Gilets Jaunes : Macron n’a rien dit
Hier, 10 décembre au bout d’un mois de crise, enfin Monsieur Macron a daigné s’adresser aux Français pendant 13 minutes. Mais à qui a-t-il parlé ?
D’abord à sa majorité pour la rassurer sur sa décision de maintenir le cap, aussi n’y a-t-il rien de surprenant à ce que ministres et députés aient continué avec arrogance à montrer et parfois démontrer leur incompréhension de cette crise sociale et des problèmes qu’elle expose. Ensuite aux journalistes des télévisions d’information en continu dont on constate de jour en jour à quel point ils sont soumis à la parole de Monsieur Macron et à la propagande du monde de la finance. L’inénarrable Monsieur Lechypre expliquait, une fois encore, ses théories sur le SMIC et l’ISF selon lesquelles augmenter le premier et rétablir la seconde serait apocalyptique pour l’économie du pays, sauf qu’à ces théories d’autres s’opposent portées par des économistes ni moins talentueux ni moins sots que les pères des premières. Ne serait-ce pas honnête de la part d’un journaliste que d’exposer les diverses théories contradictoires ? Le parti pris des journalistes montre le camp qu’ils ont choisi, ce n’est pas celui de la défense des humbles.
Les éditorialistes montrent le même attachement au parti de la finance et à l’élite bourgeoise quand ils viennent expliquer que Monsieur Macron a infléchi sa politique pour l’orienter vers une politique plus sociale. Ils osent dire, dans la plus grande malhonnêteté qui soit, que Monsieur Macron a fait de généreuses propositions aux Gilets Jaunes. Que nenni !
L’augmentation du SMIC ne sera pas de 100€ par mois puisque cette augmentation, quelque peu virtuelle, inclut la baisse des charges sociales effectives depuis le mois d’octobre qi a porté le SMIC à 1185€ et l’augmentation réglementaire de 1,8 % ce qui donnera un SMIC à 1227€ soit une augmentation de 42€ en janvier par rapport à octobre. Pour atteindre 100€ il va falloir ajouter environ 40€ aux deux augmentations citées précédemment, le gouvernement sollicitera la prime d’activité versée aux personnes percevant entre 0,5 SMIC et 1,2 SMIC soit entre 613€ et 1472€ par mois ; sera-t-elle augmentée, les modalités de versement et les critères d’attribution seront-ils modifiés ? Le gouvernement ne s’est pas exprimé sur ce sujet. Mais surtout on ne dit rien des incidences de cette augmentation, par exemple un chômeur qui percevait en moyenne 680€ d’allocation mensuelle avait droit à une APL de 109€, lorsqu’il accède à un emploi rémunéré 1220€ nets et l’APL tombe à 18€ mensuels. Ce calcul peut être fait pour la prime d’activité, pour le chèque énergie, et pour une foultitude de services dont le montant est lié au quotient familial. En outre cette augmentation aura une répercussion sur l’impôt sur le revenu, un célibataire avec un SMIC de 1227€ net donc 14724€ annuels ne sera pas imposé sur les revenus inférieurs à 9964€ mais il le sera sur la tranche entre 9964€ et 14724€ à un taux de 14 %, suivant les exonérations possibles il paiera entre 405€ et 666€ d’impôts durs le revenu. Ce n’est donc pas une augmentation du SMIC qu’a annoncé Monsieur Macron, ce n’est qu’une augmentation dont il s'agit mais dont les effets secondaires risquent plutôt d’amputer que d'augmenter le pouvoir d’achat des personnes. Il apparaît que l’annonce faite par Monsieur Macron ressemble à un leurre pour nigaud, à un miroir aux alouettes comme il les affectionne.
Nous pouvons faire une analyse analogue à propos de la taxe d’habitation. Il est clair qu’une personne ou un couple dont les revenus n’excéderaient pas 2000€ par mois en seront exemptés, mais qu’en sera-t-il d’un couple dont l’un des conjoints perçoit 1327€ euros (le SMIC plus l’hypothétique augmentation de 100€) et l’autre conjoint 995€ correspondant à un trois quarts de temps de travail rémunérés au SMIC, donc avec un revenu global de 2322€ donc supérieur à 2000€, et s’il a deux enfants pense-t-on que 2322€ seraient le paradis ?
Rabattons-nous sur la défiscalisation des heures supplémentaires. Tout le monde ne fait pas d’heures supplémentaires notamment dans la grande distribution où le travail à temps partiel est pléthorique et l’emploi du temps des employés organisés de telle façon qu’ils ne soient jamais en dépassement du quantum horaire ; y a-t-il des heures supplémentaires dans les entreprises où a été négocié un passage à 39 heures hebdomadaires contre la promesse d’un maintien de l’emploi. Si cette mesure n’est pas un miroir aux alouettes elle y ressemble et surtout elle est créatrice d’inégalité.
La prime de fin d’année est elle aussi une duperie puisque la décision de la verser ne dépend que de la possibilité de l’entreprise comme l’explique le président de la CGPME, mais c’est tellement évident. Les fonctionnaires y auront-ils droit ? Là encore c’est de l’esbroufe et du mensonge qui ne provoqueront que de l’inégalité.
In fine on constate que le fameux virage social tant apprécié par les éditorialistes, qui tous gagnent 7 à 10 fois le SMIC quand ce n’est pas plus, n’a aucune réalité. Ce qui semble permettre une amélioration du pouvoir d’achat des plus modestes sera annihilé par la disparition mécanique des aides auxquelles ils avaient accès et par une augmentation des services où leur quotient familial leur permettait un accès peu onéreux. On pourrait chanter, après ce discours lénifiant « Paroles, paroles : Encore des mots toujours des mots, les mêmes mots… »
Parmi ces mots, dès le début de l’allocution, il y eut ceux-ci : « Ils ont mêlé des revendications légitimes et un enchaînement de violences inadmissibles et je veux vous le dire d’emblée : ces violences ne bénéficieront d’aucune indulgence. » Qui Monsieur Macron voulait-il rassurer avec ce discours d’une banalité, d’une évidence qui frise le truisme ? Mais au-delà de ces mots n’est-ce pas la volonté d’instaurer un État autoritaire qui ne laisserait aucune place à la contestation et qui est appelée de ses vœux par Monsieur Macron tel que le fit Napoléon III. Toute l’action policière, sollicitée, préparée et renforcée par les médias, mise en place par le ministre de l’Intérieur a montré cette lente dérive : on ne conteste pas Monsieur Macron ! N’a-t-il pas confirmé son intention lorsqu’il attaque les partis de l’opposition : « Nous avons tous vu le jeu des opportunistes qui ont essayé de profiter des colères sincères pour les dévoyer. Nous avons tous vu les irresponsables politiques dont le seul projet était de bousculer la République, cherchant le désordre et l’anarchie. » Lui-même n’est-il pas cet opportuniste qui a fait son lit dans les décombres du quinquennat de François Hollande, allant jusqu’à tuer le père, et profité de l’incroyable affaire Fillon ? Sur quelles haines n’a-t-il pas surfé attirant à lui des courtisans qui n’hésitèrent ni à renier leurs convictions passées ni à trahir le parti auxquels ils appartenaient mais où ils ne réussissaient pas à avoir la place convoitée comme Richard Ferrand, Bruno Le Maire, etc. Nous oublierons bien sûr l’affaire du voyage à Las Verras, le traitement de l’affaire Benalla et autres broutilles. En outre, ne rejoint-il pas certains partis lorsqu’il parle de l’identité de la nation (sans doute gauloise donc blanche) : « Je veux aussi que nous mettions d’accord la nation avec elle-même sur ce qu’est son identité profonde. Que nous abordions la question de l’immigration. » ? Sans lui donner une quelconque absolution, les Français jugeront en temps et en heure, toutefois maintenant rappelons à Monsieur Macron qu’il est du rôle démocratique de l’opposition de s’opposer sinon elle rejoindrait le camp de la majorité et il n’est en rien scandaleux que l’opposition argumente quitte à vouloir bousculer l’ordre établi. Ici il n’a pas été question de renverser la République ne serait-ce que parce que Monsieur Macron et sa clique ne sont pas la République. Qu’ils se souviennent qu’avant la V° il y en eut quatre autres et que par conséquent il pourrait bien y en avoir une sixième.
Ainsi, son discours n’a pas montré de virage « social » pas plus qu’il n’a montré qu’il se départirait de son projet d’une présidence autocratique. De la même façon Monsieur Macron n’a manifesté aucune empathie avec les Français représentés par les Gilets Jaunes, bien au contraire le mépris et l’arrogance étaient bien présents comme d’habitude tapis derrière un discours compationnel : « Il a pu m’arriver de vous donner le sentiment que ce n’était pas mon souci, que j’avais d’autres priorités. Je sais aussi qu’il m’est arrivé de blesser certains d’entre vous par mes propos. ». Ces deux phrases accolées atténuent mutuellement leur portée ; il y a la reconnaissance d’un fait « j’ai blessé » qui est amoindrie par « de vous donner le sentiment ». Quand on dit qu’on donne le « sentiment de » on exprime que l’autre n’a pas compris ou se méprend sur l’intention, donc Français vous ne comprenez pas mes « bonnes intentions ».
Un discours pour rien, espérons qu’il n’attise pas les rancœurs et les braises de la révolte. C’est une fois encore un discours qui repose sur le mensonge ce qui est un curieux paradoxe pour quelqu’un qui déclare : « Je veux ce soir être très clair avec vous. Si je me suis battu pour bousculer le système politique en place, les habitudes, les hypocrisies, c’est précisément parce que je crois plus que tout dans notre pays et que je l’aime… » ; les pratiques et surtout le niveau de langage des ministres et des députés LREM montre que rien n’a changer entre les deux mondes : le Nouveau et l’Ancien, la politique politicienne est restée au même niveau. Un discours qui repose aussi sur une erreur d’analyse qui relève soit de la bêtise soit de la flagornerie, je n’ose pas penser qu’il pourrait s’agir d’escroquerie intellectuelle, lorsqu’on avance : « et ma légitimité, je ne la tire d’aucun titre, d’aucun parti, d’aucune coterie ; je ne la tire que de vous, de nul autre. », aucun parti certes si on excepte celui de « la finance et du capital » à qui on a dès le début du mandat fait un extraordinaire cadeau, mais cette légitimité ne vient pas des Français qui pour une très grande majorité n’ont pas voté pour Monsieur Macron ; cette légitimité n’a pas d’autre source et d’autre valeur que celles conférées par la loi constitutionnelle. Insister sur le fait que la légitimité de Monsieur Macron lui aurait été conférée par les Français dans leur majorité c’est une erreur voire une faute morale ; mais ce faisant c’est leur dire « vous m’avez voulu, je suis là et je fais ce que je veux ».
Monsieur Macron n’a rien dit de nouveau ce 10 décembre et ce discours ne devrait pas calmer la crise. En même temps personne ne peut s’empêcher de penser qu’à quelques jours de Noël le mouvement va cesser parce que les gens sont fatigués d’avoir manifesté, d’avoir eu peur ou lassés d’être empêchés de faire leurs achats si importants dans une société de consommation. Mais il est à craindre que le mouvement ne fasse que s’endormir comme anesthésié par un énième discours de promesses et d’entourloupes amplement soutenu par des médias télévisuels complices ou stupides.
Rendez-vous au printemps 2019 quand la douleur se réveillera.
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