Gilets jaunes : vers une démocratie réelle ?
Les gilets jaunes pourront-ils rendre au peuple son pouvoir souverain et nous libérer ainsi de l’esclavage de la dette ?

Le mouvement des gilets jaunes est le signe clair de l’impuissance politique des citoyens. Ceux qui descendent dans la rue afin de paralyser l’économie et obtenir ainsi l’attention du pouvoir ont le sentiment que, non seulement ce dernier ne les écoute pas mais que, plus grave, il n’est pas au service des citoyens. Car il est de plus en plus évident que le système politique dans lequel nous vivons et que nous appelons démocratie ne réalise pas du tout un gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple mais bien plutôt une ploutocratie, c’est-à-dire, un gouvernement du peuple par les « très riches » pour les « très riches ».
De fait, dès l’origine, dès la Révolution Française, ce système a été conçu dans le but de NE PAS DONNER LE POUVOIR AU PEUPLE et de le réserver, comme toujours, à une élite, les « élus ». Nous nous trouvons ainsi en « aristocratie élective », une forme de tyrannie douce réalisée sous hypnose : nous croyons être en démocratie alors que nous ne faisons que choisir nos maîtres tous les cinq ans et nous leur donnons tout pouvoir de décider à notre place durant ce laps de temps. Cela n’est pas de la démocratie et c’est pourquoi nous n’avons pas à être surpris qu’un mouvement comme les gilets jaunes ait soudainement surgi avec un large soutien populaire.
Même si certains sont inquiets, à bon droit, en raison de l’impact sur la vie quotidienne et la souffrance des plus faibles que les blocages amènent fatalement, nous pouvons nous réjouir de son avènement car, avec la délégitimation de la classe politique qu’il réalise par le simple fait d’exister, ce mouvement aux accents révolutionnaires nous offre enfin la possibilité de repenser la chose politique de fond en comble et d’accomplir ce que la Révolution Française a laissé inachevé, à savoir, un système politique qui soit une démocratie réelle et non pas simplement une fiction pour les crédules que nous sommes.
La différence entre démocratie réelle et son double fictif est très simple à comprendre : en démocratie, IL N’Y A PAS DE REPRESENTANTS, point barre. C’est le peuple lui-même qui vote les lois en assemblée. Autrement dit, du point de vue d’une démocratie authentique, tous nos « représentants » actuels sont des usurpateurs ou des imposteurs. Ils disposent d’un pouvoir dont ils ne devraient pas être dépositaires. C’est pourquoi on doit saluer le bel instinct des gilets jaunes qui, d’emblée, se sont inscrits en opposition à ce système et se sont appliqués à le tenir à distance afin d’éviter toute récupération.
C’est pourquoi, après la première bataille qu’ils ont livrée et emportée haut la main, il me semble que les gilets jaunes sont en position idéale pour aller au bout de cette orientation initiale et transformer l’essai en accomplissant la révolution politique dont nous avons tous le plus grand besoin, à savoir, la mise à bas de l’aristocratie élective qui a proprement vendu le peuple aux banques et a, de fait, autorisé sa mise en esclavage par la dette souveraine au nom de laquelle nous sommes à présent étranglés par les taxes.
Car si la France, nous dit-on, est en faillite et n’a pas eu de budget à l’équilibre depuis 1974 c’est que le 3 janvier 1973 elle a voté, en douce, une loi lui interdisant de créer sa propre monnaie afin de laisser ce pouvoir intégralement aux banques privées qui, depuis, ne se gênent pas pour créer des trilliards d’euros par des simples jeux d’écriture et nous font ensuite payer de monstrueux intérêts dessus, puis des intérêts sur les intérêts etc., de sorte qu’avec plus de quarante milliards d’euros le budget de la dette talonne celui de l’éducation, premier budget de l’Etat. Etonnez-vous après de crouler sous les taxes. Nous, le peuple, avions une poule aux œufs d’or, la monnaie souveraine, et nos hommes politiques l’ont purement et simplement donnée aux banques. Si ce n’est pas de la haute trahison, c’est quoi ?
Quoi qu’il en soit, nous payons actuellement les conséquences de ce crime. Nous ne pourrons abolir cette situation d’esclavage par la dette souveraine, aussi odieuse qu’illégitime, qu’à la condition de reprendre intégralement le pouvoir politique qui est le nôtre, c’est-à-dire, en abolissant le système de la représentation parlementaire qui, par construction, garantit la soumission des « élus » aux puissances d’argent.
La question est alors de savoir comment réaliser cela sans effusion de sang et sans retomber dans l’ornière des partis politiques en tant que pouponnières à représentants du peuple, hommes providentiels et autres marionnettes politiciennes.
Une solution existe que nous connaissons tous et que les Suisses pratiquent abondamment : le référendum d’initiative citoyenne effectué après un débat national. Etienne Chouard en défend le principe depuis longtemps. Ce système présente toutefois diverses limites, en particulier lorsque, outre les politiciens, les médias se trouvent aux mains des puissances d’argent. Malgré tout, on l’a vu en 2005 avec le référendum sur la constitution européenne, grâce à Internet et grâce aux médias qui laissent une certaine liberté d’expression populaire, il est encore parfaitement possible d’instaurer une forme de débat contradictoire et de permettre ainsi des décisions populaires authentiquement démocratiques. Cette perspective est d’ailleurs d’autant plus prometteuse que les technologies de vote par internet permettent d’envisager une forme hybride compatible avec le système représentatif actuel.
Il s’agirait d’instaurer une forme de députation qui ne fasse pas appel à des « représentants ». Cela est réalisable à n’importe quelle échelle d’organisation (ville, département, région, nation, union européenne) en organisant des assemblées citoyennes en ligne qui, circonscription par circonscription, feraient chacune connaître leurs décisions à un « député » au sens véritable du terme, c’est-à-dire, une personne dénuée de pouvoir et seulement chargée d’une mission, en l’occurrence celle consistant à faire valoir auprès de l’assemblée correspondante la décision prise par le collectif citoyen. Ce député ne serait absolument pas un « représentant », juste un émissaire, un mandataire (avec mandat impératif [1]), un missionné ou un porte-parole ayant seulement devoir de porter, en toute transparence, la parole ou la décision du collectif citoyen. Une telle personne, n’ayant pas besoin de compétences particulières, pourrait être tirée au sort parmi les membres de l’assemblée citoyenne. C’est ainsi le hasard qui désignera le député, pas le pouvoir médiatique de l’argent. Exit donc la bande des politicards aux ordres des lobbies de tous poils.
Ce système est déjà, au moins partiellement, réalisé dans certaines villes de France (Saillans, Kingersheim, Grenoble), d’Espagne (Barcelone, Marinaleda) mais aussi d’Argentine (Buenos Aires). Par ailleurs une intense réflexion est actuellement menée dans de nombreux pays. A la Réunion nous avons l’association Demorun qui a mis en avant le tirage au sort afin de renouveler une caste politicienne passablement rassie mais qui, malheureusement, est restée dans le système de la représentation. A ma connaissance, la seule association qui défende les principes de la démocratie réelle et qui soit actuellement en discussion avec les gilets jaunes se trouve en région parisienne. Elle s’appelle Decidemos et peut être contactée sur Facebook ou sur son site.
Quelle que soit la manière dont la démocratie réelle pourra être instaurée concrètement, elle me paraît la finalité naturelle de la dynamique populaire initiée par les gilets jaunes. Il faut y insister, la victoire contre la misère de l’esclavage de la dette — source première de la violence fiscale — passe par une restauration complète de la souveraineté populaire, donc par la mise à bas de l’aristocratie politicienne.
Le ras-le-bol populaire est tel que le mouvement des gilets jaunes a la capacité d’accomplir cette révolution, à condition toutefois de se donner les moyens politiques de ses ambitions. Car il est très clair que dans tous les cas, qu’il persiste ou non à ne pas vouloir s’occuper de politique, la politique, elle, s’occupera de lui. Comme à l’accoutumée, le poisson révolutionnaire, quelle que soit la taille qu’il atteindra, se retrouvera vite noyé sous une avalanche de mesurettes destinées à « tout changer pour que tout demeure ». Bref, le seul moyen qu’ont les gilets jaunes de renverser ce système politique corrompu, c’est de le battre à la régulière sur son propre terrain. Ce que, faute d’entrer en politique, les Occupy Wall Street, les Indignés ou les Nuits Debout n’ont pas su faire et que les Podemos en Espagne et les Cinq Etoiles en Italie ont, au moins partiellement réussi — car ils sont arrivés au pouvoir mais sans changer le système.
Il me semble que plutôt que de repartir promptement dans des actions de blocages dont la signification serait moins évidente et qui seraient donc moins bien comprises par la population, les gilets jaunes gagneraient à respecter la trêve des confiseurs afin de réfléchir collectivement et démocratiquement à la meilleure manière de se servir des prochaines élections européennes comme d’un tremplin. Ils ont vraiment le potentiel pour mettre en déroute les partis politiques traditionnels. S’ils continuent de se tenir à distance du système des « représentants » et qu’ils font le choix de la démocratie réelle, ils pourront rendre au peuple son pouvoir souverain, celui qui permet de répudier la dette odieuse qui nous oppresse de manière criminelle. L’abolition de l’esclavage de la dette sera alors sur l’horizon. Prendrons-nous cette direction ? Je l’espère de tout cœur.
[1] Il est nécessaire de souligner cela car l’article 27 de la Constitution interdit le principe du « mandat impératif » pour les élus. Il n’y a pas de souveraineté populaire permise (seulement une souveraineté nationale à base de mandat représentatif) et, en attendant de pouvoir changer la Constitution, il faudra trouver comment contourner cela dans la légalité.
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