Gauche, droite, gauche, droite... et pas de balle au centre !
Pourquoi je ne crois pas en la pertinence du positionnement de François Bayrou et pourquoi, malgré tout, je ne suis pas satisfait des partis politiques actuels. Nous sommes toujours condamnés à une droite et une gauche aussi obsolètes qu’absurdes.
François Bayrou veut rassembler le meilleur de la droite et le meilleur
de la gauche. Je ne crois pas à la pertinence de ce positionnement. Et
ce même si les concepts de droite et de gauche sont absurdes et que les
coalitions gouvernementales peuvent très bien, sur le seul plan
idéologique (mais sur ce plan seulement), transcender cette
distinction très artificielle.
En effet, il faut admettre une vérité historique : la question de la
mort de Louis XVI a été tranchée, au sens propre, il y a un certain
nombre d’années. Rappelons que certains députés y étaient hostiles et
s’étaient placés à droite du président de l’Assemblée et que, au
contraire, ceux qui y étaient favorables s’étaient placés à gauche.
Derrière cette question symbolique de la mort du roi, ce sont bien
d’autres questions qui sont dissimulées, bien entendu. Mais la scission
droite/gauche en politique vient de là. Sur cette question, le "centre"
n’a pas de sens : on ne peut pas "tuer à moitié" le roi. Par ailleurs,
Karl Marx est né en 1818 et est mort en 1883. Qualifier la gauche, née
politiquement en 1792, de nécessairement marxiste
est donc une aberration, d’autant que Marx est objectivement un
économiste classique (le dernier de sa race) et un moraliste que le
"prolétaire de Nazareth" (comme on disait en 1871 à Paris) n’aurait
sans doute pas beaucoup renié...
Seulement, les questions dissimulées derrière celle de la mort du roi
sont complexes et nombreuses. Même si, sur chaque question, on admet la
possibilité d’un positionnement binaire (pour/contre, oui/non), les
combinaisons sont innombrables dont un grand nombre sont pertinentes et
cohérentes. L’histoire de la politique, c’est celle des compromis et
des coalitions. C’est aussi celle des migrations
de thèmes. Ainsi, la patrie est, objectivement, en 1792, un thème de gauche et un gros mot pour la droite. Le libre-échange est, au fil du
dix-neuvième siècle, un thème qui déchire la droite entre "libéraux" et
"conservateurs" mais, qui, au nom de l’Internationalisme, séduit très
longtemps la gauche (jusqu’à ce que le libre-échange serve à faire
baisser les salaires). Au fil du temps, des questions de société comme
l’égalité des sexes ou la laïcité provoquent des coalitions des plus
surprenantes pour qui voudrait couper les partis en deux catégories
homogènes, la droite et la gauche. Il y a davantage de points communs
entre un socialiste et un bonapartiste (ou un gaulliste) qu’entre un
gaulliste et un libéral : place de l’Etat pour réguler l’économie,
attachement à un Etat arbitre suprême indépendant des intérêts privés,
etc. Au "centre-droit", certaines évolutions sont surprenantes, comme
la fusion il y a quelques années entre un petit parti catholique et un
petit parti radical franc-maçon ("le triangle est tombé dans le
bénitier" déclara, selon la légende, André Santini) : la question de la
laïcité n’était clairement plus une question majeure alors qu’on
s’étripait joyeusement sur le même sujet un siècle plus tôt. Ce qui
déchire "orléanistes" et "légitimistes" fait aujourd’hui sourire,
preuve que les légitimistes ont perdu : personne ne croit que Dieu n’ait
jamais donné à la France un roi "de droit divin" mais le chef de l’Etat
est le fruit d’un système très humain à des fins très humaines. Il ne
reste que les "traditionalistes" (genre Philippe de Boisjoli de
Jolimont de Villiers) qui ont remplacé le roi par quelques autres
considérations qu’il faut conserver plus ou moins "au nom de Dieu", de
l’histoire ou de la Tradition immanente. Le même Philippe de Boisjoli
de Jolimont de Villiers, aujourd’hui à l’extrême droite, était au
centre il y a quelques années sans s’être renié : conservateur, il est
hostile aux libéraux. Quand la question purement économique est
dominante, il est donc au "centre", pratiquement à gauche. Quand on
regarde les autres thèmes, il est à l’extrême droite... La défaite
(définitive à ce jour) de cette tendance peut être datée de la
démission, en 1879, après une dissolution ratée, du président de la
République, le général Edme Patrice Maurice, comte de Mac-Mahon, duc de
Magenta.
Aujourd’hui, tous les partis politiques actuels méprisent
et nient cette riche histoire et cette grande complexité. Ils nient et
méprisent les débats de fond. L’"idéologie" est devenue un tabou. Pierre Béhel,
dans l’introduction de son hilarant DIPI ("Dictionnaire des Idéologies
et Pathologies Improbables à l’attention des hommes politiques et des
pervers sans imagination"), note avec justesse : "La politique et la religion sont de plus en plus minées de l’intérieur par cette curieuse idée qu’il est advenue une sorte de fin des idéologies.
Cette idéologie de la pensée unique se comporte donc comme un cancer
qui s’installe au coeur des idéologies existantes et les détruit par sa
propre multiplication. En effet, une idéologie est un système d’idées
cohérent. Professer la fin des idéologies, c’est donc professer la fin
des idées."
Par delà les idéologies, il faut gouverner
L’histoire politique, je l’ai dit, c’est l’histoire des coalitions et
des compromis. Gouverner suppose, en démocratie, de rassembler des
personnes de sensibilités différentes autour d’un projet commun, d’un
programme de gouvernement. Jusqu’à la fin des années 1990, cela a
globalement bien fonctionné en France.
Sous la Troisième République, les coalitions sont larges et instables.
On s’allie entre partis de droite ou de gauche sur des thèmes variés
selon les circonstances. Lorsque la question religieuse domine,
radicaux et socialistes sont les meilleurs amis du monde. Lorsque la
laïcité est un problème réglé, et qu’il faut défendre la bourgeoisie et
l’ordre contre les hordes d’ouvriers assoiffées de salaires, les
radicaux petits-bourgeois préfèrent s’allier à la droite... Le lien
fort entre l’exécutif et le législatif provoquent l’instabilité
gouvernementale et, partant, l’absence de direction forte au pays. Lors
de la Première Guerre mondiale, l’Union sacrée fonctionne. Mais pas
lors de la seconde. Le système des coalitions variables est alors jeté
aux orties par un néo-Bonapartiste, le général Charles de Gaulle. Il
mettra du temps à imposer ses idées et il faudra une autre crise
majeure, la guerre d’Algérie, pour qu’il y parvienne. En quelques
sortes, il jette le bébé avec l’eau du bain.
Tout, dans la Cinquième République, repose sur la personne du président
de la République qui tient son pouvoir du suffrage populaire direct.
Jusqu’en 1986, une cohabitation
n’a aucun sens, au point que Jacques Chirac souhaite la victoire de
François Mitterrand en 1981, pour se débarrasser de Valéry Giscard
d’Estaing, en comptant sur une mésentente rapide de la gauche poussant
à une dissolution où le RPR triompherait, poussant alors le Président à
la démission et le maire de Paris à l’Elysée. Le plan n’a pas vraiment
réussi...
Cette centralisation autour du président de la République, unique par
nature, pose le problème de la conquête d’une place forte après une
campagne acharnée qui dure des années. La non-séparation entre
l’exécutif et le législatif favorisée par cette centralisation et le
scrutin majoritaire pousse à la création de coalitions stables. Or de
telles coalitions n’ont aucun sens idéologique.
Historiquement, la première fusion de partis politiques a eu lieu à
Gauche, avec le Parti Socialiste qui a, peu à peu, réuni toute la
Gauche non-communiste, avec un satellite radical de gauche. La
démocratie interne du Parti limite les dégâts même si seuls les
adhérents ont voix au chapitre pour définir le programme de
gouvernement au lieu de l’ensemble du peuple.
A droite, la création de l’UMP est une réponse à celle du Parti socialiste, avec un décalage d’un quart de siècle tant les différences
étaient bien plus difficiles à surmonter... Mais Charles de Gaulle a
légué un cadeau empoissonné à cettedroite : le culte de l’unité
derrière le chef quand ce n’est pas le culte du chef lui-même. La
démocratie interne de l’UMP est donc quasiment inexistante en réalité
(malgré ses statuts...).
Ces méta-partis n’ont finalement qu’un but : conquérir le pouvoir et
répartir les postes entre des individus choisis par les notables du parti. Les électeurs apprécient peu cette confiscation de la démocratie
et n’hésitent pas à donner massivement leurs suffrages à ceux qui
refusent cette bipolarisation et cette "république d’acoquinés".
Quelles forces idéologiques en présence ?
Partons de la gauche, ce sera plus simple. Il en existe grosso modo
quatre ou cinq. La "gauche anti-ibérale" est l’héritière de la gauche
marxiste-léniniste, qui peut se décomposer en deux courants : les
"communistes" et les trotskystes (courant qui connait lui-même quelques
divisions car, comme dit l’adage, "quand deux trotskystes se
rencontrent, c’est qu’ils préparent une scission".) La gauche
communiste est séparée de la tendance suivante, que je vais qualifier
de "SFIO", par un choix tactique plus qu’idéologique : l’inféodation à
Moscou. Moscou n’étant plus l’avant-garde du communisme, cette
distinction n’a plus de sens. Mais les vieilles haines sont tenaces...
Cette gauche "prolétarienne" qui va des courants les plus à gauche du
Parti socialiste jusqu’aux groupuscules honorant Léon Trotsky a une
vision économique claire, directement inspirée de la lutte des classes,
et un espoir utopique commun, le communisme, malgré quelques nuances,
essentiellement tactiques (le chemin du communisme passe-t-il par la dictature du prolétariat ou par une démocratie sociale ?). Cette gauche
est collectiviste. Sa dérive est connue : le totalitarisme stalinien.
Sa morale peut se résumer à "de chacun selon ses possibilités, à chacun
selon ses besoins".
La deuxième gauche est celle de l’autogestion. Attachée à une économie
globalement capitaliste mais avec un Etat fort régulant les marchés,
elle vise à la justice sociale et veut une paix juste dans la "lutte
des classes" pour en faire une "coopération des classes". Elle est
attachée à la liberté et à la responsabilité individuelles. "A chacun
un minimum, plus quand il le mérite par ses efforts" est un bon résumé
de sa morale.
C’est sur cette gauche-là que s’est construit un mouvement
"centriste", Les Verts, dont la particularité est d’étendre la
"régulation" à nos rapports "de classe" avec la nature. Le mouvement
écologiste explose régulièrement car il comporte autant de branches
qu’il y a d’idéologies pour gérer les "rapports de classe"...
Le mouvement radical est lui aussi un mouvement de justice sociale,
très attaché à la neutralité de l’Etat, notamment en matière
religieuse, mais conservateur sur les moeurs et les questions de
société. A l’inverse des Verts, il est historiquement attaché au
progrès technique comme source de progrès social.
Passons maintenant à la droite. L’éclatement des radicaux prouve que la
bipolarisation est une donnée forte de notre vie politique. Très
proches d’eux, on trouve les chrétiens-démocrates, pour qui la question
économique est secondaire. La justice sociale est ici remplacée par une
morale de l’équité et de l’effort récompensé. Dans la pratique
économique, cela ne change pas grand-chose mais la distinction est
forte sur toutes les questions de société ou d’organisation publique.
L’extrême droite se rapproche de l’extrême gauche sur la question de
l’Etat, régulateur et ordonnateur de la société. Mais la question de
l’identité nationale (voire raciale ou ethnique) sera la distinction
majeure. Le nazisme, c’est, rappelons-le, le national-socialisme.
Hitler dut, en Allemagne, d’ailleurs, se débarrasser de ses
"socialistes" au cours de la Nuit des Longs Couteaux pour affirmer son
pouvoir, plus national-conservateur que national-socialiste.
Il reste deux "droites" : la droite "conservatrice", qui croit aux
valeurs traditionnelles, à l’effort, à la charité et au service. Elle
se divise en courants comme l’ancien Parti de l’Ordre, du
néo-bonapartisme gaulliste à l’orléanisme balladurien. Sa variante
"nationale", c’est Philippe de Villiers qui l’incarne le mieux.
La droite "libérale" repose sur la fameuse "main invisible", dieu des libéraux. La somme des intérêts individuels fait l’intérêt collectif
grâce à l’intervention de la Main invisible. La morale de ce courant,
c’est qu’il n’y a pas de morale mais un combat pour la survie. Que le
meilleur gagne ! Et chacun, en tentant d’étriper son voisin, fera
progresser le groupe. Quand on tente de réguler la "guerre des
classes", le système se grippe. Il faut donc rendre sa liberté à la
Main invisible en supprimant l’Etat. Cela semble tellement absurde aux
Français, tellement en contradiction avec toute leur histoire, que les
vrais libéraux préfèrent mettre de l’eau dans leur vin idéologique. Il
y a une variante nationale-libérale, colonialiste, qui étend la logique
aux luttes entre pays.
La logique voudrait qu’il existe un parti par tendance et que, selon les sujets, il se forme des coalitions tactiques.
Peut-on, par conséquent, briser la dichotomie droite-gauche ?
La logique voudrait que l’on puisse ainsi avoir une large coalition
centriste autour des thèmes de la justice sociale, de la répartition
des richesses... Sauf qu’il ne s’agit pas de prendre "les meilleurs" de
la droite et de la gauche (qui sont "les meilleurs" ? Sur quel critère
?) mais bien de construire une coalition autour d’un programme.
Or, pour appliquer ce programme, il faut avoir une capacité à gouverner avec cette coalition. Et, aujourd’hui, c’est impossible.
François Bayrou le sait bien d’ailleurs puisque, depuis des années, il
a une coalition avec le reste de la droite et n’a pris son indépendance
que très récemment, sans être suivi par l’ensemble de son propre parti.
Les "socialistes centristes" le savent bien aussi, prisonniers qu’ils
sont de la "gauche prolétarienne" qui m’horripile mais que je suis
obligé de supporter pour défendre mes idées. L’échec de la gauche autogestionnaire, dont je me réclame, a été dramatique mais est liée à
cette incapacité à créer une coalition propre sur un programme de
gouvernement.
François Bayrou a un courage que je qualifie de témérité. Il faut
d’abord créer un parti fort et uni, avec une coalition claire et
identifiée, puis se présenter aux Français. Pas l’inverse, qui est une
demande de chèque en blanc. Or, si on lui signe un chèque en blanc, il
y a une forte chance pour qu’il l’encaisse avec ses partenaires
habituels, les libéraux. Et, cela, je ne le veux pas.
Maintenant, imaginons un second tour qui me désolerait, genre François
Bayrou/Nicolas Sarkozy. Un tel affrontement briserait la coalition de
droite. Alors, peut-être, en effet, faudrait-il reconsidérer la chose.
Il ne faut pas prononcer de phrases trop définitives sur une rupture
inévitable entre le "centre" et la "gauche" mais il ne faut pas plus
être naïf.
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