat progressiste lui rétorqua que les virus ne se soucient guère de l’appartenance religieuse ou nationale des personnes. Et que seule la prévention médicale la plus large rendait efficace la lutte contre les maladies. Ce simple exemple illustrant bien assez la vacuité fondamentale de la pensée réactionnaire. Si le candidat du Front de Gauche avait alors été capable de tancer aussi vertement les réactionnaires musulmans que les réactionnaires « bien-de-chez-nous », il eut peut-être été au second tour. Tout simplement. Et nous n’en serions pas ici maintenant. A discuter d’inepties, et des aventures rocambolesques de la famille Le Pen. Car au delà de l’aventure politico-narcissique d’une famille, qui sait ce qui croît à l’ombre d’un tel arbre ?
Le risque est réel de dérives vers un affrontement civil. Malgré les tentatives de ralliement inter-factieux opérées par Dieudonné, Soral et autres Farida Belghoul, deux capitalismes et deux idéologies vont trouver à s’affronter entre l’Occident chrétien et l’Islam pan-arabique. Les régimes réactionnaires aux abois dans les pays arabes financent à coup de milliards l’islamisme international sous toutes ses formes, et ont aussi intérêt au « choc des civilisations » que les capitalistes occidentaux remis en question ici par la crise financière. Le « Monde libre » s’est trouvé un nouvel adversaire ontologique. Chaque oligarchie trouvant à opprimer à sa manière sa population. Notre bourgeoisie libérale à sa façon qui va de la répression communarde ou chilienne ou poutinisme allégé. Les féodaux d’Arabie usant de méthodes plus « bolchéviques » pour terroriser le musulman ordinaire. On a vu comme les massacres, la guerre et la terreur islamistes d’abattent en priorité sur les musulmans partout dans le monde. Il s’agit d’abord de mater ses ouailles. Et de les isoler des autres troupeaux « infidèles ». Bref, le partage des richesses n’est à l’ordre du jour ni d’un côté ni de l’autre de la Méditerranée. Voilà le drame. Et il y a de l’argent des deux côtés pour financer ces clivages sur le dos des hommes et de la planète. Les « amitiés » islamo-chrétiennes de Christine Boutin en goguette à Téhéran ne sont que des préludes hypocrites et sombres à des guerres saintes.
Peut-être les choses n’en viendront pas là. Espérons-le. Mais qu’est-ce-que l’Histoire -ombre de Jaurès !-, quand on se met à « l’espérer » ? En tous les cas, le système oligarchique sortira renforcé de cette chamaillerie entre UMPS et FN. C’est là la petite fonction assignée au « rouage Le Pen » et au financement des « populismes » en Europe de l’Ouest : canaliser la colère des peuples en attendant de la mater, voir de l’utiliser dans des guerres. Les modèles russe et chinois le montrent : on avait « le capitalisme mais la démocratie ». Nous auront dorénavant le capitalisme sans la démocratie. Accomplissant l’utopie néolibérale théorisée en 1981 par l’économiste von Hayek : « je préfère une dictature libérale à une démocratie non libérale ».
Franck Passault
31 juillet 2014
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