Gloire à Patrick Cohen, periodista máximo !
Fidèle auditeur de France Inter, je suis de plus en plus excédé par la condescendance, voire le mépris avec lequel Patrick Cohen, le journaliste vedette du « 7-9 » de cette belle radio, traite ses invités… Enfin, certains de ses invités. Voici une modeste réflexion sur le métier de journaliste.

Écoutez bien le bouffon
Si vous écoutez France Inter vers 7 heures moins 5, vous tomberez sur la chronique humoristico-délirante de Daniel Morin. Après son petit topo hilarant assorti d’un montage musical d’une extraordinaire précision, il se fend toujours d’un éloge on ne peut plus grandiloquent, servile et pompeux à la gloire du grand journaliste qui s’apprête à illuminer de son incomparable talent la tranche matinale d’info de 7 heures à 9 heures : Patrick Cohen, qu’il pare de titres si obséquieux que feu le Leader de la Grande Jamahiriya Arabe Lybienne Populaire et Démocratique ne les eût pas reniés ; notre ami Morin pourrait même les proposer à Radio Pyongyang pour les dévotions que ses fonctionnaires sont tenus de décerner quotidiennement à Kim Jong-un.
On le sait, les bouffons ont pour rôle de faire passer, sous le masque du grotesque, des vérités profondes. Il suffit de réécouter la chronique d’un prédécesseur de Daniel Morin, Stéphane Guillon. J’ai encore en mémoire sa chronique du 17 février 2009 (elle lui valut d’être viré), juste avant la visite de DSK dans les studios de France Inter. J’avais trouvé qu’il poussait le bouchon un peu loin. Or, des témoignages postérieurs (si j’ose dire) ont prouvé que ses « toutes aux abris » n’avaient rien de surfait, aussi incroyable que ça paraisse.(1) Donc, faisons attention aux comiques : ils sont souvent de véritables journalistes. De ce point de vue, Daniel Morin a bien repéré une vérité profonde sur « Patrique Coheeeeeeeenn » !
4 vanités
Certes, l’homme est doué. Il potasse ses dossiers, il semble cultivé, il a de la répartie, il ne lâche pas tant qu’il n’a pas obtenu une réponse franche à ses questions. Jusque là, tout va bien. C’est ensuite que ça se gâte.
Premier écueil : le soutirage de la « petite phrase », du style : « Donc, vous serez candidat à la présidentielle ? » ; « donc, sur ce point, vous avez la même position que Marine Le Pen ? ». Donc ceci, donc cela, avec insistance et même acharnement –ça ne marche pas toujours, heureusement.
Deuxième écueil : contrer une affirmation de l’invité/e même quand celui/celle-ci dément avec de solides arguments à l’appui. Mais le jour où quelqu’un d’aussi cultivé que François Bayrou a engagé un pari contre Patrick Cohen sur je ne sais plus quel sujet, le pari a été tenu… et gagné par Bayrou. Cohen avait fait amende honorable, mais il n’est pas devenu plus prudent ni moins fat pour autant. Il oublie qu’il n’y a pas de honte à ne pas être expert en tout. Dans mon entourage, je connais une personne qui a ainsi l’art d’étaler sa culture et d’impressionner son auditoire y compris moi-même. Mais il y a longtemps que je ne me laisse plus hypnotiser. À deux reprises, elle avait soutenu des informations clairement fausses au sujet de deux hommes sur qui j’ai une relative expertise, Albert Camus et Jacques Ellul. J’avais été amené à lui rendre la monnaie de sa pièce par rapport à l’humiliation qu’elle m’avait fait subir publiquement en démontrant, preuves à l’appui, à ceux qui avaient assisté à notre débat, qu’elle avait énoncé et, pire, soutenu mordicus, une affirmation fausse. Il faut toujours se garder une marge d’incertitude ou bien être absolument certain de pouvoir démontrer ce qu’on soutient. Sans quoi on devient ridicule.
Troisième écueil, corollaire du précédent : afficher de la condescendance ou du mépris pour l’invité/e. Cohen est coutumier du fait, actuellement contre les « petits candidats » à la Présidentielle. Parfois, il tombe sur un os, car même si on ne pèse que 1% dans les sondages, on n’est pas forcément un idiot ou une idiote. Cela dit, en matière de mépris, Yann Moix est le champion toutes catégories. Le mépris et l’exaspération qu’il a pour l’invité/ du jour suintent de son regard avant même qu’il n’engage la conversation.
Quatrième écueil, corollaire du précédent : couper la parole, ou faire obstruction. Cohen excelle dans le genre et, à cet égard, il est fortement concurrencé par Léa Salamé (qui devient de moins en moins sympathique à mesure qu’elle prend la grosse tête) et par Alexandra Bensaïd, étoile montante qualifiée par Le Monde de « journaliste pugnace ». Pugnace, c’est effectivement une qualité, sauf quand on pose une question et qu’on coupe aussitôt l’interrogé/e au bout d’une demi-phrase (j’ai bien dit), et cela avec récidives multiples dans une même interview.
Savoir s’effacer
Il se trouve que je suis journaliste moi aussi. Je ne suis sans doute pas très pugnace. Je n’ai aucun sens de la répartie. Je n’ai pas une culture me permettant de contrer du tac au tac toute affirmation qui me semble fausse ou contestable. Il m’est arrivé d’interviewer des politiques, de les « pousser » un peu, mais jamais au point d’engager une joute oratoire avec eux (peut-être parce que je n’ai pas un grand média derrière moi). Je n’ai ni l’envie ni le courage d’aller interviewer des gens que je déteste, d’aller me friter avec des corrompu/e/s notoires. Donc, sur tous ces aspects, je suis prêt à saluer la pugnacité et le courage des susnommés. Il y a longtemps que je n’ai plus écouté Yves Calvi mais, à l’époque où je le regardais sur la 5, j’étais épaté par son côté à la fois policé et tenace. Cet équilibre me semble excellent. Dans ce métier, on peut être poli et « teigneux ».
En revanche, ce que je conteste, c’est le vedettariat journalistique. Si on veut se mettre soi-même en valeur, c’est exactement le métier qu’il ne faut pas faire. En effet, le rôle du journaliste –je parle de l’intervieweur, pas de l’éditorialiste, qui a une autre fonction–, c’est de donner la parole à son invité, de mettre son propos en valeur au sens où il le rend visible ; de s’effacer derrière celui ou celle sur qui l’attention des auditeurs doit se concentrer. Il faudrait appliquer à l’intervieweur la maxime de Jean-Baptiste par rapport au Christ : « Il faut qu’il croisse et que je diminue. »
L’arrogance journalistique est insupportable. Entre le « cirage de pompes » des uns et la muflerie des autres –qui sont souvent les mêmes : ça dépend si leurs invités sont dans le sens du vent–, il y a une voie honorable qui consiste à ne pas lâcher le morceau mais sans chercher à dénigrer l’invité/e. Ou alors, si les propos recueillis sont graves, il faut être sûr de son coup, rester extrêmement factuel, éventuellement exprimer une révolte plutôt qu’un mépris. De toutes façons, cela doit rester exceptionnel.
« Nous avons les moyens de vous faire parler » : tel est le mot d’ordre du journaliste. De vous faire parler. Pas de parler à votre place.
La vidéo est encore accessible sur le site de France Inter https://www.qwant.com/?q=st%C3%A9phane%20guillon%20strauss-kahn&t=videos&o=0:da7ac3f266d7e4730830dc569bef6430 , et le texte figure p.215-217 de « On m’a demande de vous calmer », Stock – France Inter, 2009.
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