Fracture numérique dans la start-up nation

Claire Hédon, Défenseur des droits, a publié, ce mercredi 16 février, un rapport sur la dématérialisation des services publics dont le fonctionnement est loin d'être optimal. Les précurseurs qui auront rempli jadis les premières déclarations de revenus dématérialisées se souviendront sans doute de la piètre ergonomie, de la disponibilité aléatoire et de la lenteur du système d’alors. Il faut bien reconnaître que d’énormes efforts couronnés de succès ont été faits depuis.
Le revers de la médaille, c’est que le passage par Internet pour effectuer cette démarche est devenu quasi-obligatoire : il faut être une personne âgée, ou handicapée ou vivre dans un désert de l’Internet pour que l’administration tolère le papier, à la condition que vous l’ayez avertie au préalable.
Le Défenseur des droits fait parfois semblant de ressembler à un contre-pouvoir dont l’utilité pourrait être questionnée. Certes, imaginer que l'homme qui occupait cette fonction, Jacques Toubon, ait pu servir à quelque chose d’utile relève de la pure spéculation intellectuelle. Mais Claire Hédon, qui a pris sa suite en 2020, semble moins inféodée à l’air du temps et moins servile, plus pugnace pour ce qui concerne la défense effective des droits. Le rapport qu'elle publie cette semaine fait suite à une étude précédente publiée il y a trois ans. Il y aurait des bugs dans l’accès du public aux démarches dématérialisées de l’administration.
Ainsi, le nombre d’alertes et de réclamations à traiter serait en nette augmentation. La marche forcée de l’administration vers un guichet numérique unique pour les démarches les plus courantes exclut les parias : résidents de zones blanches, handicapés, personnes âgées, incapables majeurs, jeunes, détenus, étrangers. L’administration omet de préserver une alternative non numérique pour ces personnes, ou elle ne met pas assez d’agents disponibles pour aider à surmonter les difficultés des usagers. Les solutions de contournement des problèmes rencontrés ne sont pas systématiquement prévues. Enfin, l’accès à une bande passante décente et minimale n’est pas garanti partout en France, où subsistent des quasi-terra incognita de la Toile.
Un cynique se doit de poser le problème : puisque ces démarches dématérialisées transfèrent de l’administration au public la charge de numériser l’information nécessaire, le temps ainsi libéré devrait en bonne logique soit économiser des agents (et donc faire baisser des impôts ou taxes) soit leur permettre de fournir un service de meilleure qualité. Question certainement populiste : avez-vous le sentiment que ce soit le cas ?
Bien sûr, la lecture du rapport n’est pas désespérante : une évaluation succincte des progrès en regard de chacune des préconisations du rapport de 2019 montre que de nombreuses d’entre elles ont été suivies et ont abouti à des progrès, et d’autres pas, ou pas assez, ou sont restées au stade de la réflexion… L’amateur de bouteilles à moitié pleines dira que Paris ne s’est pas fait en un jour, et celui des bouteilles à moitié vides soupçonnera la start-up nation de n’être un paradis que pour les startuppeurs bilingues français – globish numérique. Les autres, « ceux qui ne sont rien », peuvent aller se brosser. Même si réduire la fracture numérique n’est sans doute pas d’une priorité absolue, merci de ne pas laisser trop de personnes en chemin !
(Publié auparavant chez Boulevard Voltaire - cliché Stevepb via Pixabay)
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