Françafrique, de l’histoire ancienne, vraiment ?
A peine élu, François Hollande déclarait que le "temps de la Françafrique [était] désormais révolu." Bonne nouvelle, monsieur le président ! Quelques années plus tard, comme pour lui donner raison, on annonçait le décès de Charles Pasqua, qu'une bonne partie de la presse française présentait comme le dernier parrain de la Françafrique. La France serait donc en train de tourner une douloureuse page d'ingérence et de féodalisme caractérisé, pour enfin traiter l'Afrique en égal, en amie… Dans les faits, c’est un peu plus compliqué que cela.
Adieu la Françafrique, nous dit-on. Pour mieux en juger, intéressons nous au sens qui est d'ordinaire donné à ce mot valise. L'expression "France-Afrique" (alors encore en deux mots) aurait été employée pour la première fois, en 1955, par le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, pour définir le souhait d'un certain nombre de dirigeants africains de conserver des relations privilégiées avec la France après l'accession de leur pays, anciennes colonies françaises, à l'indépendance. Mais aujourd'hui, l'expression est largement considérée comme définissant l'action néo-coloniale prêtée à la France en Afrique, fondée sur l’ensemble des relations, des réseaux d'influence et des mécanismes politiques, économiques et militaires qui lient la France à ses anciennes colonies.
Alors, ces jeux d’influence, finis, vraiment ? Rappelons que François Hollande s’envolait en début de mois pour une virée africaine éclair au Bénin, en Angola et au Cameroun. Un déplacement qui a fait polémique, prenant des airs de tournée des tyrans élus à vie (José Eduardo Dos Santos, 72 ans, au pouvoir en Angola depuis plus de 35 ans et Paul Biya, 82 ans, à la tête du Cameroun depuis 1982).
Comment oublier, par ailleurs, les trois guerres que la France mène simultanément sur le continent africain (on dit « Opex » pour dédramatiser) : une au Mali, une seconde en Centrafrique, ainsi que des interventions plus ou moins discrètes en Somalie. Ajoutons à cela son soutien conséquent au Tchad (pays qui sert de base stratégique pour l’Armée française dans la région) quitte à fraterniser avec notre ami-dictateur (on dit « homme fort »), l'indispensable autant qu"indélogeable Idriss Déby, qui apparaît dans le top 10 des pires dictateurs au monde publié par Slate.
Si la France fait des pieds et des mains, au mépris de l’éthique la plus élémentaire, pour continuer de peser sur le continent africain, c’est que la réalité africaine a légèrement changé depuis l’époque Pasqua. Les entreprises françaises subissent aujourd'hui une forte concurrence en Afrique où, pendant la période de la guerre froide, elles étaient presque seules aux manettes. Cette pression accrue vient non seulement des pays émergeants (Chine, Inde, Brésil, Turquie…), mais également de ses partenaires européens comme l’Allemagne (5ème exportateur vers l’Afrique, devant la France).
Ce changement de paradigme est à l’origine d’un inversement des rôles. La France n’a plus de "responsabilité", comme elle se plaisait à la croire, vis-à-vis de ce continent mais elle en est au contraire de plus en plus dépendante (ressources, débouchés, emplacements géostratégiques…). Les pays africains apparaissent comme la cible de nombreux enjeux internationaux d'aujourd'hui et surtout de demain. Il y a donc quelque chose de gentiment pathétique à voir Hollande s’agiter en Afrique comme si le sort du continent en dépendait, alors que, concrètement, le rayonnement de la France dans ses anciennes colonies est de plus en plus restreint. Il l’est d’ailleurs d’autant plus que, sur le plan diplomatique, l’Hexagone apparaît complètement largué.
Nos présidents et ministres successifs semblent en effet déconnectés des réalités du monde politique africain, en pleine mutation. L'élection pacifique de Buhari au Nigeria, le Procès de Hissène Habré à Dakar ou encore l'éviction de Compaoré au Burkina Faso sont autant de signes que le continent va de l'avant. Face à de si nombreux bouleversements, la France voudrait ne pas rester spectatrice mais ne sait plus où donner de la tête, restant passive quand il faudrait encourager, intervenant quand il ne faudrait pas. On a ainsi vu le chaos provoqué par "la libération" (d’aucuns disent le « bombardement ») de la Libye du tyran Kadhafi : ni fait ni à faire. Plus récemment, François Hollande recevait le chef de l’État congolais Denis Sassou Nguesso, et lui glissait à l’oreille qu’il serait bienvenu qu’il ne cherche pas à faire modifier la Constitution congolaise. On peut penser ce que l’on veut de Sassou Nguesso, l’enjoindre à ne pas présenter de modification constitutionnelle au référendum populaire, donc de façon démocratique, tout en courtisant en parallèle des chefs d’Etat africains parfois en exercice depuis des décennies (Biya, Dos Santos, etc.), on admettra que c’est étrange…
Si la Françafrique bravache, bille en-tête, est bien une affaire du passé, on voit que les ambitions d'ingérence française sur le continent africain existent encore bel et bien. Plutôt que de se gargariser de la fin de la Françafrique, en continuant à en appliquer les préceptes en douce (mais de façon maladroite) François Hollande devrait tenter de bâtir de liens sincères et ouverts avec le continent Africain. Les intérêts communs - au-delà de la realpolitik qui se fait entre dynasties et bien souvent contre le peuple - sont bien assez nombreux pour que la France et l'Afrique puissent aller de l'avant ensemble. Bien sûr, cela commencerait par échanger d'égal à égal, et faire confiance en la capacité d'autodétermination des nations africaines. Le chemin est encore long.
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