France : quelles issues à l’immobilisme ?
Avec le retour du printemps, la fièvre contestataire de cette fin d’hiver 2006 paraît (?) retombée. Exit le CPE. Les étudiants et lycéens sont en vacances ou retournent à leurs (chères) études. La CGT, forte d’une unité qu’elle s’est activement employée à construire, tient congrès à Lille. La cote de popularité des uns ou des autres, à droite ou à gauche, monte ou descend de façon vertigineuse à la faveur des événements. Répétant quasi mécaniquement le même scénario depuis des lustres, la France s’est beaucoup excitée, c’est son côté "coq gaulois", dira-t-on avec complaisance ou agacement, c’est selon.
Concrètement, que ressort-il de tout cela ? Sans doute chaque responsable politique ou syndical se met-il en lice ou essaie-t-il de se remettre en selle en vue de futures élections. Mais qu’en est-il de l’emploi et de la formation des jeunes, qui étaient le coeur de cette crise ? Rien (pour le moment, si l’on choisit d’être optimiste). Alors, pourquoi ? Quand on dépense autant d’énergie à refuser les choses au lieu d’en discuter ( la responsabilité de l’absence de dialogue étant partagée par les deux camps), il n’en reste plus pour faire des propositions constructives. On a pu le voir avec le referendum sur la constitution européenne : ceux qui appelaient à voter non annonçaient que le vrai débat viendrait après.
Or, de refus en refus, où en est-on aujourd’hui ? De plus, tous les interlocuteurs étaient réunis pour que rien ne bouge. En effet, en dépit d’une opposition de façade entre gouvernement et syndicats, leurs façons de procéder sont singulièrement jumelles : des décisions prises sans explication préalable et de façon autoritaire d’un côté, à coup de 49.3 ( dont M. De Villepin n’a cependant pas l’exclusivité) ; et, de l’autre côté, des modes d’action syndicaux- le rapport de force et le "front syndical"- qui excluent d’eux-mêmes la possibilité d’un dialogue . Tout cela reposant sur le postulat, apparemment non remis en question, d’une "représentativité" de la rue, le comptage des personnes mobilisées faisant toujours l’objet de soigneuses précisions, quasi aussi importantes que le message délivré (?). Mais en quoi et de quoi le nombre de personnes dans la rue est-il représentatif ? Si ce n’est d’une démonstration de force. Rien de plus. Le mode d’action est une fin en soi, déconnecté d’un objectif qui aurait pu être, en la circonstance, de proposer des alternatives, des solutions à la formation et au chômage des jeunes. En vérité, rien ne peut raisonnablement se faire dans la rue. Et jouer, comme on le fait trop souvent dans notre pays, la rue contre le Parlement, est-ce vraiment "de bonne guerre"démocratique ? Entre la manifestation et le vote, l’espace de liberté et de réflexion de chacun reste bien limité. Dans les deux cas, ce n’est bien souvent que l’occasion de signifier un mécontentement. Rien de plus.
Peut-on imaginer des issues à de telles impasses ? La Révolution ? Qui peut y croire ? A bien des égards pourtant, certains sont tentés de lire les manifestations à répétition dans ce pays comme des occasions de refaire la geste révolutionnaire. Depuis plusieurs années, les étudiants et lycéens ont l’espoir ou l’illusion de faire leur Mai 68. Mais la révolution ne se décrète pas chaque année, tout de même. On ne fait chaque fois que rejouer - avec plus ou moins d’imagination et, en tout cas, sans prendre le moindre risque- le spectacle révolutionnaire, sur la grande scène de la rue, et devant le miroir à la fois tellement complaisant et tellement grossissant des médias. Mais regarder derrière soi n’a finalement rien de révolutionnaire. Il serait peut-être temps de laisser au placard les oripeaux des vieilles révoltes (en songeant à l’héritage pas si glorieux que cela de ces ex-soixante-huitards qui sont aux commandes du pouvoir, des médias...), de prendre conscience que l’avenir ne se" revendique" pas à cor et à cri, mais se construit, pour chaque génération, et parfois dans "la sueur et dans les larmes". Le caractère répétitif de telles manifestations en fait plus un rituel obligé pour quelques-uns qu’il n’est porteur d’un sens réellement politique. Projet politique, dans tout cela ? A bien des égards pourtant, la France est comme rattrapée par son passé monarchique : gouvernée par un président (réélu à 82%) vivant au-dessus des lois, dans les ors de la République ; gouvernée, depuis des décennies maintenant, par une élite (qui n’a rien de républicain), sortie de l’ENA, tout comme l’actuel président, ce qui, du reste, rend inopérant le clivage droite/gauche selon lequel on veut encore lire la carte polique. Quelle différence y a-t-il entre l’autoritarisme d’un de Villepin et celui d’une M. Aubry ? Quand on apprend que sortent de la même promotion de l’ENA D. de Villepin, F. Hollande et S. Royal, on se dit qu’on peut rêver mieux comme alternance. Il est difficile de croire que les énarques puissent être de droite ou de gauche - ce sont des énarques, formatés, et remplacés, au fil des élections, par leurs clones.
Enfin, malgré la nuit du 4 août 1789, la France reste une société de privilèges, dans laquelle nombreux sont ceux qui ont intérêt à maintenir le statu quo, même s’il leur arrive de se donner des airs de révolutionnaires et de prendre la défense des écrasés du système. Car l’une des conséquences des révolutions est souvent qu’on ne renverse pas nécessairement un ordre établi, mais qu’on le détourne à son profit : c’est ce qu’a fait la bourgeoisie au cours du XIXe siècle, ce dont témoignent les écrivains, de Balzac à Proust. L’heure n’est donc pas à la révolution. Autre issue : la réforme, qu’un grand nombre semble appeler de ses voeux. Mais réforme-t-on un système de l’intérieur, quand tant d’intérêts sont en jeu ? Qui en aura le courage politique ? Entreprise dangereuse dans une démocratie devenue médiatique, où règnent les sondages d’opinion et les cotes de popularité, ce qui incite forcément à toutes les démagogies (de droite comme de gauche), où il paraît plus important d’accéder au pouvoir et de s’y maintenir le plus longtemps possible, vaille que vaille, comme l’ont fait nos deux derniers présidents.
Après tout, pourtant, le courage politique existe aussi, mais il va de pair avec la nécessité de ne pas prendre les citoyens pour des imbéciles, de réfléchir, à partir d’états des lieux faits en commun, à des solutions qui relèveraient de l’intérêt général. Peut-être alors certains consentiraient-ils à abandonner de leurs privilèges. La dernière issue - la moins souhaitable ou la plus probable - reste la décomposition d’un système qui, s’il est réellement devenu obsolète et inadapté au monde comme il va, disparaîtra comme les dinosaures ou l’ancien régime soviétique avec lequel la France partage bien des points communs : l’hypertrophie d’une administration d’Etat coûteuse et peu efficace, une incompétence notoire en matière d’économie, un personnel dirigeant quasi inamovible, par nature même tellement éloigné de" la cause du peuple".
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