Gère ton chien
Aujourd’hui, il y a de plus en plus de gens qui le valent bien. Mais aujourd’hui il y a de moins en moins de gens qui savent ce qu’est le rut d’un chien. Et leur vérité est : castre le.
Je suis passée par toutes les explications : l’ovariectomie ne change rien à la vie de la chienne, sauf qu’elle n’a pas de chaleurs et ne fera pas de petit, mais comme le chien n’anticipe pas, elle ne pleure pas. La castration est une mutilation : regarde la différence entre une femme qui n’a plus ni utérus ni ovaires et un homme qui n’a plus ses couilles !
Je crachais dans un violon, et subissais leurs foudres.
Le rut est une puissance instinctive immaîtrisable. Le chien ne mange plus, dort un peu la nuit, pleure, fait des vocalises, hurle à la mort ; ce n’est peut-être pas une souffrance mais ça y ressemble foutrement.
Quand j’avais des chiennes, pendant leurs chaleurs elles étaient très convoitées, les mâles en rang, silencieux, attentifs, restaient devant la porte ou un peu plus loin dans une hiérarchie qu’eux seuls connaissaient ; on faisait gaffe, on filait à l’anglaise, et avant de savoir qu’une lévrière est fugueuse parce que c’est elle qui va au mâle et pas l’inverse, on ne prenait personne en laisse. Mon Irish était futée mais si grande qu’aucun mâle ne pouvait la monter, aussi avions-nous droit aux grossesses nerveuses quand notre attention d’humains avait failli. Parce qu’une chienne qui a été touchée par le mâle mais pas comblée, fabrique ses hormones de grossesse pour rien et passe deux mois avachie, déprimée ; une pitié. Un autre mâle tenace et désireux avait réussi à saillir ma Léonberg et une ribambelle de joyeux bâtards nous était née.
Tous les humains de ces chiennes ont connu ces tourments, ces accidents, ces précautions à prendre…
Mais les temps changent, les chiens chauds sont de plus en plus rares, les mâles de race l’étant rarement, ce qui n’empêche pas de les castrer pour rien, il y a de moins en moins la queue devant la cour de la belle.
Aussi, s’habituer à ce confort tranquille induit que si un petit couillu déboule, il est mâle accueilli !
Il faut faire très attention à ça, parce que jusqu’ici, le sort que l’on faisait subir aux bêtes, on finissait par le faire subir aux hommes. Et ça ne date pas d’hier, on dit que les abattoirs de Chicago, la première industrie de meurtres odieux au monde, avait donné des idées à Hitler. Aussi, la prochaine étape sera-t-elle de faire féconder les femelles choisies par des mâles sélectionnés, et que tout autre accouplement sera, d’abord mal vu, puis interdit, puis sanctionné.
Avec évidemment, comme chaque fois, l’assentiment des petits grouillots à qui l’on aura fait miroiter quelque avantage !
Le mâle n’est pas à la noce alors que, sans vouloir provoquer une polémique mais faire simplement un constat, dans le monde animal mammifère en tout cas, le mâle ne fait que répondre à la femelle ; celle-ci lui envoie en pleine poire des phéromones à son passage et il faudrait qu’il s’étouffe, ou bien qu’il soit brimé par son cher maître !
Une vie de chien c’est une vie de frustration, perpétuelle, quotidienne. Mange pas ci, fais pas ça, pisse pas là, et autant que possible j’ai toujours fait en sorte avec mes canins, mais mes équins et félins aussi, quel que fût leur sexe, de ne pas être cause de leur frustration vraie.
Le rut, ce n’est pas une question d’éducation ; la frustration non plus : apprendre à vivre ensemble est une nécessité, ce qui est nécessaire ne frustre pas, ça éduque. L’instinct, ça ne s’éduque pas, ça se guide, pour la chasse par exemple, sinon ça s’exploite, pour la garde ou l’attaque par exemple.
Les animaux sont considérés comme des outils sophistiqués qu’il faut savoir diriger ; aujourd’hui, et pas par les mêmes, comme des ersatz de tendresse, des déversoirs de névroses, et même des accessoires de mode. Pour ces derniers l’amour est le passe-droit : je t’aime mais je t’enferme toute la journée parce que je travaille, je ne te sors jamais parce que je n’ai pas le temps et ça m’ennuie mais je sais que tu es heureuse ma chérie, parce que maman t’aime. Dans les lotissements c’est fou le nombre de chiens aimés que l’on entend aboyer sur notre passage, des chiens heureux qui attendent le retour de maman derrière des barreaux parfois obstrués de plastique. En revanche mon chien – qui a droit à ses sorties autonomes tous les jours, parce qu’il a besoin de ça, parce que faire le tour des copains dans le lotissement ce n’est pas ma joie, mais la sienne, il est si sécurisé avec moi qu’il n’a pas besoin de moi pour arpenter son territoire - dérange, et si chacun reconnaît qu’il est silencieux comme un chat, craintif et pas envahissant, s’il se fout des poules et n’approche pas les chats, sa liberté dérange. Whilhelm Reich a bien expliqué tout ça.
Chaque matin je prend la rue Basse, remonte la ruelle, traverse la route et pars en garrigue avec mon chien ; c’est ma première activité. Mon chien n’a pas de laisse, mes chiens n’ont jamais eu laisse ni collier, en tout cas une fois éduqués. Je sors du lit, les yeux encore collés, et je me réveille au fur et à mesure des pas ; j’entends une voiture qui démarre et je pense que cette rue étroite ça craint, mon chien est devant évidemment, je presse le pas quand j’entends la voiture accélérer juste après que mon chien a pris le carrefour, et j’arrive à temps pour le soulever de terre, à trois centimètres de la voiture, je m’écarte de justesse sur l’espace de l’entrée d’un portail. Le mec au volant je le connais bien ; sa chienne en chaleur bien enfermée dans son petit terrain, appelait mon chien enamouré que je laissais libre deux fois une heure par jour. Mais c’était insupportable pour lui, il fait partie de ceux qui me détestent. Y penser, le gros parechoc de ce Patrol, j’en tremble encore. Il démarrait, il ne pouvait pas me voir, dans la rue en contrebas derrière un haut mur, il a pensé que mon chien vaquait, que l’occasion était trop bonne.
Ce qui m’a fait le plus mal c’est la certitude d’entendre dans toutes les bouches : ça devait arriver. Comme si un chien libre était un chien à l'abandon : la liberté, pour ces gens-là, c'est forcément l'abandon. Pas le même discours pour le chat.
La liberté même bien éduquée se paye de la mort accidentelle prématurée ; c’est ainsi pour l’honnête homme.
Mon chien est magique, il est chat et elfe aussi ; il est le chien des Incas, jamais trituré même pour une bonne cause, un bon usage humain, depuis le début des temps.
Il a appris à reconnaître le bruit de la voiture, sûrement l’odeur du gros con, il s’arrête avec la douceur et l’harmonie de chacun de ses gestes en vérifiant que je suis là.
Les gendarmes sont venus : « on nous appelle tous les jours », « Ah bon ? », je lui dis : » vous savez qu’il y a de méchantes gens dans les villages !? » Il ne répond pas, mais me dit : « pour pas qu’il soit accusé de divagation, allez avec lui ». J’ai pensé : je n’ai que ça à foutre ! Mais j’y suis allée. J’ai pris un bouquin, arrivée devant chez la belle captive, je me suis adossée au mur, et j’ai laissé mon chien renifler sa belle à travers les barreaux d’en face, et si je savais bien que le bouquin ne serait jamais qu’un artifice, je n’imaginais pas ce qui allait suivre.
« Qu’est-ce que vous faites là » hurla une femme, téléphone en main ; j’étais dans la rue et je lui dis : « je surveille mon chien ». Trois vraies minutes d’insultes hallucinantes de la part d’une femme que je ne connaissais pas ; interpellé par les cris un homme arrive, qui me hurle dessus… je lui dis : « mais ce sont les gendarmes qui m’ont conseillée de venir accompagner mon chien pour que vous ne puissiez pas le prendre pour un vagabond ». Alors il a fait semblant d’appeler les flics et avant de faire semblant de raccrocher, il a dit : « Vous arrivez ? C’est bien ». Les gens importants pensent que les gendarmes viennent à l’appel pour soulager leurs grosses souffrances et punir les gueux.
J’allai ainsi, deux fois par jour, derrière mon chien, plus rapide on s’en doute, devant chez sa belle ; un matin, j’arrive dans la ruelle et je ne le vois pas ! j’avance, le portail de la propriété était ouvert.
On passe des mauvais moments quand on parie sur la force du vrai face à la puissance de la négation.
Personne dans la propriété ; je n’osais pas y entrer de peur de me faire surprendre, et là, violation de domicile, je risquais la tôle, appeler mon chien et ameuter le quartier ne servait à rien, je ne l’imaginais pas arriver au garde-à-vous au pied de sa maîtresse, ayant délaissé l’amante, je rongeais mon frein, fis le tour, les vis en action, ébahie par la taille de son chibre, soudain tétanisée devant tous les emmerdements qui adviendraient…
C’est curieux dans les villages, tout se sait, tout se dit, mais les remous restent à l’ombre dans le lieu sacré des non-dits parce que non assumés ! Je n’ai pas eu de nouvelles des frasques de mon chien avec leur chienne.
Je pourrais vous parler des heures de ses amours vraies et partagées avec une bergère suisse, blanche et voluptueuse ; c’est vraiment de l’amour qui les lie ; des balades matinales tous les trois, ces deux là harassés par la chaleur de l’été ; les visites de la dame qui sait ouvrir les portes, leurs jeux, la puérilité de mon chien face à la bienveillance de l’adulte, mais aussi ses câlins, ses étreintes qu’elle seule décide. C’est Roméo et Juliette qui a une mère enragée de jalousie et qui la tient depuis, enclose. Elle doit pouvoir s’échapper parfois, je trouve la porte ouverte chez moi et quand c’était ouvert, elle passait, restait un peu et soudain inquiète et stressée attendait que je lui dise : tu veux aller à la maison ? Va. Et elle partait la queue entre les jambes, consciente d’avoir franchi les zones interdites. Ils s’aiment vraiment. Et l’humaine est jalouse. C’est parce qu’elle ne sait pas à quel point c’est beau. Elle croit que je veux lui voler sa chienne. Elle me téléphone pour me dire qu’elle a prévenu la SPA qui à son prochain appel viendra, emportera Rossoh et le castrera . Elle m’avait prévenue : gère ton chien ! Avec ce vocabulaire inénarrable de la nouvelle génération qui gère tout, on le voit.
Je ne savais pas que la SPA protégeait les cons des animaux, je croyais qu’elle protégeait les animaux des cons.
Le monde change et on ne m’en a rien dit ; du reste on ne me dit rien non plus du statut du chien en rut, qu’on voyait courir naguère, à vive allure le long des routes… peut-être n’y en a-t-il plus ? Peut-être Rossoh, ce prince péruvien, est-il le dernier ?
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