Glières, haut lieu de fraternité
Les 18 et 19 mai 2013, des résistants d'hier et d'aujourd'hui se retrouvaient au plateau des Glières pour faire vivre des valeurs fondatrices et nécessaires. Il y a là un projet et une force qui en ressort, et surtout peut-être le républicain s'y sent bien.
On prend de la force auprès de ceux qui en ont et qui ont envie de nous en donner. C’est ça que des millions de jeunes ont ressenti en écoutant Stéphane Hessel à partir de 2008 et c’est ça qu’on ressent à tout instant, tous les ans au mois de mai, au plateau des Glières et à Thorens.
Sens des responsabilités se conjugue avec générosité et engagement bénévole
Cette année, ça a été particulièrement vrai. Dès l’arrivée, le vendredi soir quand on débarque en covoiturage, c’est l’accueil par les bénévoles. Ils se donnent depuis des mois pour la réussite de l’évènement et vous reçoivent sourire aux lèvres et bras grands ouverts comme un renfort réconfortant. Alors, on vide les sacs, vins, fromages, saucissons, il y en a d’Alsace, de Corse, du Languedoc... Tout de suite, le courant passe ou repasse suivant qu’on s’est déjà vu ou pas, et on se raconte, c’est vrai que même à des kilomètres les uns des autres, on est bien de la même aventure. Samedi matin à 10 h au cinéma du village en plein cœur du bourg, c’était l’avant-première du dernier film de Gilles Perret « Les jours heureux ». La salle était pleine à craquer et beaucoup arrivés trop tard sont restés dehors. Nombreuses têtes grises, quelques jeunes aussi comme à côté de moi, Magali 17 ans, accompagnée de sa grand-mère. Transmission, cœur du sujet ici peut-être bien ! Nous sommes entrés gratuitement, juste à la fin de chaque évènement (film, pièce de théâtre, débat, concerts…), il y a un bénévole avec une boite en carton dans laquelle on est invité à mettre pièce ou billet. Sens des responsabilités se conjugue avec générosité et engagement bénévole, pas trop de soucis d’équilibre financier ici.
Un chef-d’œuvre dans la mémoire de la résistance
Le film qui raconte l’histoire du Conseil National de la Résistance est une superbe leçon d’histoire en même temps qu’un document très émouvant. Il sortira en salle le 13 novembre. Jean Moulin, en lien avec le général de Gaulle à Londres, a organisé, avec mille précautions, la première réunion du CNR, le 27 mai 1943 en plein cœur de Paris au 48 rue du Four entre la rue de Rennes et le boulevard Saint-Germain. C’est en ce moment même le 70e anniversaire de ce moment historique pour la France. Gilles Perret racontera, lors du débat, qu’au début de sa quête pour trouver le financement du film, toutes les portes se sont fermées. On lui disait : « …trop politique, trop sérieux, et puis… des vieux… », c’est finalement par souscription que les fonds nécessaires ont été réunis. Léon Landini, ancien résistant et personnage du film, présent lors de la projection, nous a raconté sa guerre de « terroriste » dans les rues de Lyon. Il dira à propos du film : « c’est un chef-d’œuvre qui a sa place dans la mémoire de la résistance ». Raymond Aubrac, Carmagnole, FTP-MOI… les évocations sont nombreuses et nous parlent, nous sentons dans l’émotion qui accompagne les mots, combien ces hommes et ces femmes en lutte connaissaient une fraternité exceptionnelle entre eux. Là se trouve le cœur de notre émotion, plusieurs pendant le film ont senti les larmes monter, en sortant, on se l’ait dit. On s’est rappelé aussi qu’à la fin on rit quand nos politiques du moment parlent de ce moment de l’histoire. À pleurer de rire, on pourrait dire. Un projet commun pour la France, un engagement collectif, une vision et une légitimité jamais contestée, c’est ça le CNR. Léon dira : « Ce programme n’a pas été écrit avec de l’encre, mais avec du sang », celui des Français, le nôtre, c’est pour ça peut-être qu’on se sent si concerné.
Débat participatif
Puis l’après-midi, les visiteurs venant de partout ont afflué et le forum a démarré, nous étions bien 1500. Il y avait de quoi faire pour les participants : stands d’associations en lutte, conférences, films, débat participatif, bar... Avec les amis du Réseau Citoyens Résistants, nous avons opté pour le débat participatif. Dans le chapiteau 2 nous étions sur les sujets qui ne figurent pas dans le programme du CNR. Ce sont 7 témoignages de 5 minutes, chacun suivi d’un jeu de questions réponses de 10 à 15 minutes avec la salle. Ils ont permis des échanges très riches, entre 70 personnes pendant 2h30. Dans bien des cerveaux, des idées ont germé, dans bien des cœurs, des volontés d’y aller encore plus fort dans la lutte se sont révélées et bien des témoins se sont sentis honorés de pouvoir parler et être ainsi attentivement écoutés dans un lieu si chargé d’histoire où tant de très grands hommes sont passés. Réseau éducation sans frontière (74), les amis du Zeybus d’Eybens (38), Osez le féminisme (69), Renaître PJ2R pour une justice résiliente et réconciliante, Collectif Citoyen pour la défense du vivant et de l'impératif écologique, Collectif « Non au gaz de schiste (73, 74 et 01), Collectif citoyen Résistants (Jura), des lieux et des sujets très différents mais les valeurs, l’engagement, la détermination et l’envie de partager en commun… tout ça fera son chemin. Pour finir la séquence, 7 petits groupes se sont constitués autour des intervenant(e)s et là beaucoup de choses se sont dites et beaucoup d’adresses se sont échangées. C’est épatant comme elle est bien acceptée la règle des 5 minutes, tous les orateurs avaient le souci de ne pas mordre sur le temps des autres. Nous avons créé du lien, objectif réalisé, un compte-rendu sera vite mis en ligne.
Quelle journée !
En fin d’après-midi, c’était le « Forum ouvert de François Ruffin » sur le thème « un CNR aujourd’hui ». C’est alerte et décontracté sans langue de bois. Des dizaines de personnes viennent dire quelques mots. Charles Piaget dira : « ça a toujours été difficile de lutter, les lois, ça ne suffira jamais », Hervé Kempf nous apprendra qu’il a été censuré au Monde sur Notre Dame des Landes, Christiane Hessel (femme de Stéphane) nous dira : « Stéphane est parmi nous » et elle nous invite à : « nous tourner vers l’avenir pour que l’esprit du CNR continue de se développer ». Des syndicalistes, des vieux résistants, des leaders associatifs, pas trop de politiques, tout est bien dosé, l’ennui n’a pas sa place. Le temps passe vite, en soirée c’est encore une conférence ou alors concert ou théâtre. La pièce proposée « Malgré la peur », par la compagnie Traction avant, était bonne… quelle journée !
« Ni banderoles, ni badges, ni slogans »
Pour le dimanche 19 mai 2013, la météo n’était pas bonne du tout, et certainement beaucoup ont reculé, mais nous devions bien être un millier ou un peu plus rassemblés, parfois sous la pluie, parfois sous la neige. La ferveur était là. Il ne faut pas oublier qu’il y a un mot d’ordre très important qui s’applique lors du moment « paroles de résistance » sur le plateau le dimanche matin, moment tout emprunt de respect et même de solennité et que c’est devenu une règle du jeu inscrite dans la charte du Réseau Citoyen Résistants : « ni banderoles, ni badges, ni slogans ». Ces quelques mots font un effet magique peu importe l’association, le syndicat, le parti, la firme, la chapelle… ici pas d’esprit de boutique quelque chose de plus fort nous transcende, comme quelque chose de plus fort transcendait ceux de la rue du Four du 27 mai 1943, c’est l’idée que tout doit être conduit pour que soit possible le « faire ensemble » comme lors de tous les grands malheurs et tous les grands bonheurs, inondation catastrophique ou victoire de l’équipe nationale à la coupe du monde, on s’entraide, on s’embrasse quelque soient les appartenances.
C’est la fraternité
Cette aventure de laquelle nous sommes, tous si différents dans nos lieux d’habitation et nos luttes, c’est celle qui consiste à tâcher de comprendre toujours mieux ce qui se passe dans ce monde et à agir sans attendre pour, comme disait le poète « …enfin tenter de rendre le monde habitable ». Que se passe-t-il entre nous qui rêvons d’un monde meilleur et ces vieux messieurs, Légion d’honneur à la boutonnière, qui, infatigables, de collèges en lycées et de lycées en salle de ciné, toute l’année s’en vont témoigner et passer quelque chose à la jeunesse ? Passer l’essentiel, c’est une évidence. Ce qu’ils passent, et qui ne doit pas mourir, jamais, c’est le sentiment d’humanité et ce qui est là entre nous quand ils parlent, c’est simple et un peu plus palpable qu’à l’accoutumer, c’est la fraternité. Souvent, ils disent qu’ils le font au nom de leurs camarades tombés à côté d’eux, car toujours la mort est là, quand on parle, la perte de ceux et celles dont on était si proche et dont on partage l’engagement. Tant de choses qui vont mal dans ce monde de déséquilibres et d’injustices, mais l’an prochain, en mai à Thorens-les-Glières, la fraternité sera là, elle nous fera du bien, on y sera.
À suivre
RG
5 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON