Folie Panurgiaque, Psychose Sécuritaire
Le lundi 30 Janvier 2012 s’est abattu, sur la France en particulier, et sur l’Europe en général, une vague de froid qui lui a valu d’être en première ligne de tous les journaux télévisés de la semaine qui aura suivi. De ces JTs, dont on subodore un sadisme latent puisqu’ils envoient par vaux et par monts des correspondants passer des journées entières sous les intempéries, on retiendra surtout les magnifiques leçons de choses. Heureusement qu’ils sont là pour nous, ces braves gens !
Mais voilà. C’en est trop. Ras la casquette. Déjà qu’il faudrait qu’on se plaigne du froid et de la neige alors que nous nous trouvons au beau milieu de l’hiver, il faut en plus supporter ces discours bons à distiller à des bambins dont le malheur aurait été d’être nés sans aucune jugeotte ni bon sens. Oui, s’il fait froid, couvrez-vous !
Ce qui est génial d’ailleurs, avec les médias, c’est qu’ils ont toujours quelques bons mots à notre intention, qu’importe le temps. Un peu de crème solaire par-ci, un bonnet et des gants par-là, en veux-tu des chapeaux, en voilà des lunettes de soleil… A véritablement se demander ce que nous deviendrions, pauvres brebis que nous sommes, sans les lumières de la sacro-sainte télévision.
J’ai beau pester contre cette pratique, qui pourrait à la base partir d’un bon sentiment, mais qui à force prend la tendance de me les briser menu (pour paraphraser le regretté Lino Ventura), je réalise en fait qu’elle est partout pratiquée, et par tous. Où qu’on aille, qui que l’on soit, quelle que soit la circonstance, « on » va nous dire quoi faire, parfois même quoi penser et quoi dire. Je pose donc ces quelques questions, avant de tenter d’apporter des éléments de réponse.
- Qui est « on » ? Qui décide de ce rabâchage systématique de règles, de comportements, de directives et conseils en tout genre ?
- Quel est le réel intérêt, à la fois pour les cibles que nous sommes, et pour les décideurs ?
- Enfin, question à tendance subsidiaire, nous prendrait-on un peu pour des cons ?
Sitôt ces trois petites questions posées, je comprends déjà qu’elles sont étroitement imbriquées, et que tout élément de réponse possible s’applique à chacune d’elles.
A la première question, je réponds sans hésiter : en premier lieu, le gouvernement et les instances de pouvoir du pays. Parce que, quel qu’ait été le sujet durant ces dix ou vingt dernières années, le gouvernement fait son boulot de « prévention » : les plans Vigipirate d’une efficacité bluffante, les alertes sanitaires contre les virus qui auront fait plus de dégâts dans le budget de la Sécurité Sociale que le virus lui-même n’a décimé aucune population, pour ne citer que ces deux-là, et sont pour moi source de grande hilarité : on affole par la télé l’ensemble de la population, qui devra se prémunir d’un fléau sans nom ni pitié qui sera la perte de l’humanité. Jusqu’ici, j’ai envie de dire que tout va bien. Heureusement.
Mais, en deuxième lieu, nous avons les grandes entreprises d’intérêt social, que je ne citerais ici qu’en nombre limité, mais dont les exemples parleront à chacun. Il va sans dire que ces entreprises travaillent nécessairement de concert avec les instances mentionnées précédemment. Par exemple, depuis quelques années, il est obligatoire d’étiqueter son bagage quand nous prenons le train. Pourquoi ? Quelqu’un connaît-il une personne ayant déjà été interpellée et à qui on a exigé l’ouverture de son sac, sous prétexte qu’il soit potentiellement un terroriste ? L’étiquetage du sac ou de la valise, c’est proposer un climat d’insécurité direct dès l’arrivée dans le train. Et on nous vend l’inverse, et tout le monde s’exécute. Exemple similaire dans le métro : au-delà des « interdiction de monter quand le signal retentit » ou « vous devez posséder un titre de transport valide pour voyager » que personne, pour le coup, ne respecte, on incite les gens à parler entre eux s’ils aperçoivent un individu ou un colis suspect. Quoi de mieux, pour créer un fantasme généralisé dans un wagon, quoi de mieux pour fabriquer, de rien, une hystérie générale ?
L’intérêt est donc évident, mais pas encore tout à fait à mon goût. Mon idée, dans cette attitude paternaliste qui cherche à sortir le petit peuple de l’ombre par de grands moments d’éducations télévisuelles et iconographiques (je parle ici des millions d’affichettes qui nous disent quoi faire partout sans arrêt), c’est que le petit peuple, justement, perd toute notion de responsabilité. Il obéit, sans réfléchir, sans comprendre la raison, manu militari, à la voix de Big Brother qui lui sait comment lui offrir une vie pleine de grâce et sans douleurs. Une nouvelle maladie ? Vite, un vaccin, ca ira mieux, je ne craindrais plus rien, merci ! Des terroristes ? Vite, des barrières partout dans les rues, des drones dans le ciel, des militaires et des agents partout, je me sentirais plus en sécurité, merci. Imagine-t-on vraiment un soldat tirer au FAMAS en pleine gare ? Imagine-t-on vraiment que de simples barrières en pseudo-métal arrêtent les bombes ? Non. Mais on nous a prévenu, on a voulu nous aider, nous ne sommes pas responsables. C’est la faute à pas de chance.
Partout, absolument partout, l’on privilégie le sécuritaire à l’éducatif. L’exemple du parc à jeu illustre excellemment ce point : avant, quand un gosse se risquait à grimper un peu trop haut, et qu’il tombait, son bobo lui servait de rappel, pour se fixer une limite, qu’il tentera sûrement de dépasser en grandissant. Pour éviter les bobos, « on » a installé du goudron mou partout, et de cette façon le gosse peut inlassablement tomber et se relever, sans rien apprendre. Qu’on veuille éviter que bébé n’aille boire le débouche-évier, c’est une chose. Mais l’empêcher de se faire ses propres expériences, de tirer les leçons de ses erreurs (et parfois de ses bêtises), c’est le déresponsabiliser et l’inciter à rester dans le monde de l’adolescence. Et on s’étonne de voir des gamins de trente ans vivant encore chez leurs parents, ou qui ne passent pas une journée sans les avoir au téléphone !
Tout ceci répond donc aussi à ma troisième question, et c’est même assez tendancieux. Comme « on » nous prend pour des cons à nous dire qu’il faut mettre des moufles quand il neige et des tongs quand il fait chaud, nous n’apprenons plus par nous-mêmes, et nous nous déresponsabilisons. Comme nous nous déresponsabilisons, « on » nous dit quoi faire, en toute circonstance.
Somme toute, j’imagine que personne n’est véritablement bien placé pour chercher à éduquer quelqu’un, si ce n’est son propre enfant. Le malheur serait de croire que l’éducation ne se fait plus aujourd’hui que par la télévision, le virtuel et l’immédiat. J’ose croire qu’il n’est jamais trop tard pour rattraper le coup, qu’il est encore temps de se réveiller, avant que le troupeau n’atteigne le bord du ravin.
"Oh non l'homme descend pas du singe,
Il descend plutôt du mouton,
Oh non l'homme descend pas du singe,
Il descend plutôt du mouton...
Faut marcher dans les clous,
Faut pas boire au volant,
Faut dépenser ses ptits sous,
Faut du réseau pour tes enfants,
Faut ressembler à des guignols,
Faut passer à la télé,
Faut rentrer dans les farandoles
De ceux qui font le blé..." - Damien Saez, J'Accuse
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