Gilets Jaunes : Activisme apolitique versus militantisme politique ?
Trop de choses se disent à propos de ce mouvement des gilets jaunes alors que l’honnêteté intellectuelle d’une élite soi-disant encline à aborder le changement dans la voie démocratique intimerait de donner « réellement » la parole à ce mouvement, autre que celle des micro-trottoir à l’intention très souvent douteuse, afin de clarifier ses positions et couper ainsi court à toute cette campagne de dénigrement… Ne serait-ce qu’une petite demi-heure d’antenne lors d’un de ces débats qui pullulent ces derniers temps sans que ne soient invités des membres du mouvement.
Tout le monde répond en leur nom, tout le monde les juge au nom de tous sans avoir vraiment entendu la plaidoirie de l’action. L’action, un mot d’ordre dont semble découler le principe même du mouvement puisque apparemment sa démarche s’inscrit plus dans un « activisme » pur et dur que dans un discours politique « nébuleux », incompréhensible pour la majorité et dont la très « haute » teneur en courants idéologiques est la source même de l’échec de cette multitude « bouffonne » de partis politiques, sclérosés dans le mimétisme autoritaire de l’état, à fédérer toute movida capable de générer une synergie salvatrice dans la cité.
Et côté activisme il faut accorder à ce mouvement d’avoir réussi à ramener un genre revendicatif de cyberactivisme, qualifié encore très récemment de « cyberutopie », à la réalité contestataire d’une « rue » en ébullition venant bousculer par le réalisme même de ses slogans une revendication plus en mesure du consensus populaire.
Bien entendu on retrouve parmi l’éventail des slogans des gilets jaunes toute une série parasite venant d’instances politiques s’invitant de force dans le seul but de la récupération éhontée, chose dont ne sont pas dupes les initiateurs du mouvement. Des « flics assassins » par-ci, un classique de l’extrême gauche, des « on chez nous » par-là, cher à l’extrême droite et j’en passe...
Mais si l’on recense l’ensemble des slogans on pourrait résumer l’ensemble de la parole contestataire (que beaucoup tentent d’enfermer sous le qualificatif de la Jacquerie dans un but de dénigrement) par un seul mot d’ordre : « Dignité » !
En voilà un mot simple qui renvoie à une notion sociale que tous, toutes tendances socio politico-religieuses confondues, sont prêt à partager.
Or nous commettons peut-être une erreur, celle de continuer à pérorer en mélangeant les genres, dans notre façon d’appréhender ce mouvement. Ce qui fait sans doute peur à un grand nombre de français, qui dévoilent leur côté « réactionnaire », c’est de se laisser entraîner sur un terrain où ils ne pourront pas faire le poids. Pour une grande majorité, aborder la question de cette « dignité » et le concept de construction sociale auquel ce mot renvoie, comme les stratèges du mouvement les y invitent à dessein, en dehors des guillemets « politiques », par exemple, c’est déjà se mettre en mauvaise posture, parce qu’ils jugent qu’ils ne seraient ni dans le même débat, ni dans la même rhétorique que leurs interlocuteurs. Pour la plupart d’entre eux, cet activisme, comme tous les activismes, ne propose pas un débat intellectuel mais une orientation éminemment « anarchiste », « shuntant » les structures partisanes, seules reconnues capables, dans ce jeu démocratique vicié, de procurer une certaine légalité à la revendication.
Ce qui fait peur dans cette action c’est justement cette autre façon, plus subtile, de dire « dégage » à cette représentativité partisane, et au-delà parlementaire, mesurant l’exception démocratique française (un gros mensonge) à l’aune hypocrite du politiquement correct. Tout le monde est pris à contre-pied. En dehors de l’emphase phraséologique des grandes idéologies, la revendication semble avoir été dégraissée pour aller à l’essentiel social sans le dessein politique d’une accaparation de pouvoir.
Il est vrai que le manque de leader charismatique dans ce mouvement peut paraître comme un péché originel comme beaucoup le qualifient mais uniquement si l’on aborde, répétons-le encore une fois, ce mouvement revendicatif par le lorgnon du « politique ». En réalité, cette absence de leadership est un contre-pied au schéma classique des luttes sociales telles que nous les avons connues jusqu’à présent. C’est justement cela qui « dérange » ou fait « peur ». Les alarmistes, à cris d’orfraie agitent déjà l’épouvantail de la révolution en faisant abstraction, par méconnaissance ou occultation volontaire de l’histoire - mais qu’importe le but étant le même - que le schème révolutionnaire de 1789 découlait d’un dessein plus structuré où le mouvement populaire considéré comme non pensant, et se trouvant donc dans l’incapacité d’avoir un quelconque rôle dirigeant, permit à la bourgeoisie de diriger politiquement le mouvement.
Placer un leader charismatique au départ passerait immanquablement la « revendication » au second plan et permettrait, sinon la récupération, au moins la canalisation plus probable du mouvement puisqu’il y aurait représentation officielle, puis négociation, puis compromis...etc
Or là point de place au compromis. Nous sommes en face d’un activisme pur et dur. Une force de masse sous un mot d’ordre « dignité ». Un mot ne laissant point place au compromis. D’ailleurs il serait autant illogique qu’insensé, alors qu’un grand nombre est en train de remettre en cause les processus d’accès à la représentativité de désigner un leader tant qu’il ne sera pas mis en place des canaux plus sûrs pour élire les « champions » selon un processus réellement démocratique et plus en mesure de répondre à l’intérêt général dans la reconstruction constitutionnelle de la cité. Rappelons que Macron a réussi, par un habile stratagème politique, à se faire élire président contre la volonté de plus de 70% des français.
Ce n’est donc pas là un mouvement où un individu parle au nom du groupe mais tout le groupe qui parle au nom de chaque individu et cette nuance de taille est le principal vecteur dans ce mouvement de la restauration de la dignité citoyenne.
Les médias audio visuels les plus « influents », et on sait à quelle ligne éditoriale appartiennent les médias les plus influents, nous servent à propos de ce mouvement une information selon un angle de vue bien précis de façon à le discréditer. Il faudrait sans doute assimiler une bonne fois pour toute que ces jaunes ne prétendent pas exceller dans la rhétorique politique parce que justement, inscrivant leur action hors des jalons politiques sur lesquels ils n’ont eu en exemple que la piètre image de structures partisanes sclérosées ayant coupé depuis bien longtemps le cordon ombilical avec leur géniteur : « le peuple ».
Pas besoin de grands mots puisque il n’y a derrière la revendication aucune idéologie, aucune prétention de programme où d’un quelconque désir de se substituer aux acteurs du pouvoir. L’action du mouvement n’est en rien comparable à une révolution à la 1789. Elle ne se positionne pas dans « l’acte politique classique » …Po-li-ti-que, c’est-à-dire prise et contrôle d’un pouvoir pour l’instauration, la définition et la réglementation d’une société en soumettant à une loi les citoyens qui la composent….
Le message est pourtant on ne peut plus clair. Aux politiciens d’établir les politiques et les programmes qui s’imposent pour réaliser le bien-être social dans ce qu’il a de plus basique indépendamment de toute orientation idéologique : travail-éducation-santé le tout dans le respect total des individus dans leur liberté de penser et de s’exprimer.
Il faut sans doute admettre que sous couvert d’un politiquement correct les systèmes politiques démocratiques assujettis désormais au seul pouvoir de l’argent n’ont fait que pratiquer, jusqu’à ce nouveau genre de mouvement populaire, un fascisme crasse auquel même les inventeurs de la doctrine n’avaient certainement pas songé. Les fascismes prospèrent très bien sur les lacunes des démocraties dont ils savent perforer le ventre mou, chacun avec son fascisme. Ainsi un PS sera assimilé à un LR qui, aux yeux du prolétariat français, s’active, au fond, à étouffer lentement le petit peuple avec les mêmes ambitions. L’imprudence serait de les relativiser trop et de sous-estimer les moyens qu’ils ont déjà mis en oeuvre pour les satisfaire, notamment, et parce que c’est le propre des fascistes, parce qu’ils sont bien peu scrupuleux sur les moyens pour parvenir à leurs fins. En face, ne raisonner qu’intellectuellement est gageure puisque la récurrente malhonnêteté intellectuelle et la démagogie sont, avec la violence et la terreur, parmi les moyens que ces systèmes au service de l’argent affectionnent. Et c’est justement là où s’inscrit ce mouvement. Point de grand mots, point d’idéologie, point de programme juste de l’action car on ne peut continuer à répondre politiquement, avec toutes les divergences idéologiques à l’action d’envergure menée sur le terrain (la vie de tous les jours du peuple) par l’entreprise libérale en vue de gouverner le monde.
La bifurcation de la manière revendicative est évidente et l’on peut affirmer que les gilets jaunes sont plus en mesure de trouver les leviers actionnant l’adéquation de la contestation sociale mieux que tout cette classe politique « avachie » dans le discours suranné de leurs idéologies obsolètes et incapables d’assurer ce rôle de pivot entre le pouvoir et le peuple.
Cessons les procès d’intention pur et dur à l’ encontre d’une frange de population que l’on a laissé se dépêtrer toute seule et qui malgré, ou grâce sans doute, à son abandon par les grands guides « intellectuels » a réussi à reprendre pied de manière plus réaliste que l’on ne pouvait l’imaginer dans les involutions qu’est en train de subir le monde. Tout va très vite sous le rouleau compresseur d’une mondialisation amenant la loi des marchés à chapeauter le politique avec toutes les régressions de libertés sociales que l’on connaît.
Une frange qui a l’air de bien savoir ce qu’elle revendique sans tomber dans le piège de l’embrigadement par ces voies partisanes supposées, comme beaucoup l’entendent, donner une certaine légalité au mouvement.
Nous serions vraiment de mauvaise fois si l’on continuait à affubler cette frange « d’intentions » en sous-entendant de bien mauvaises car oui elle n’en a pas, à moins que l’on qualifie d’intention son aspiration à une certaine forme de bonheur social. Les partis eux ont des intentions, dont la principale est le « pouvoir » ce qui les rend d’emblée caduque aux yeux de ce mouvement acculé à rejeter en bloc la mascarade politique permettant juste à une élite, toujours la même, de vivre aux dépends de ceux qui l’écoutent..
L’ennemi est ailleurs et les jaunes l’ayant bien compris sont en train de mordre à pleines dents dans le fromage protégé amoureusement derrière cet écran politique dans lequel ils refusent de se laisser « diluer ».
Tout est à espérer, car la France, depuis mai 68 n’a plus eu une force de persuasion aussi puissante. Maintenant la force brute ne peut pas résoudre tous les problèmes. De l’autre côté les intellectuels et les politiques doivent aussi assumer leur rôle pour rétablir l’ordre des choses et réinvestir la place publique et ne pas continuer à attendre les directives de leurs donneurs d’ordres, ceux qui détiennent le vrai pouvoir, celui de l’argent. Ce mouvement est une aubaine pour ceux qui prétextaient ne pas avoir justement cette force de persuasion.
Elle est là, disponible à qui serait assez honnête pour monter au créneau...
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