Je vous propose une petite chronique sur France Inter, en février dernier, au moment où ça commence à chauffer à la rédaction, avec une ambiance digne d’un enterrement.
Vous le savez peut-être, depuis que Jean-Luc Hees a pris la place de Jean-Paul Cluzel, Radio France a changé de ton. France Inter, où "l’écoute de la différence" devient l’écoute de l’indifférence et du politiquement correct. Demorand est parti, avec Guillon et Porte, laissant place à un vide très dérangeant, nous rappelant la fin de la grande époque de Canal lorsque Lescure a été débarqué par Jean-Marie Messier.
Aujourd’hui, et je le déplore très fortement, on assiste à un retour effréné du politiquement correct. Finie l’époque des émissions créatives et drôles. Aujourd’hui, tout ce qui déplaît au pouvoir est supprimé. Exit Guillon. Exit Porte. Exit l’humour décalé pour laisser place à la médiocrité patente des humoristes plats. N’écoutez plus la différence. Ecoutez la norme. Ecoutez à quel point vous aller vous faire chier.
Jean-Luc Hees, journaliste de talent, n’avait alors jamais dirigé d’entreprise. Le voilà propulsé au rang de Pédégé de Radio France. Un simple coup de fil de Sarko aura suffit à tuer 30 ans d’une radio culturelle passionnante. Flanqué d’un médiocre Philippe Val, qui tourne au gré du vent et qui n’a pas de réelle idée de radio créative, on tombe alors dans les affres du politiquement correct, entendez par là chiant.
Je souhaite donc à cet égard vous faire partager une de mes chroniques au studio d’Inter, en présence de Demorand.
Vendredi 19 février 2010. Le réveil sonne une fois de plus à 5h30, et c’est avec quelques difficultés que je finis par me lever pour me rendre une fois de plus à France Inter. La nuit parisienne est toujours aussi belle, et l’écoute d’Aretha Franklin et de Stereoscope Jerk Explosion me donne une pêche digne d’une dizaine de cafés italiens.
6h20. J’arrive dans les locaux, et ce cher concierge me prête gentiment son badge pour me rendre au 7ème.
L’ambiance est très calme, personne n’est dans le studio, et la régie se met lentement en marche.
6h24. Nicolas Demorand arrive, toujours à la même vitesse, mais vous l’aurez noté, 4 minutes plus tôt que d’habitude. Il lit les journaux, s’installe confortablement... Et pour une fois a l’air jovial. Il faut dire qu’il part en vacances la semaine prochaine.
6h30. Prise de l’antenne, Demorand, tout sourire, annonce les titres.
6h45. Coup de semonce dans la régie, dans laquelle je suis. Demorand se met furieusement en colère. Le jingle lancé n’est pas le bon, et il n’a toujours pas le nom de la journaliste qui va présenter le point route. "Mais putain le nom !!!", le régisseur, fébrile, bafouille le nom... Demorand prend l’antenne 2 secondes plus tard. On n’entendra que le sourire de Demorand au micro, alors furax 2 secondes plus tôt.
Un reportage passe, et on entend Demorand hurler "Ca fait 4 ans que je fais cette matinale, c’est toujours la même chose putain. Pourquoi on change de jingle ?? C’est n’importe quoi. On se réveille en régie, merde !"
Le pauvre Florent, en régie, répond sans que Demorand l’entende que ça ne fait qu’une semaine qu’il est là... Et que c’est pas facile. Ce que je conçois tout à fait.
7h50. Arrivée matinale de Bernard-Henri Lévy, flanqué de son "attaché-presse". Il passe en régie. Je le salue avec un "comment ça va ?", réponse avec le sourire "très bien et vous ?". Il est habillé de sa chemise blanche et de son costard. Il n’est pas plus impressionnant que ça. Je le vois s’asseoir sur le fameux canapé rouge. Il lit avec attention le Nouvel Observateur et Libération.
Demorand sort du studio, salue chaleureusement BHL, et les deux semblent être de bons amis. Demorand s’agenouille près du canapé, et chuchote quelques mots à BHL, que je ne peux pas entendre, pourtant je suis à coté. Manifestement, l’invité de la matinale est en terre amie. On le reçoit parfaitement, avec le sourire, et les tapes dans le dos. BHL s’émeut de l’article acide le concernant, écrit par un journaliste du Nouvel Observateur. Il explique avant l’interview qu’il va l’attaquer sévèrement, et qu’il sera heureux de "se le payer sur France Inter". Enfin, Demorand le met en garde sur d’éventuelle questions piège des auditeurs. On verra dans l’interactive qu’il y en avait effectivement une.
8h20. Début de l’interview, que je vous laisse regarder. Il y a de l’action. La vidéo devrait certainement faire le tour des médias.
Je suis dans le studio pour l’interview et pour l’interactive. Quelques secondes avant de prendre l’antenne, c’est estomaqué que j’entends Demorand dire à BHL textuellement : "Bon, vous n’hésitez pas à m’attaquer hein, surtout enfoncez-moi !" d’un ton assez sérieux. Puis je vois BHL prendre un exemplaire du Nouvel Observateur, interpeler Bernard Guetta en lui jetant le numéro. Il lâche à Guetta : "et dire que vous avez quasiment dirigé ce journal". Guetta, presque gêné, répond "euh, attendez, je l’ai pas dirigé !!". Annonce de la régie "attention, antenne dans 10 secondes". C’est un début d’interview sur les chapeaux de roue, et c’est du grand Demorand à l’antenne, avec un BHL tonique et efficace. Celui-ci n’aura d’ailleurs pas enfoncé Demorand.
9h00. Fin de l’interview, Philippe Val attend BHL sur le fameux canapé rouge juste à la sortie du studio. Guetta, Demorand, Legrand, Val et BHL se rendent dans le bureau de Val pour "prendre un café". Je tente de les accompagner. Thomas Legrand m’arrête et me dit : "Non, on va prendre un café. Donc tu restes ici." Je comprends alors qu’ils vont dans le bureau de Val, et que si ma présence est tolérée parmi eux, il ne faut tout de même pas charrier. Je vois ici la limite de ce que je suis autorisé à faire.
Je reviens donc dans le couloir. Je m’assois sur le canapé rouge, seul. 2 minutes plus tard, je vois une petite silhouette arriver, et j’aperçois le visage de Pierre Lescure. Je me lève, vais vers lui et lui demande comment il va. Le contact est d’emblée très chaleureux et très franc. Je lui demande s’il sera à l’émission de Pascale Clark, et ce qu’il a pensé de l’interview de BHL. Il part alors dans une conversation qui va durer 20 minutes, en tête à tête, au nez et à la barbe des autres journalistes, qui tenteront par la suite de pouvoir lui parler quelques secondes. Il m’explique ce qu’il pense de BHL, en dit du bien, et comprend qu’il puisse paraître insupportable aux yeux de certaines personnes. On discute ensuite de l’avenir du journalisme. Il m’explique son parcours (un peu comme si vous expliquiez que vous êtes passé par Lyon avant d’aller à Cannes. Il expliquait son parcours avec beaucoup d’humilité, alors qu’on sait tous les responsabilités qu’il a pu avoir). Il m’explique comment les journaux peuvent s’en sortir, me demande si je veux exercer ce métier, ce à quoi je réponds par l’affirmative. Il me lance "tu sais, c’est vraiment un beau métier. Et puis, moi j’ai commencé par le journalisme, et ça ne te quitte jamais. Je ne suis pas d’un optimisme béat sur son avenir hein ! Mais disons qu’il faut que la presse écrite sache se rendre indispensable. Moi j’ai fait de la presse écrite, de la radio pour finalement diriger Canal, et je pense qu’il faut savoir se renouveler". Le ton est détendu, agréable, et tout d’un coup j’ai l’impression d’avoir connu Lescure toute ma vie. Je finis par lui demander si Canal prend des stagiaires... Que voulez-vous, je perds pas le Nord ! Il me répond "Tu sais, j’ai quitté Canal en 2002, et j’ai plus de contact avec eux. Disons que je connais tout le monde, j’ai évidemment gardé des contacts personnels, mais je n’y mets plus les pieds donc je peux pas te répondre".
Le rédacteur en chef du figaro est arrivé. Il est le seul en costard-cravate. Il n’ose pas adresser la parole à Lescure et semble impressionné de mon culot.
Isabelle Giordano arrive, magnifique femme il faut bien le dire. Elle salue timidement Lescure en lâchant "je suis très heureuse de vous voir. Je me permets de venir vous saluer". Il la remercie, et poursuit sa conversation avec moi. Demorand, qui m’a vu errer dans les couloirs de sa matinale depuis 3 jours maintenant, semble surpris de me voir encore avec Lescure, qui manifestement m’accorde pas mal de temps. La conversation se termine avec l’arrivée d’une de mes références : Pascale Clark !
9h25. Pascale Clark, charmante, souriante et sympathique, arrive près de Lescure et le tutoie.
Je la salue chaleureusement, et très fayot je lance : "Bonjour Pascale Clark ! Je suis très heureux de vous rencontrer, je vous adore et vous êtes géniale !". Interloquée mais agréablement surprise, la journaliste me répond "Euh, oui enchantée ! Mais tu es qui au juste ?". J’explique mon cas. "Ah bah écoute bienvenue, c’est toujours un plaisir de voir des nouvelles têtes ! Tu as fait quelle formation ?". Je réponds que je suis en école de commerce, ce à quoi elle me lance "et quel rapport avec le journalisme ?". Je souris. Je réponds "Par exemple l’économie ?", elle sourit et me dit "ah bah journaliste économique alors !!, tu as fait quelle école de commerce ?". "Audencia Nantes". "Ah je connais pas du tout". Je me rends compte ici que mon école, qui se dit "élite", ne représente en fait rien du tout. Je suis un peu gêné. Je suis le seul dans la pièce qui n’a rien réalisé de marquant au niveau national, au minimum. Entouré de Lescure, Demorand, le mec du figaro et Clark, la petite troupe finit par se lever pour rejoindre le studio.
9h45. Je sors de la régie, c’est la fin de "Comme on nous parle". Je vois BHL qui sort du bureau de Val. Demorand le rejoint, et ils discutent l’un dans l’ascenseur, l’autre un pied le bloquant. J’arrive. Je demande à BHL si je peux descendre avec lui. Son attaché de presse me répond : "Oui bien sûr !". J’en profite pour saluer Demorand, que je ne reverrai pas. Je lui lance en entrant dans l’ascenseur alors qu’il venait d’enlever son pied : " Merci de m’avoir supporté. J’espère bien prendre votre place un jour !", réponse du tac-o-tac : "Bah écoute c’est très bien et ce serait avec plaisir !"
Dans l’ascenseur, BHL me demande "Qu’en avez-vous pensé ?", je réponds avec le sourire "C’était très bien, vous vous êtes bien défendu !". Et puis, ça me démangeait réellement de lui poser LA question qui me taraudait, après l’avoir vu en permanence dans tous les médias, après avoir discuté avec les uns et les autres, on en venait à conclure qu’on en avait tous marre de le voir partout et tout le temps... et sur tous les sujets. Alors, sûr de moi et droit dans mes bottes, je lui dis : "dites-moi, je peux vous poser une question ?" Temps mort. Son attaché de presse le regarde, et finit par me dire "Oui bien sûr, vous pouvez lui poser une question." Et là, je lance "Monsieur Lévy, est-ce que vous comprenez que les gens, et plus particulièrement ma génération, puissent en avoir marre de vous voir sur tous les médias en permanence ?" Il ne me regarde pas dans les yeux. L’ascenseur s’ouvre, il nous reste 15 m à faire ensemble vers la sortie et il finit par sortir, toujours en regardant ailleurs : "Non. Au revoir". Il me tend la main quand même, toujours sans me regarder dans les yeux. Son attaché de presse est manifestement interloqué. Je souris et je repars vers le métro, particulièrement heureux de "m’être fait" BHL.
Voilà pour la chronique. Aujourd’hui, comme vous le savez, Demorand est parti sur les ondes d’Europe 1. Une radio pire que politiquement correcte. Une radio qui frise parfois le ridicule avec Morandini, et qui touche franchement à la pauvreté intellectuelle avec Fogiel.
Amis de l’humour décalé, de la culture et du réel divertissement, prenez votre mal en patience, jusqu’à ce qu’on retrouve enfin une belle époque, digne des Nuls, de Guillon, de Coluche et Desproges. Une époque digne d’émissions comme Nulle Part Ailleurs, Apostrophes et autres émissions culturelles riches et drôles.
Bien à vous.