Gilets jaunes : la nuée porte l’orage
Le premier choc pétrolier de 1973 a apporté à des changements considérables dans la société française. Ce qui s’annonce sera du même type avec une ampleur bien plus importante : tous feront-ils les efforts nécessaires ?
Depuis cinquante ans, les Français consomment un peu plus chaque année, la consommation par personne est ainsi trois fois plus élevée qu’en 1960. Toutefois, cette progression globale recouvre de profonds changements dans la répartition du budget des ménages : les parts incontournables réservées à l’alimentation et à l’habillement se sont réduites, tandis que celles consacrées au logement, aux transports, à la santé, aux communications, aux loisirs… ont augmenté.
De 1950 jusqu’au premier choc pétrolier, la croissance du PIB fut constante et régulière, de l’ordre de 5,4%. Cette croissance était due pour moitié aux activités industrielles et pour l’autre moitié au secteur des services marchands. Après la crise de 1973, la progression du PIB décroit à moins de la moitié : 2,2% en moyenne. Dans le même temps, la contribution de l’industrie à la croissance a très significativement diminuée pour faire place plus largement aux services. Cette transformation se reflète aussi pour les emplois. Au début des années 2000, les services emploient les trois quarts des actifs, plus du double qu’en 1950.
Avant le premier choc pétrolier, les gains de productivité horaire du travail étaient élevés (+ 5,6 % par an) : le PIB s’accroissait et la durée effective du travail baissait. Ce dynamisme traduisait un phénomène de rattrapage au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le rythme de croissance s’est ensuite brisé après la crise de 1973 bien que le volume horaire de travail soit resté constant ; le ralentissement était dû à la diminution importante des gains de productivité, le rapport entre production et ressources utilisées : 3,1% entre 1975 et 1990, 1,7% par la suite. Malgré tout, dans l’agriculture, les gains de productivité sont restés élevés sur la période 1975-1989 pour diminuer ensuite. Les gains de productivité dans l’industrie ont eux constamment baissé. Ces données sont importantes car l’évolution du salaire moyen est empiriquement observée comme liée à la productivité.
De la même façon, le taux de chômage est profondément affecté par le premier choc pétrolier : de 1,6% de chômeurs entre 1961 et 1970, il passe à 3,6% entre 1971 et 1980, il monte ensuite constamment en France pour s’établir à des valeurs très élevées : 9,9% en 2017.
De 1960 à 1973, le revenu des ménages (hors inflation) a progressé de plus de 5% en moyenne par an. Le pouvoir d’achat des ménages n’a plus progressé que de 2% par an entre 1975 et 2008. Il y a donc une relation directe et persistante entre le prix de l’énergie et le niveau de vie des français (comme de la plupart des autres). D’une façon plus globale, « lorsque la consommation d’énergie primaire augmente de 10 % , le PIB tend à croître de 6-7 % en moyenne, avec éventuellement un retard pouvant atteindre dix-huit mois ». Lorsque la consommation décroit, une diminution du PIB est corrélativement attendue. Mais, malgré les chocs pétroliers, la consommation d’énergie totale en France a été multipliée par 1,5 de 1973 à 2010.
Enfin, il faut considérer quelque peu l’effet de la mondialisation qui n’est qu’un terme creux pour désigner l’alignement social, économique, politique de tous les pays du monde sur le mode de vie nord-américain. Le résultat de la libéralisation des échanges au niveau mondial fut une forte baisse, à partir de 1990, des inégalités économiques entre pays, notamment entre pays développés et pays en développement. Cependant, un autre renversement s'est produit : après plusieurs décennies de stabilité, les inégalités à l'intérieur d'un grand nombre de pays, développés ou en voie de développement, ont tendu à augmenter. Les pauvres des pays riches s’appauvrissent tandis que les riches des pays pauvres s’enrichissent.
Mais qu’advient-il si le pétrole et les autres énergies fossiles ne sont plus, ou beaucoup plus difficilement, disponibles ?
Les ressources en combustibles fossiles vont se raréfier, les sociétés hautement dépendantes de machines dévoreuses d’énergie vont se contracter, la croissance économique ne sera plus qu’un rêve, la moindre production de richesses va conduire à des disparités, à de plus grandes inégalités, sources de tensions, d’émeutes, de chaos. Il ne faut pas gloser lorsqu’on parle de fin du monde, car il y a un risque bien réel qu’il advienne, du moins pour l’immense majorité de la population qui n’aura pas les moyens de se barricader en Australie.
Les titres des journaux télévisés d’information passent de la pédophilie détectée dans l’église catholique, aux tueurs en série, aux agressions homophobes, au découpage d’un journaliste dans un consulat, au martyr du peuple yéménite, et sur le même plan, aux gilets jaunes en colère. Pourtant ce que leurs colères expriment est d’une toute autre importance : vont-ils être les seuls à se priver, eux qui n’ont déjà pas grand-chose.
La fiscalité écologique depuis 2015 fait renchérir chaque année les taxes qui pèsent sur la consommation de pétrole, de gaz et de fioul. Elle est destinée à orienter les usagers vers l’utilisation d’autres énergies. Les taxes augmenteront, au 1er janvier 2019, de 6,5 centimes sur le diesel et de 2,9 centimes sur l'essence (1,48€/l), comme le prévoit le projet de loi de finances. Les caisses de l’Etat et des collectivités bénéficieront d’un montant supplémentaire de l’ordre de 4 milliards (budget total 1200 milliards environ).
Pour contrer les innombrables dérèglements dus à un réchauffement climatique excessif, il faut impérativement diminuer notre consommation d’énergie fossile. Il est illusoire de penser que les cellules solaires et les éoliennes, les technologies les plus en vue pour ce faire, pourront remplacer le charbon, le gaz, le pétrole au fur et à mesure où leur consommation deviendra hors de portée. Il n’y a pas d’alternative !
Lorsque la consommation d’énergie augmente, le PIB tend à croître, de la même façon une réduction de la consommation d’énergie s’accompagnera forcément d’une contraction du PIB, moins de richesses seront produites, moins de richesses seront distribuées.
La décroissance de l’économie peut conduire à un monde meilleur, plus humain et plus économe à terme mais d’immenses problèmes vont se produire lors de la transition. Par exemple, l’industrie automobile, qui représente 13% du PIB allemand et un cinquième des exportations, est une épine majeure dans le pied d’une économie non carbonée, que les véhicules soient thermiques ou électriques. Seuls les transports collectifs ont une utilité. Il est facile de prévoir du chômage supplémentaire, des mécontentements, des exaspérations, des émeutes que les démocraties comme les dictatures auront beaucoup de mal à maîtriser. Le mouvement des gilets jaunes, dans ce cadre, ne représente que les premières nuées d’un orage qui s’annonce incomparablement plus dévastateur.
En effet, tendre vers un monde décarboné nécessite de bien plus grands efforts que ceux que l’on demande présentement. Le monde pourra se remettre d’un réchauffement climatique de 2, 3…5°C mais à quel prix : l’envahissement par les eaux des océans de beaucoup des mégapoles construites sur ses rives, des migrations humaines gigantesques pour fuir des sécheresses, la venue d’une multitude d’insectes porteurs de maladies graves ou incurables…etc…
Les périls qui se profilent sont d’une telle ampleur qu’il est possible de se demander pourquoi les Hommes politiques ne font que balbutier quelques mots à ce sujet… la maison brûle… mais qu’ils s’appliquent à regarder ailleurs avec constance. Pourtant, ils sont parfaitement conscients de l’extrême dureté des temps qui s’annoncent mais ils ne possèdent pas la solution pour les affronter. Le politique c’est l’art du possible pas celui du nécessaire, et en l’espèce personne ne sait comment conduire une transition qui s’apparente à une révolution. Les mots d’ordre actuels de compétition, de compétitivité, du travailler plus que les autres pour moins chers, contribue seulement à une concentration des richesses qui conduira à l’esclavage plus de 90% de l’humanité... si on n’y prend garde. La caste dominante pourra se nicher au sein de mégalopoles tandis que les assujettis se trouveraient dans les intervalles, des robots-tueurs « intelligents » permettront de mettre de l’ordre si nécessaire.
Un « Homme politique » qui souhaite offrir autre chose est désemparé : comment va-t-il donner les meilleurs chances à tous ? Comment guider un peuple ou l’accompagner vers une sobriété heureuse ? L’Afrique qui connaît une explosion démographique et qui n’est pour rien par le passé dans l’émission de gaz à effet de serre, s’accommodera difficilement d’une régression ou d’une stagnation de sa consommation énergétique. Sauf si ils cessent d’imiter des modèles hors d’âge et qu’ils construisent une société du soleil. La construction de réacteurs nucléaires devrait être mise en œuvre dans le même temps dans les pays occidentaux pour alléger rapidement le fardeau des émissions de gaz à effet de serre dont ils sont presque exclusivement responsables.
Ainsi, un chemin étroit permet d’évite la fin d’un monde : celui de la démocratie qui est en péril. Il est jalonné d’immenses efforts, de sacrifices pour tous qui peuvent être acceptés si personne ne s’en dispense. Qu’on ne s’y trompe pas, les richesses matérielles diminueront, seule la justice peut être sauvegardée (ou rétablie) : le choix n’a pas à être fait entre fin du monde et fin de mois, les deux s’annoncent difficiles.
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