Gibraltar, un « casus belli » ?
Quelques jours après que Mme Theresa May ait officiellement fait parvenir à l'Union Européenne les formulaires de demande de divorce, une pandémie brutale a frappé la Grande-Bretagne : la fièvre du Brexit.
Au cours d’un vif échange avec l'Espagne et l'UE à propos du statut de Gibraltar, un ancien chef du parti conservateur Mr Michael, baron Howard de Lympne, a même déclaré que son pays serait prêt à engager une guerre pour défendre le petit territoire britannique à la pointe sud de l'Espagne.
Pour faire bonne mesure, les manchettes de la presse britannique étaient consacrées ce week-end à la « guerre du rocher » et au retour prévu aux vieux passeports britanniques cartonnés pour remplacer le laissez-passer européen de pacotille, qui avait relégué l’identité nationale au rang des accessoires.
Les lecteurs du « Daily Telegraph » ont pu lire que la marine royale, même si elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, pourrait encore "paralyser" l'Espagne si nécessaire, la géoposition de Trafalgar ayant été dûment enregistrée dans les archives maritimes. Le « Daily Mail » a titré : "Qui a la plus grande armada ?"
Un chroniqueur du « Sun » a suggéré que Mme May menace d'expulser les 125 000 Espagnols qui vivent en Grande-Bretagne et de taxer le vin de Rioja, si Madrid maintient sa position sur Gibraltar qui a été cédé à la Grande-Bretagne par le Traité d'Utrecht en 1713, mais que l'Espagne entend réintégrer dans son territoire national.
Un professeur de politique européenne et affaires étrangères au King's College à Londres, Mr Anand Menon, a déclaré : "Certaines personnes sont un peu surexcitées et je prendrais tout ce qui a été dit ce week-end avec précaution". Mais, selon lui, l'humeur belligérante d’une partie de la population pourrait avoir un impact négatif sur les résultats du Brexit.
Mme May, le premier ministre qui était au départ une adversaire du Brexit a maintenant deux ans pour régler les termes du divorce avant son entrée en vigueur en mars 2019, une des difficultés les plus importantes qu’aient eu à surmonter les récents premiers ministres britanniques : représenter la Grande-Bretagne face aux nouvelles demandes d'indépendance écossaises, tout en menant des négociations avec 27 autres États de l'UE sur les finances, le commerce, la sécurité et d'autres questions.
Le porte-parole de Mme May a cherché à calmer le jeu en affirmant que Mr Howard « essayait de mettre en évidence la volonté des Britanniques de protéger les droits de Gibraltar et sa souveraineté ». Quand on lui a demandé si cela impliquait en fin de compte d'envoyer un escadron naval pour protéger Gibraltar, comme l'avait fait la Grande-Bretagne aux Malouines il y a 35 ans, il a répondu : "Cela ne se produira pas".
Le résultat des négociations façonnera l'avenir de l'économie britannique, la cinquième du monde, et déterminera si Londres peut rester l'un des deux premiers centres financiers mondiaux.
Pour l'UE, déjà ébranlée par des crises successives au sujet de la dette et des réfugiés, la perte de la Grande-Bretagne est le plus grand coup qu’elle ait encaissé depuis ses soixante années d’existence, mais en Grande-Bretagne, l'ambiance est plutôt jubilatoire.
Dans l’enthousiasme identitaire, un article du « Telegraph » a appelé au retour des unités de mesures "impériales" britanniques en oubliant que les poids et mesures traditionnels coexistent avec le système métrique : la bière est servie dans les pintes mais l'essence en litres.
Mr Kelvin MacKenzie, un chroniqueur qui a été rédacteur en chef du « Sun » de 1981 à 1994, a trouvé une formule forte pour l'Espagne : "Nous entamons seulement les négociations du Brexit mais, pour être honnête, je suis déjà passé de l’affrontement à la guerre dure", a-t-il écrit. "Nos amis en Europe se révèlent rapidement être nos ennemis. Ce n'est que dans l'histoire récente que l'Allemagne et l'Italie ont été de notre côté".
Bon courage Madame May : le flegme légendaire de vos compatriotes semble n’être qu’une légende dans certains milieux, et les médias n’ont apparemment pas l’intention de calmer cette fièvre qui s’est emparée de leurs rédacteurs.
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