François Fillon, n’est-il vraiment que l’ombre de Nicolas Sarkozy ?
Fillon ne serait que le chef de cabinet terne d’un président omnipotent, omniscient et hyperactif. Fillon aurait ainsi été façonné pour être à la botte de Sarkozy. Est-ce si exact ?
Deux récents articles sur Agoravox, un d’AB et un autre faisant une revue de presse, ont exprimé des doutes sur la capacité de François Fillon à tracer sa marque personnelle dans l’action de son gouvernement. Même si Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, a une influence déterminante, c’est à mon avis bien mal connaître Fillon de croire qu’il ne serait qu’un collaborateur subalterne.
En effet, dans la précocité politique, Fillon avait dépassé Sarkozy d’... un an. À 28 ans, Sarkozy a conquis la ville convoitée par Pasqua alors que Fillon était député depuis deux ans déjà.
Pour comprendre Fillon, je pense qu’il faut remonter au début de sa vie politique et apprécier le parcours de l’homme.
Il s’est retrouvé député très jeune (à 27 ans) par hasard (en raison de la mort de son parrain politique, Joël Le Theule) et a conquis dès 32 ans l’importante présidence de la Commission de la défense. Il a également participé à la vaine "aventure" des douze rénovateurs (en avril 1989) aux côtés notamment de François Bayrou. Nicolas Sarkozy (à l’époque secrétaire général adjoint du RPR) avait refusé et condamné cette initiative car il pensait que ses ambitions ne pouvaient s’alimenter que par la prise de pouvoir d’un grand parti et pas par une dissidence, par essence minoritaire (stratégie encore adoptée par Bayrou).
En 1994, Fillon se sépare de son mentor Philippe Séguin en soutenant Balladur (contre Chirac) à l’élection présidentielle de 1995. À cause des bons sondages de Balladur de l’époque (un phénomène au sein du RPR un peu équivalent aux effets sur le PS des bons sondages de Ségolène Royal).
François Fillon n’est donc pas du tout un chiraquien, bien au contraire. C’est avant tout un séguiniste historique, or Chirac a toujours refusé de voir en Séguin un allié alors qu’en avril 1997, ce dernier était plutôt l’homme de la situation pour Matignon (au lieu de dissoudre).
Entre 1997 et 1999, Sarkozy (secrétaire général du RPR) et Séguin (président du RPR) commencent à s’estimer réciproquement afin de barrer la route à Juppé. Même si leurs origines "idéologiques" (l’un libéral, l’autre jacobin colbertiste social) diffèrent énormément, ils se sont retrouvés en position d’alliance tacite.
En 1999, porté par le courant séguiniste, Fillon se porte candidat à la présidence du RPR contre Delevoye, le candidat de Chirac et de Juppé, et finalement, c’est Michèle Alliot-Marie, candidate solitaire, qui se fait élire en raison de l’aspect terne de Delevoye (le choix de Chirac sur ce candidat reste pour moi énigmatique).
Mais c’est dès 2004 (Raffarin reléguant Fillon à l’Éducation nationale alors qu’il convoitait la Défense, ministère qui l’a toujours attiré) que Fillon décide de soutenir Sarkozy, le considérant comme le seul homme, à droite, capable de devenir candidat à l’élection présidentielle et, aussi, suite aux renonciations successives de Séguin (Fillon l’avait pourtant encouragé à revenir en politique).
Et en 2005, évincé par De Villepin, Fillon devient le responsable du projet présidentiel de Sarkozy et tout le travail des parlementaires sarkozystes s’est placé sous sa tutelle.
Donc la nomination de Fillon à Matignon, évoquée déjà quelques mois avant l’élection, découle d’une logique à la fois politique (numéro deux de Sarkozy pendant trois ans, grain à moudre des réformes), personnelle (très longue expérience parlementaire, expérience ministérielle multiple, auteur de la fameuse réforme des retraites qui devait faire chuter au moins dix gouvernements selon Rocard), et institutionnelle (celui qui a échafaudé le programme le met à l’œuvre).
Maintenant, dire que Fillon n’a aucun pouvoir et que tout pouvoir provient de l’Élysée, c’est assez banal sous la Ve République, hors cohabitation. Lors de sa nomination à Matignon, Pompidou était représenté comme un nain face au géant De Gaulle.
Laurent Fabius, considéré comme l’homme de Mitterrand lorsqu’il arrive à 37 ans à Matignon, a dû lui aussi s’affirmer par cette fameuse phrase prononcée à sa première Heure de Vérité : « Lui, c’est lui, moi, c’est moi ».
Donc, rien de nouveau, et heureusement, car Sarkozy est élu par le peuple, Fillon est accepté par les parlementaires (par le vote de la confiance), mais n’est pas forcément celui qui aurait été choisi par le peuple pour diriger le gouvernement (Borloo, Strauss-Kahn ou Kouchner avaient quelques longueurs d’avance dans les sondages).
Raffarin avait moins de légitimité que Fillon (très courte expérience ministérielle, responsabilité de seconde zone au sein des gouvernements Juppé, issu du PR et pas du RPR, etc.) et n’en a pas moins été respecté comme Premier ministre et a imprimé sa marque personnelle par ses bons mots.
Il est clair qu’un jour ou l’autre, il y aura dissension entre Fillon et Sarkozy. Qu’ils ne sont pas mariés à vie. Que Fillon marquera de son sceau personnel la vie politique.
Et surtout, que Fillon, ambitieux (regardons son parcours, si ce n’est pas celui d’un ambitieux, alors chapeau !), peut très bien vouloir jouer un jour en solitaire. Il est loin d’être un perpétuel second rôle. Il a présidé le Conseil régional des Pays-de-la-Loire, et il a montré son autorité dans plusieurs ministères difficiles.
Comme Balladur, inspirateur du programme présidentiel de Chirac en 1988, Fillon pourrait avoir de bien mauvaises idées pour Sarkozy... comme vouloir devenir président !
Même De Gaulle a détesté Pompidou au point de l’évincer en juillet 1968, alors ne nous impatientons pas, la logique institutionnelle n’a toujours pas changé (même si Fillon le regrette et voudrait un véritable régime présidentiel). Aucun président de la République n’a pu présider qu’avec un seul Premier ministre, et seuls Pompidou, Barre et Jospin ont pu faire une législature complète.
Mais il est encore bien trop tôt pour spéculer sur le nom du prochain... Premier ministre de Sarkozy.
Sylvain Rakotoarison
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