Francis Rogallo, l’obstiné

Le 17 Novembre 1952, Rogallo a déposé un autre brevet pour une "Parawing". En fait un parachute pilotable, en forme de cône bi-lobé, capable de davantage de précision à l’atterrissage que les parachutes ordinaires. La découverte du Mylar par DuPont la même année, il en a bien compris l’importance. A cette époque, les premières fusées n’ont même pas encore emmené les premiers cosmonautes. La cabine Mercury, qui retombera au bout de son parachute sans que sa chute ne soit pilotable sera forcée d’amerrir pour plus de sécurité. Avec parfois des déboires, comme celui de l’infortuné Gus Grissom. Au début des années soixante, pour le modèle suivant, la NASA songe déjà à remplacer les parachutes par un système plus efficace, permettant de revenir sur terre, et de se poser sur des patins, comme ceux sur lesquels atterrit le X-15 par exemple. La Nasa songe en un premier temps au Parawing, qui sera testé avec des maquettes de cabine Gemini et même Apollo. Hélas, aucun des projets n’aboutira, la NASA jugeant que les trois parachutes normaux prévus étaient suffisants. Jusqu’au retour de l’expédition lunaire, les hommes se contenteront de parachutes. Mais d’autres verront l’aubaine : les fameux Golden Knights, les paras de démonstration de l’Air Force, qui sauteront sur l’occasion pour devenir les champions toutes catégories de l’atterrissage de précision, munis de leurs "Parawings". Ils donnèrent des idées à toutes les autres équipes, qui firent de même jusqu’au seuil des années 70 où le parachute Rogallo sera supplantée par une invention d’un autre fêlé, le parachute-aile ou "Parafoil", inventé dès 1956 mais pas commercialisé avant la fin des années 60, de cet autre fou que fut Domina-Cléophas Jalbert. L’ inventeur également du Kytoon, le ballon de barrage de la seconde guerre mondiale. L’homme, qui vaut le détour autant que Rogallo, est décédé en 1991 à l’âge de 87 ans.
Mais la Nasa s’intéresse à un autre projet : Rogallo a en effet entre temps perfectionné son invention, en la coupant en deux (elle est devenu simple triangle, ou plus exactement deux morceaux de cônes accolés) et surtout en l’ayant équipé d’une armature gonflable et non plus rigide. C’est le "ParaGlider". L’engin sera essayé en soufflerie pendant des mois, et une énorme aile volante de 50 pieds sera même testée en décembre 1961 à Langley, avec au bout une capsule préfigurant déjà celle d’Apollo. Mais après des mois de recherches, la NASA conclura que la solution des trois parachutes est moins complexe à réaliser, et suffira amplement. L’aile Rogallo sera testé aussi par la NASA comme support de parachutage automatisé, le container accroché au parachute atterrissant tout seul automatiquement guidé par une balise émettrice disposée au sol (un brevet sera déposé en 1967 dans ce sens qui sera amélioré en 1969). On songea aussi à faire de l’aile un moyen pour faire enlever davantage de charge à un hélicoptère : c’est ainsi qu’une "banane volante" Piasecki H-21 réussit à tirer derrière elle une charge de 8 tonnes accrochée à une aile Rogallo ! L’engin en pèse à peine la moitié à lui seul, et ne peut emporter que trois tonnes, logiquement.
On est alors en 1963, et Rogallo se doute déjà que son système ne sera pas retenu. Malgré le fait qu’en 1965 Jack Swigert, le futur cosmonaute, d’Apollo 13, réussit parfaitement un atterrissage de capsule Gemini en utilisant une aile Rogallo ! En fait, c’est le repliage à bord du vaisseau qui posait d’insolubles problèmes. La NASA avait envisagé aussi de faire de son aile un véhicule de sauvetage pour cosmonaute en perdition, résistant à la chaleur de l’entrée dans l’atmosphère ! Toute une série de projets abandonnés par la Nasa, mais une idée de base pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Un australien du New South Wale, du nom de John Dickinson, pilote d’autogyre, impressionné par un article sur Rogallo lu dans un magazine d’aviation, se prend à copier son aile, sans autre source que deux photos pour en faire le plan plan, et réaliser un planeur sportif individuel. Il contacte Rogallo, qui bien entendu s’efforce de lui donner les dimensions exactes et lui prodigue des conseils de réalisation. L’engin sera construit en Australie par un dénommé Bill Moyes, le tout premier constructeur d’aile Rogallo pour le privé et lui aussi ancien ingénieur pour la NASA. Un vrai casse-cou, qui fera la promotion de l’engin partout dans le monde. A noter qu’il est toujours, aujourd’hui, constructeur d’aile volante ! La première démonstration aura lieu en septembre 1963, l’engin, désormais pendulaire et piloté par un homme chaussé de skis nautiques (Dickinson) étant tiré par un hors-bord, sera appelée Ski Wing. Jusqu’en 1972, les frasques du Ski Wing resteront confidentielles : c’est la très influente et efficace association d’utilisateurs australiens, dont fait partie Moyes, qui lui donneront ses heures de gloire, en popularisant les vols de démonstration à partir de collines, et non plus de cours d’eau, rendant ainsi un bel hommage à celui qui avait tant impressionné Rogallo, à savoir Otto Lilienthal, le véritable père (allemand) du vol libre. L’australien, sans s’en rendre compte, venait d’inventer le Deltaplane !
En Australie toujours, Moyes fait la publicité pour le principe de l’aile avec Bill Benett, autre fondu qui devint un des meilleurs prosélytes du système, en devenant par exemple la doublure de James Bond dans un épisode où apparaissait un Deltaplane. Les inventeurs particuliers rendront la pareille à l’inventeur en lui proposant en 1965 de devenir pilote de sa propre invention : c’est un fan, Thomas Purcell, qui avait construit une aile après avoir vu un article sur Rogallo dans "Popular Mechanics", qui l’invita à venir faire un vol, en duo, puis en solo, au Raleigh-Durham Airport, en Caroline du Nord, et enfin sur la rivière Back, tout près de Langley et des tunnels de Rogallo ! Le 21 septembre 1965, Francis Rogallo volait enfin sur... ce qu’il avait inventé ! Juste retour des choses ! En 1971 est créée aux Etats-Unis l’association des utilisateurs de Delataplane, et en 1974 Peter Brock, un fabricant californien lui offrit un de ses appareils, que Rogallo utilisa sur une plage de Californie.
En fait, Dickinson avait inventé ce qui manquait à l’aile Rogallo : une capacité de pilotage fin, en faisant bouger le corps grâce au trapèze, et une sellette, qui permettait de tenir assis, suspendu sous l’aile. Dickinson devint une gloire dans son pays, connu sous le nom de "l’australian water skier". Rogallo lui sera reconnaissant. Ayant essayé son aile dans son laboratoire de Langley, il ne tarissait pas d’éloges à son égard : "Votre appareil est supérieur à tout ce que j’ai testé jusqu’à présent. Je fais des copies des plans de votre appareil pour le faire construire par des amis ici...". Rogallo lui-même attribue la paternité de l’aile que l’on appellera plus tard "Deltaplane" à l’australien John Dickenson".
Mais d’autres feront la même chose aux Etats-Unis, notamment Barry Palmer, qui lui ne saisira pas l’intérêt tout de suite de s’accrocher sous l’aile pour mieux pouvoir la piloter avec un trapèze. Il effectue ses essais à Latrobe, à l’est de Sacramento, en Californie. Palmer sera contacté par Richard Miller, qui concevra son "Bamboo Butterfly", un assemblage peu coûteux à base de tiges de bambous et de cellophane. Les matériaux et tissus nouveaux apparus avec les catamarans type Hobie Cat, du Californien Hobart Alter, notamment la voile lattée empruntée aux jonques chinoises et le Dacron, permirent une nette amélioration de l’aile, qui n’avait plus tendance à s’aplanir (grâce aussi à un mât supérieur et des haubans). Les performances s’améliorèrent beaucoup, et les premiers exploits apparurent très vite : en 1964, en France, un des grands pionniers du Deltaplane, Bernard Danis, qui avait été initié par Moyes lui-même, effectue la traversée de la Manche en en 2 heures 20 minutes par vol tracté par bateau. Il récidive plus tard en Méditerranée, avec un aller-retour Corse-littoral qui lui prendra... 8 heures ! Dans les années 68-75, les ailes Rogallo avec contrôle pendulaire ne cesseront d’évoluer et de mettre en place les principes de l’aile volante actuelle, appelée par tout le monde désormais DeltaPlane.
Ce qu’il faut aussi savoir, c’est aussi que pour sa contribution au programme Gemini, la NASA, een 1962, avait offert 35 000 dollars à Francis Rogallo. Une somme considérable pour un chercheur. "Sans impôts" lui a-t-on dit. L’année suivante, on lui demande d’en payer sur la somme versé : outré, Rogallo renverra la totalité de l’argent après des mois de discussion avec les services gouvernementaux ! L’homme n’avait qu’une parole, ce qui n’était visiblement pas le cas de la NASA, et n’était pas vraiment intéressé par l’argent.
Au même moment à peu près, un autre ingénieur de la Nasa, Charles Richard, propose de reprendre l’idée de Rogallo, versée dans le domaine public par son propriétaire, pour en faire un véhicule autonome : sous le nom de Paresev, en plein, désert, il sera tout d’abord tracté par une voiture turbochargée ou un vieux biplan Boeing, et planera même plutôt bien. On lui adjoindra plus tard un moteur à l’arrière : le 7 mars 1966, après le Parawing, l’ULM pendulaire actuel venait d’être inventé ! C’est chez Ryan, fabricant d’hélicoptères, d’avions à décollage vertical que le XV-8 Paresev va connaître un tel aboutissement. Avec son Flex Wing, tout d’abord, sorte de jeep simplifiée équipée d’une aile Rogallo et d’une hélice arrière. La voilà devenu la "Fleep", à quatre roues et hélice carénée, qui se déclinera plus tard avec des embryons d’ailes et un train tricycle. Ryan testera aussi en 1964 une aile simple, remorquée à un hélico, et pouvant servir par exemple à emmener une jeep....
Le 2 juin 1964, Richard déposera un brevet pour une autre"Fleep" destinée à l’armée US, un "Rogallo Type Wing Aircraft", qui n’eût pas de suite non plus. Parmi les autres brevets proposés on relève celui d’un... drone d’observation, une "flex-wing guidée de reconnaissance photographique"....à noter que le prototype du Flex-Wing restera dans les annales comme un des moins chers jamais réalisés : il n’avait coûté que 10 000 NF de l’époque ! Le dernier brevet de Richard déposé le 7 mars 1966 sera accepté le 2 janvier 1968. Il décrivait un ULM à moteur, tout simplement, sur base d’aile Rogallo. Rogallo en déposera un autre, le 18 mars 1969, c’est le brevet 3 507 464, accepté le 21 avril 1970 : l’aile Rogallo avait à nouveau récupéré un propriétaire véritable.
L’article qu’avait lu Thomas Purcell était signé de L.Everett, le pilote d’essai de Ryan, qui l’avait intitulé "J’ai volé avec l’aile flexible Ptérodactyle". L’article, paru en France dans le numéro de janvier 1962 de "Mécanique populaire" commençait ainsi : "Personne n’a jamais volé avec une telle machine. C’est l’un des tout derniers perfectionnements de l’âge de l’espace. Et cependant c’est aussi un retour à une machine volante qui existait il y a des millions d’années". C’était exact : autant les oiseaux avaient des ailes rigides, a-t-on dit, autant le Ptérodactyle avait des membranes souples pour tenir en vol. L’article évoquait effectivement un avenir radieux au procédé, allant de la récupération des étages de fusée Saturn aux mini-drones de l’Air Force. Rien de tout cela ne devait se faire, hélas.
En 1967, l’infatigable Rogallo déposa un brevet pour un cerf-volant pouvant servir de cible, en 1968 sur de nouvelles configurations de cerfs-volants, en 1976, il travaillait sur l’effet Coanda, le fait d’avoir une portance par aspiration de l’air sur l’extrados de l’aile. En1969, alors que l’on songe déjà à une future navette, la NASA ressort son Parawing pour faire des essais discrètement dans l’île de Wallops, un des fiefs de la NASA pour les tests de fusées ou météorologiques. Sans donner suite une nouvelle fois : quand on cherchera trente ans après à équiper la "chaloupe spatiale" X-38 d’un parachute, de 1998 à 2004, on prendra finalement le Parafoil comme voile.
En 1992, à 80 ans, l’infatigable Francis Rogallo, à Kittyhawk, faisait encore du Deltaplane le week-end. Sa chère compagne Gertrude étant décédée l’année précédente, le 28 janvier, il ne lui aura survécu qu’une année et demie. En 1992, une Fondation à leur nom avait été créée, chargée de maintenir leurs inventions et leur souvenir (the Rogallo Foundation. PO Box 1839, Nags Head, NC 27959).Gageons qu’on ne les oubliera pas, tous deux, rarement inventeurs ayant vécu de la sorte, unis dans leur génie commun et leur anticonformisme fondamental. En ces temps d’individualisme forcené et de pessimisme, le couple Rogallo, amoureux du grand air, de la liberté et sans attirance véritable pour l’argent, c’est simple, est à montrer en exemple à tous.
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