Formatage des enfants par la religion
En marge d'une bible de 1751 lui ayant appartenu, Emmanuel Kant avait noté : « La Bible mise à la portée de tous est le plus grand bienfait qu'ait pu connaître la race humaine. Toute atteinte contre elle est un crime envers l'humanité. » [1]
La première partie de cet article montre que la Bible, comme tous les autres textes religieux, doit être enseignée avec un minimum de sens critique ; la deuxième partie expose quelques dérives dans l'enseignement des religions.
L'enseignement religieux est probablement le premier type d'enseignement formel que les enfants reçoivent à la fois de leurs parents et dans leurs lieux de culte. Ils apprennent que leur foi et leur dieu sont les seuls “vrais”, et que les gens d'autres religions ont tort car leur dieu est un faux dieu, ou que l’interprétation qu'ils font de ses “paroles” est fausse. En conséquence, dès leur plus jeune âge, les enfants apprennent à formuler l’idée d’appartenance à leur groupe en termes religieux avant de le penser plus tard en termes ethnique et national.
Josué et le général Lin
Au début des années 1960, un Israélien maître de conférences au département de psychologie de l’Université de Tel-Aviv étudia les effets d’un enseignement non critique de la Bible sur la formation des préjugés, en particulier « l'étude des actes de génocide commis par des héros bibliques, ces derniers étant étudiés dans une atmosphère d'identification avec les actes héroïques du groupe. » [2]
Profitant d'une étude plus vaste, il soumit l’exercice suivant à plus de mille enfants âgés de 8 à 14 ans :
« Vous connaissez bien les passages suivants extraits du Livre de Josué [6:20-21] :
“Le peuple poussa des cris, et les sacrificateurs sonnèrent des trompettes. Lorsque le peuple entendit le son de la trompette, il poussa de grands cris, et la muraille s'écroula ; le peuple monta dans la ville, chacun devant soi. Ils s'emparèrent de la ville, et ils dévouèrent par interdit [= ils massacrèrent], au fil de l'épée, tout ce qui était dans la ville, hommes et femmes, enfants et vieillards, jusqu'aux boeufs, aux brebis et aux ânes.”
Question : pensez-vous que Josué et les Israélites ont agi justement ? Expliquez pourquoi. »
Les enfants avaient le choix entre les réponses A (approbation totale), B (approbation partielle) et C (désapprobation totale).
Tamarin soumit ensuite à un autre groupe d’enfants de la même tranche d'âge l'histoire inventée du général Lin :
« “Le général Lin, qui fonda le royaume chinois il y a 3 000 ans, partit avec son armée pour conquérir une terre. Ils arrivèrent près de grandes villes entourées de hauts murs et de forteresses. Le dieu chinois de la guerre apparut en rêve au général Lin et lui promit la victoire, lui ordonnant de tuer toutes les âmes de ces villes parce que leurs habitants appartenaient à d'autres religions. Le général Lin et ses soldats s’emparèrent des villes et tuèrent par l'épée tout ce qui s'y trouvait : hommes et femmes, jeunes et vieux, jusqu'aux boeufs, moutons et ânes. Après avoir détruit les villes, ils poursuivirent leur chemin, conquérant de nombreux pays.”
Question : pensez-vous que le général Lin et ses soldats ont agi justement ou pas ? Expliquez pourquoi. »
Les récits de Josué et du général Lin sont évidemment identiques, mais les réponses des enfants furent totalement différentes :
|
A : approuvent totalement |
B : approuvent partiellement |
C : désapprouvent totalement |
Josué |
60 % |
20 % |
20 % |
Général Lin |
7 % |
18 % |
75 % |
Dans tous les cas, le groupe A justifia le génocide par la religion. Et même dans le groupe C, certains justifièrent leur désapprobation par cette raison ; une petite fille, par exemple, désapprouva l’action de Josué en disant :« Je pense que c’était mauvais car les Arabes sont impurs et si l’on entre dans une terre impure, on deviendra également impur et on partagera leur malédiction. »
D’autres enfants désapprouvèrent, estimant que les Hébreux auraient dû conserver le bétail et les habitations pour en profiter.
Tamarin avait ajouté au passage de Josué les versets 10:28-30 sur les génocides commis à Makkédah et à Libnah, où l'ancien espion de Moïse ordonna de « n'en laisser échapper aucun. »
Il aurait pu mentionner les assassinats de « tout ce qui respirait » dans les villes de Aï, Jérusalem, Hébron, Jarmuth, Lakis, Églon, Guézer, Debir, Guéder, Horma, Arad, Adullam, Béthel, Tappuach, Hépher, Aphek, Anab, Lascharon, Madon, Hatsor, Schimron Meron, Acschaph, Taanac, Meguiddo, Kédesch, Jokneam, Dor, Gojim, Thirtsa, ainsi que les Amoréens d'Azéka, les Cananéens de l'orient et de l'occident, les Héthiens, les Phéréziens, les Jébusiens, les Héviens, les Anakim, etc., tous effectués par ordre du seul dieu génocidaire encore fêté de nos jours.
Rapportant cette étude, Richard Dawkins concluait [3] :
« Dans l'expérience de Tamarin, les enfants étaient assez jeunes pour être innocents. On peut supposer que les opinions barbares qu'ils exprimaient étaient celles de leurs parents ou du groupe culturel dans lequel ils étaient élevés. Il est probable que des enfants palestiniens, élevés dans le même pays déchiré par la guerre, donneraient des avis équivalents dans la direction opposée.
Ces considérations me remplissent de désespoir. Elles semblent montrer l'immense pouvoir de la religion, en particulier l'éducation religieuse des enfants, pour diviser les gens et favoriser les inimitiés historiques et les vendettas héréditaires. Je ne peux m'empêcher de remarquer que deux commentaires du groupe A sur les trois rapportés par Tamarin mentionnent les maux de l'assimilation, tandis que la troisième soulignait l'importance de tuer des gens pour éradiquer leur religion. »
Comparant ces résultats avec ceux du général Lin, Dawkins poursuivait : « lorsque leur fidélité au judaïsme n’entrait pas en compte, la majorité des enfants étaient d'accord avec les jugements moraux de notre époque... C'est la religion qui faisait la différence entre les enfants condamnant le génocide et ceux qui en font l'apologie. »
D’après Michael Prior (The Bible and Colonialism), l’étude coûta son poste au courageux professeur George Tamarin, faisant de lui la « victime de Josué au XXe siècle [4] »
Les dérives de l'enseignement religieux
Dans tous les pays musulmans et en Israël, l'enseignement religieux fait partie du cursus scolaire obligatoire. Voici, pour quelques pays “modernes”, des indications sur ces dérives.
Maroc
Le virage vers l'éducation religieuse fut décidé par le “commandeur des croyants” Hassan II, pour de simples raisons politiques, comme l'explique un ancien professeur d'université à Casablanca :
« Considérée comme victime de “la propagande laïque” et des “idéologies destructrices”, la jeunesse [marocaine] allait devenir la cible privilégiée d’une action d’islamisation menée à la fois par le pouvoir et par les formations islamistes naissantes au début des années soixante-dix. Le but commun de ces deux forces était l’éradication des idéologies laïques dans le milieu scolaire et universitaire. Le pouvoir croyait ainsi arriver à contenir la contestation de la jeunesse scolarisée qui, à l’époque, constituait le fer de lance de l’opposition laïque.
À celle-ci on avait reproché, dans les années soixante et soixante-dix, d’être trop portée sur les idéologies séculières et modernistes. À celle qui lui a succédé dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix on reproche aujourd’hui d’être trop à l’écoute des idéologies obscurantistes et fanatiques, après avoir tout fait pour l’engager dans cette voie. » [5]
Les programmes scolaires avaient suivi :
« Dès 1999, le mot d'ordre officiel orientant les valeurs enseignées à l'école a hiérarchisé les priorités : l'Islam d'abord, puis l'identité nationale, culturelle et civilisationnelle (sans la définir avec clarté), la citoyenneté en troisième lieu, et enfin les droits de l'homme (demeurant vagues).
Un livre de langue arabe (Al Moufid fi Allougha al Arabia, 1re A.E.P), fait l'éloge de “la nation musulmane comme une nation élue, à l'exception de toutes les autres”. […] Les manuels scolaires (de l’arabe et de l’éducation islamique) sont largement envahis par les référentiels religieux. Peu de place est donc laissée à l’objectivité, à l’éveil du sens critique et à l’universalité. Tout ce qui est arabo-islamique est sacralisé et tout ce qui ne l’est pas reste stigmatisé et rejeté. » [6]
Les manuels scolaires, composés par des officines privées très peu contrôlées, ont emboité le pas :
« Éducation civique, histoire, voire arts plastiques : les manuels scolaires sont envahis par les références et les exemples d’intolérance et d’incitation au racisme et à la haine, sous un habillage religieux. » [7]
Derrière cette radicalisation, on retrouve – comme dans la majorité des pays musulmans – les financiers du Golfe, Arabie saoudite en tête :
« Comment prétendre contrer le wahhabisme tout en étant un allié historique du royaume saoudien ?
Comment peut-on vouloir officialiser un islam marocain ouvert et tolérant après avoir formé des générations d'élèves sur des bases de refus de l'autre et d'intolérance, sans jamais avoir sérieusement mis en cause cet enseignement et ses supports ? » [8]
Dans une étude sur le sexisme dans les manuels scolaires (« la plupart des iconographies représentaient des fillettes de moins de six ans constamment voilées »), une Marocaine déplorait « le long processus de formatage des esprits à la pensée fondamentaliste, »et rappelait qu'un rapport de l’Organisation Marocaine des Droits de l'Homme révélait que l'on trouve encore, « dans certains ouvrages, notamment d’arabe et d’éducation islamique, l’apologie de la vengeance et du Jihad envers les mécréants. » [9]
Algérie
Le 31/7/2013, le journal kabyle Siwel Info titrait : « Algérie : l’avenir de l’éducation et de l’enseignement supérieur confié à une ex-épouse du plus célèbre prédicateur de la haine, de la perversion et du fanatisme religieux. »
Le Matin d'Algérie allait dans le même sens : l'ex-épouse [répudiée] du « cheikh Qaradawi, célèbre leader de l’hypocrisie intégriste mondiale, » fut choisie par « le FLN, outil de manipulation et de mensonge, [...] [qui] lui proposa le poste de députée dans des élections entachées de fraude.
Une fois élue, frauduleusement élue, mais tout de même élue, la nouvelle cheikha du parlement s’est vue offrir le sensible poste de chef de la commission de l’éducation et des affaires religieuses ! L’éducation des futures générations est donc livrée à la sagesse et à l’intelligence de l’étoile montante de la politique algérienne [...] Elle puisera ses idées de ses longues années dans l’intimité de l’idéologue de la terreur. Pauvre Algérie ! » [10]
Il faut cependant noter que, malgré l'opposition des islamo-conservateurs, « la ministre de l'Éducation nationale Nouria Benghabrit vient par un arrêté ministériel de sommer le corps de l'enseignement d'interdire le port du voile intégral et du niqab dans les écoles algériennes. [11] »
Tunisie
Les effets pervers de l'éducation islamiste sont visibles dans la thèse [12] [sic !] d'une sœur musulmane « doctorante » qui dissertait sur la « Terre plate » et les « 7 000 étoiles. »
Heureusement, cette thèse a été rejetée. Mais on peut s'étonner que cette jeune « savante » ait pu gravir les échelons précédents, et « travailler » sur son projet pendant près de 6 ans.
Égypte
Un professeur de physique a « démontré » que la vitesse de la lumière est inscrite dans le Coran. Pour ce faire, outre des approximations flagrantes et des interprétations tarabiscotées, il a utilisé le verset 32:5 (« Du ciel à la terre, Il administre l'affaire, laquelle ensuite monte vers Lui en un jour équivalent à mille ans de votre calcul. ») qui reprend – mais le “savant” l'ignorait – le psaume 90:4 (« Car mille ans sont, à tes yeux, Comme le jour d'hier, quand il n'est plus, Et comme une veille de la nuit. ») ou, encore plus clairement, le Nouveau testament avec 2 Pierre 3:8 (« ... devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour. »).
C'est ballot pour des gens dont les ancêtres comportent nombre de brillants mathématiciens !
Abu Dhabi
D'après des experts en éducation, trop d'enseignants en études religieuses n'éduquent pas correctement et ne discutent pas avec les élèves, et favorisent parfois une interprétation stricte de l'islam sans inciter à la réflexion critique. [13]
Arabie séoudite
« Une enquête effectuée par la BBC sur les manuels scolaires saoudiens utilisés dans plus de 40 écoles saoudiennes dans le Royaume-Uni et en Irlande a révélé que les livres contenaient des messages de haine, d’incitation à la violence, et d’autres enseignements répréhensibles que l’on trouve couramment dans le discours religieux officiel saoudien. [14] »
Les Loubavitch
Cette secte juive ultra-orthodoxe connaît un succès foudroyant dans le monde entier. À New York, elle est majoritaire dans la population juive. En 2013, le vénérable journal communautaire The Forward publiait un article intitulé : « Le fondamentalisme juif rampant parmi nous. »
« Appelez-les Juifs ultra-orthodoxes, “fervents” orthodoxes, haredim, chapeaux noirs. Ils seront bientôt la majorité des Juifs affiliés dans la région métropolitaine de New York, et la majorité religieuse en Israël. Les résultats seront catastrophiques. » [The Creeping Jewish Fundamentalism in Our Midst, TheForward, 31/5/2013]
La photo suivante montre un rassemblement de quelques dizaines de milliers de Haredim au Citi Field de New York (YNetNews, 21/5/2012.)
Les enfants sont une cible de choix :
« Des milliers d'enfants disparaissent du système scolaire pour rejoindre des “yeshivas” illégales où aucun des sujets traditionnels n'est enseigné, et où l'on apprend aux élèves que “tout ce qui est en dehors est mauvais et malfaisant”. [“Thousand boys disappear from school system”, Telegraph, 14 Jul 2014] »
Sur leur site, on trouve de « bons » textes, en particulier la Mishneh Torah (« considérée comme un monument de la halakha » [Wiki]) du vénéré Maïmonide. Appliquée strictement, elle aurait permis de régler rapidement l'affaire DSK au Sofitel de New-York : la halacha n° 10 (sur cette page) stipule que « si un homme juif a intentionnellement une relation avec une femme non juive, celle-ci doit être exécutée. Elle est exécutée parce qu'elle a amené un juif à être impliqué dans une transgression inconvenante, comme [est la loi] avec un animal.[Ceci s'applique même si la femme était une mineure âgée de trois ans...]. »
Notes
[1] BORKOWSKI, Heinrich, La Bible de Kant, 1937.
[2] TAMARIN, Georges, R., The Influence of Ethnic and Religious Prejudice on Moral Judgment, 1963.
[3] DAWKINS, Richard, The God Delusion, 2006, p. 257
[4] VALLELY, Paul, “Faith and reason : How Josua claimed a 20th-centurey victim”, The independant, 13-12-1997.
[5] Mohammed El Ayadi, « Entre islam et islamisme : La religion dans l’école publique marocaine », RIES, 09/ 2004.
[6] EL Hossaien FARHAD, Étude comparative des manuels scolaires marocains.
[7] La vie éco, « Premières réformes timides du contenu des livres scolaires »
[8] Aziz HLAOUA, Les ambiguïtés de la politique religieuse marocaine.
[9] Femmes méditerranéennes, Maroc : le sexisme enseigné à nos enfants.
[10] “Concubine de Qaradawi au Qatar, députée en Algérie : Cheikha partout !”, Le Matin d'Algérie, 17/01/2015
[11] “Benghabrit la bête noire des islamistes”, L'expression, 23 Septembre 2017.
[12] “Une thèse affirmant que la Terre est plate…”, Jeune Afrique, 3/4/2017
[13] “AE academics voice fears on religious education”, The National (Abu Dhabi), 13 avril 2017
[14] ALI AL-AHMED, “This medieval Saudi education system must be reformed”, The Guardian, 26-11-2010.
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