Gilets jaunes : trois ans déjà
Billet rédigé en 2019
Mai 68 ouvrier, l’École libre avec son million de manifestants sous Mitterrand, les mobilisations lycéennes des années 90, la longue grève de 1995, les émeutes de 2005 dans les « banlieues » de nos métropoles, les Bonnets Rouges, Notre Dame des Landes…
Les modes de contestation et les modalités des luttes de type Gilets Jaunes (GJ), leur efficacité, leur réussite, ne semblent guère contestables depuis de nombreuses années.
Force est de reconnaître que cette « France Gilets Jaunes » - alliance inédite du prolétariat, des classes populaires, des retraités, des chômeurs, des petites classes moyennes (couche moyenne menacée par le déclassement et le tassement des niveaux de vie et des perspectives de promotion sociale) et de la petite bourgeoisie (commerçants et artisans), apporte aujourd’hui la confirmation maintenant irréfutable : la « Rue » dans son acceptation la plus large - mégapole, urbain, péri-urbain, campagne-urbaine et campagne profonde -, est bien le dernier lieu d’une expression à la fois citoyenne et populaire d’une radicalité qui seule permet de contrer des politiques qui hurlent à l’injustices.
La seconde nouveauté de ce mouvement, c’est le fait qu’il s’agit d’un mouvement aux revendications non catégorielles, non générationnelles, non idéologiques et non confessionnelles contrairement à tous les mouvements passés.
Autre nouveauté : le fait que la province soit la seule à se mobiliser dans un environnement de villages et de communes moyennes ; rien en Ile de France et très peu d’actions sur Lyon ou Marseille. Et c’est cette France-là qui montera sur Paris et qui pour la première fois depuis les années 30, viendra occuper la rive droite de la Capitale. Fini le quartier latin… place à l’avenue Foch et Kleber… Art de triomphe, la Concorde, plus tard Montmartre puis le boulevard Hausmann et les Grands Magasins. Une première !
A noter la place prépondérante qu'occupe les femmes dans la mobilisation ; des femmes du monde du travail, mères de familles seules ou bien accompagnées de leurs conjoints...
On saluera donc cette prise de conscience, l’importance de la mobilisation et la composition de cette mobilisation étendue à des pans de la société jusqu’ici résignés, silencieux.
On pourra toutefois déplorer l’absence des français issus de l’immigration alors que cette catégorie de Français est sur-représentée au sein des classes populaires : salaires, conditions de travail, conditions de vie : enclavement et stigmatisation.
Une analyse des raisons de cette absence est urgente ; et s’ils sont peu nombreux à s’y coller c’est sans doute pour la raison suivante : toute analyse pourrait tordre le bras du politiquement correct car force est de constater que ce refus de s’engager pourrait révéler un problème de légitimité citoyenne et sociale à l’origine de laquelle on trouvera tout un pan de notre société sur lequel les médias n’ont pas cessé de « taper », leurs éditorialistes en tête, avec une complaisance inouïe : auto_dépréciation ( Qui suis-je pour me révolter ?), dissuasion, intimidation… si le cœur n’y est pas c’est que le courage a sombré face à trente ans et plus de procès d’intention et d’instrumentalisation de tout un territoire et de toute une communauté dépréciée et culpabilisée sans vergogne. Faut dire que tous les attendent au tournant. Toutes les banderoles sont déjà prêtes et les Unes des médias aussi : « Daesch est dans les rues ! Aux armes citoyens de souche européenne ! Aux armes ! »
Quant à l’économie souterraine qui nourrit des milliers de familles et sans laquelle ces dernières seraient en grande difficulté, ses leaders, ses acteurs et ses petites mains seraient mal avisés d’attirer l’attention. Le silence est d’or, la discrétion et la loyauté aussi, et la parole interdite dans ces cercles.
Ces lieux dits quartiers, dits ban-lieues (lieux au ban de la société ?) sont aussi terriblement marqués socialement, éthiquement et religieusement ; il y règne un esprit de corps, un esprit communautaire qui fait que tous bougent ensemble ou bien personne (souvenons-nous des révoltes de 2005 !). D’autant plus que peu nombreux sont ceux qui souhaitent défendre ces territoires qui plombent les CV ; aussi, dès que la situation d’un de ses habitants le permet, celle-ci ou celui-ci n’a qu’un désir : en sortir - passer à l’Ouest, de Bobigny à Courbevoie ; de Bondy à Issy les Moulineaux !
Et que penser de l'absence de ces agriculteurs à 300 euros par mois qui n’ont sans doute même plus la force de se mobiliser et que la Confédération paysanne et la FN-SEA ont abandonnés à la faillite et au suicide ?
A noter aussi, l’absence des Intellectuels à quelques exceptions près (Todd, Onfray et Éric Hazan – ce dernier étant un spécialiste de l’insurrection, il est vrai). Si tout ce beau petit monde est resté muet c’est qu’ils ont compris très vite qu’il n’y avait aucune place pour eux, dans ce mouvement livré à lui-même certes, mais pas si désorganisé que ça. Aucune place, aucune porte d’entrée, aucun intermédiaire susceptible de les y faire entrer. Ce qui prouve, si besoin était, que nos intellos de service n’ont aucun contact avec ceux qui ne leur ressemblent pas : les Gilets Jaunes dans toute leur diversité.
La dite « dissidence 2.0 »… absente elle aussi ; une dissidence qui a trouvé refuge sur internet depuis plus de 10 ans maintenant : cette dissidence se contente de commenter les événements de loin, de très loin ; ce qui prouve le niveau de relégation des classes populaires ; quand elles bougent, personne n’est capable de faire le lien avec elles.
Partis politiques, syndicats, médias, les Intellos et autres universitaires (les sociologues entre autres) tous disqualifiés et impuissants à nouer un contact quel qu’il soit avec les Gilets Jaunes sinon en tant que professionnels spécialisés dans la scrutation de « bêtes sociales aussi curieuses que rares » à savoir : les sociologues.
Espérons que tous en tireront les conclusions qui s’imposent car c’est bien à côté de l’essentiel qu’ils passent tous même si leurs perspectives de carrière elle, demeurent aussi intactes que prometteuses ; une carrière d’universitaire autour des Gilets Jaunes ?
Et c’est alors que Facebook et Youtube deviennent les alliés très involontaire de la contestation d’un ordre économique et financier aussi crapuleux qu’immoralement égoïste et lâche.
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"Toute organisation avant la lutte se substitue à la lutte "
Mouvement insaisissable et irrécupérable, conséquent et cohérent, ingérable par la classe médiatique, politique et syndicale d’autant plus qu’aucune récupération n’est possible puisqu’aucun acteur d’une démocratie croupion, non- représentative, n’en a ni la légitimité ni la carrure ni l’autorité pour le faire - en effet, si les années passés avaient pu prouver qu’il en était autrement, jamais ce mouvement des Gilets Jaunes et ceux qui les ont précédés n’auraient vu le jour -, si le premier parti c’est l’abstention, en revanche, nombreux sont ceux qui, localement, sur le terrain, sont prêts à s’opposer ; ne pas ignorer non plus ces micro-luttes tout au long de l’année, impliquant certes peu de participants, très circonscrites qui ne bénéficient pas d’une couverture médiatique régionale ou nationale susceptible de mettre à jour une réalité ignorée, n’empêche, les habitants de nos territoires ne cessent de s’impliquer, de réagir, de se révolter face aux injustices et aux dis-fonctionnements : environnement, insécurité, fermetures d’entreprises, d’hôpitaux, d’écoles... et c’est bien là tout ce qui importe. Prendre la rue pour demander non pas un coup de pouce du SMIC de 2% revendiqué par des syndicats qui ont intériorisé depuis des lustres les appels incessants des gouvernements pour « une attitude responsable » de la part des partenaires sociaux face aux contraintes économiques… mais bien plutôt pour exiger des moyens qui permettent une vie décente... c’est faire la preuve qu’en dehors des partis et des syndicats d’une impuissance crasse et complaisante, il y a des solutions en terme de rapport de force d’une efficacité redoutable.
A propos de la popularité du mouvement, ne soyons pas dupes : cette popularité des GL repose sur le fait que tous les automobilistes ont besoin de mettre de l’essence dans leur véhicule ; que ce soit un 4x4 à 60 000 euros ou bien un modèle d’une valeur de quelques euros dont seules les casses autos se porteront acquéreurs. Les taxes ? Artisans, commerçants, chefs d’entreprise… là encore, tous s’accorderont à dire qu’elles sont rédhibitoires ; du cadre supérieur au retraité au minimum vieillesse.
Salaires, retraites, fiscalité… certes les sondages qui ont confirmé dès les premiers jours la popularité du mouvement ont suffi (pour un temps seulement), à mettre sur la touche toute tentative de discréditer les Gilets Jaunes. Pour autant, il serait bon que les Gilets jaunes comprennent très vite qu’ils devront ne compter que sur leur propre détermination car les couches moyennes ne tarderont pas à demander que les Gilets Jaunes rentrent à la maison maintenant que les hausses de l’énergie ont toutes étaient annulées (essence, gaz, électricité), d’autant plus qu’ils devront dès maintenant se préparer à faire face à une hostilité croissance des médias ainsi qu’au ralliement de toute la classe politique aux appels à l’ordre du gouvernement une fois que les sondages indiqueront une baisse irréversible du soutien et de la sympathie à l’endroit des GJ.
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Référendum d’Initiative Citoyenne ( RIC) : revenons un instant sur cette revendication d’une partie des Gilets Jaunes qui ont pour sujets la souveraineté, l’U.E, l’Otan, l’Euro... alors que les priorités ne devraient-elles pas concerner les conditions d’existence et les actions à mener pour arracher ce qu’il est nécessaire d’obtenir ?
« Macron démission ! » Encore une fois, est-ce vraiment une nécessité absolue ? En revanche, être capable de s’opposer et d’obtenir gain de cause en toute autonomie et en toute efficacité est une exigence et une urgence de chaque jour. Les mouvements autonomes (sans l’appui des partis, des médias de masse et des syndicats) de ces cinq dernières années ont prouvé qu’il n’était plus nécessaire de passer par les urnes : d’autant plus qu’en face, pour faire face, il n’y a plus personne excepté un service d’ordre avec des moyens et des savoir-faire reconnu par tous les régimes autoritaires de par le monde.
Faut-il rappeler qu’aucune force politique, aucune force économique, aucune force financière n’autorisera un RIC capable de remettre en cause leurs intérêts ; et les couches moyennes se moquent d’un RIC susceptible à tout moment de leur faire faire un saut dans l’inconnu.
Qu’il s’en défende ou non, Etienne Chouard, star d’internet, figure de proue du Référendum d'Initiative Citoyenne (RIC) depuis 12 ans, a bel et bien pour grille d’analyse aussi et surtout celle de son statut social : enseignant fonctionnaire à l’abri du chômage et de la précarité ; en d’autres termes : Chouard n’a besoin de rien d’un point de vue matériel ; c’est la raison pour laquelle il semble incapable de penser les moyens et de reconnaître leur prédominance ; d’où son acharnement à propos des fins : une société organisée autour du RIC.
Entouré de groupies, rarement confronté à des débats contradictoires, force est de constater qu’Etienne Chouard, au fil des ans, met en scène un discours de plus en plus incantatoire, symptôme d’une frustration grandissante. Et pourtant…. qu’il réfléchisse à propos des moyens et très vite il comprendra la nécessité de tempérer son enthousiasme et ses propos au sujet des fins – un RIC absolu et absolutiste -, une fois qu’il aura pris conscience de la nature utopique de son projet d’autant plus que le Référendum d’Initiative Citoyenne est dans tous les programmes des partis politiques depuis 10 ans ; soyons assurés qu’une fois encore, il sera vite oublié une fois les élections passées ou bien, il s’agira d’un RIC aux conditions de recours et d’exercice très restrictives : ceux qui l’accorderont seront ceux qui le contrôleront ; on peut parier que ce RIC au rabais, un RIC quignon de pain, ne concernera certainement pas les questions qui touchent aux conditions d’exercice du mandat d’élu ou non (maire, député, sénateur, conseiller, ministres, Premier ministre, Président) sans oublier les questions d’ordres économique et financier (la fiscalité en autre). De ce RIC-là (sans colonne vertébrale, sans remise en cause), les classes supérieures et une grande partie des couches moyennes s’en contenteront pensant avoir échappé au pire car aucune de ces classes ne prendra le moindre risque avec une sortie de l’Euro et de l’U.E.
Révocation du président, du gouvernement et de tous les élus locaux, nationaux et européens, abrogation des lois, veto sur un texte législatif, veto sur le vote du budget sur simple consultation référendaire…
Mais alors, utopie millénariste que ce RIC ? Utopie de Grand Soir, celui de la fin de l’injustice sociale, l’avènement du pouvoir du Peuple par le Peuple ?
Ce RIC-là ne sera jamais voté. Considérer l’éventualité de son succès c’est continuer d’entretenir de faux espoirs.
RIP ou RIC : le logos de la radicalité face à la jacasserie constitutionnelle et fétichiste comme la marchandise du même nom. RIC cul-de-sac ! RIC dont tous les médias se sont emparés car pour eux tous, cette revendication représente une diversion inespérée permettant à terme, de tuer dans l'oeuf la dynamique du mouvement des Gilets Jaunes sur le point de lâcher la proie de la mobilisation et de l'occupation pour l'ombre d'une avancée "constituante" aussi irréaliste que vaine.
Mais il y a une bonne nouvelle : l'action des Gilets Jaunes permet toutefois de sortir d’une vision utopique de la politique (on sort du somnambulisme et on entre en action) cultivée par des acteurs pour lesquels rien ne presse ; une utopie de nantis, utopie complaisante et candide face à des résistances d’une force et d’une détermination sans faille - celle de tout un personnel politique qui ne lâchera rien et certainement pas des plans de carrière tout tracés.
Autre bonne nouvelle : paradoxalement, le mouvement des Gilets Jaunes et tous les mouvements qui l’ont précédé (Bonnets rouges, Notre dame des Landes) ont prouvé que l’on devait, que l’on pouvait enfin se passer du soutien des élus, des médias et des syndicats pour arracher ce qui doit être obtenu, car RIC ou pas, comme expliqué précédemment, seule importe une mobilisation locale et/ou nationale, en fonction des situations et des injustices à combattre ; injustices ou dis-fonctionnements préjudiciables à la qualité de vie et à la notion d’égalité des droits.
Car enfin… à l’heure de la mondialisation, qu’est-ce qu’il est raisonnable d’espérer ? La réponse : rien dans et par les urnes mais tout sur le terrain. Aussi, laissons le personnel politique d'une pseudo-représentation en forme de théâtre d’ombres là où il n’est pas et là où il ne sera jamais ! Un personnel qui représente moins de 25% de l’électorat et dont tous les membres sont élus par défaut ou bien à la majorité d’une minorité de votes exprimés ; la véritable majorité étant l’abstention.
En revanche, tout est possible ou presque, dans l’action en temps réel : ce que confirme les actions du mouvement des Gilets Jaunes et de tous ceux qui les ont précédés durant ces 30 dernières années.
ll faut donc tendre vers l’identification et la résolution des problèmes à un échelon local même s'il faut affronter des décisions qui ont été prises hors de ce périmètre. N’est-ce pas ce qu’ont compris les Bonnets rouges de la région Bretagne, le mouvement Notre des Landes, projet porté par un premier ministre à Paris ?
Si les super-structures (la commission européenne) et les hyper-structures (marchés financiers, banques, institutions internationales et acteurs du projet mondialiste) sont hors d’atteinte, en revanche, leurs politiques ont des répercutions locales, fatalement ; et c’est à cette échelle-là qu’il faut les combattre en prenant pour cible la représentation politique et tout l’appareil d’Etat : maires, conseillers, président de département, de région, préfecture (les agriculteurs savent faire ça !), direction départementale de l’équipement.... conseil général, conseil régional....
Car, si l’on n’échappera pas au mondialisme, en revanche on peut agir localement et nationalement contre les décisions d'une classe politique dont la carrière (et celle des médiacrates) dépend de la bonne marche des affaires générées par ce mondialisme.
Les Gilets jaunes, les Bonnets rouges, les activistes de Notre dame des Landes ont apporté la preuve que le lieu de l'expression d’un rapport de force en faveur de la justice sociale, de l’égalité des chances, de l'écologie et d'une vie décente n'est plus à l'Assemblée, et le pouvoir (pouvoir de décider et non le « devoir d’obéir ») ni à Matignon ni à l’Elysée. Et c’est la meilleure des nouvelles, une grande nouvelle : aussi, en ces temps de fêtes et d’allégresse… faisons résonner un Alléluia franc et massif !
Reste à espérer que les Gilets Jaunes dans leur ensemble sauront évaluer à sa juste valeur mais sans complaisance ni relâchement l’importance de cette révélation car, ce qui ne doit pas pour autant être remis en cause ce sont la nécessité et l'exigence suivantes : que les Gilets jaunes n’oublient surtout pas leur colère à toutes les élections qui vont se succéder : que ceux qui n'ont jamais voté, votent ! Que ceux qui ne votaient plus, reviennent vers les urnes ! Car, seule la peur chez les élus LREM les forcera à faire pression sur Matignon et l'Elysée : peur de la sanction électorale, des centaines de mandats en danger... locaux, nationaux et européens …
Il faut donc voter à toutes les élections et sanctionner LREM !
Précisons ceci au passage : tous les partis sont permis car qui veut les fins veut les moyens !
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