« Gouverner, c’est… manipuler »
On attribue à Thiers la maxime « gouverner, c’est prévoir ». Si cet ancien chef du pouvoir exécutif se trouvait aujourd’hui exercer les fonctions de président de la République, il modifierait probablement la formule en : « gouverner, c’est manipuler ».
Parce qu’il n’y a plus rien à prévoir.
Ce qu’il est prévu d’installer et de faire, est déjà inscrit dans le texte de divers traités.
Ce qui fait que la seule chose à laquelle les gouvernants doivent penser, c’est aux réactions des citoyens à chaque étape de la mise en application de la programmation. Pour les neutraliser lorsque la mise en place de la nouvelle société inscrite en filigrane dans les traités nécessite ou engendre la dégradation de la situation de larges couches de la population. Et ce, nécessairement avec un certain cynisme (1)
Quant aux techniques de manipulation, elles ont fait l’objet de grands progrès. Et la profession de manipulateur s’est considérablement développée (cabinets de « relations publiques », de « conseil en … »). Si bien que les sommes consacrées à la manipulation ( qui porte un nom évidemment plus « présentable ») des candidats, des élus et des membres de l’exécutif sont inscrites dans un poste officiel des budgets et atteignent des montants considérables.
On comprend alors le sens et l’objet des discours et argumentaires tenus quotidiennement par les personnes qui se trouvent aux commandes (2) .
Qui d’un côté sont obligés de tailler en pièces le droit du travail, et qui d’un autre coté doivent faire croire que ce qu’il font vise à garantir les acquis inscrits dans les lois … qu’ils abrogent. Qui d’un côté doivent permettre que les gros jouent un mauvais tour aux petits, et qui doivent convaincre les victimes qu’elles s’en sortiront, ou qu’en tous cas qu’il est souhaitable qu’elles s’en sortent. Qui d’un côté laissent se dégrader les services publics et qui, de l’autre, font espérer que le salut viendra le jour où des entreprises privées factureront (plus cher) les prestations aux usagers devenus clients. Qui, d’un côté, ne contrarient pas les intérêts de grosses sociétés qui vendent des produits nocifs, et qui d’un autre, doivent faire patienter ceux qui sont exposés aux désastres que vont leur causer lesdites substances ou les convaincre qu’on manque d’études pour pouvoir incriminer quoi que ce soit et a fortiori qui que ce soit. Qui d’un côté facilitent la vente d’entreprises françaises-clés à l’étranger, et qui de l’autre prédisent que cela pourra être utile demain au pays ou aujourd’hui aux employés. Qui d’un côté constatent que les mesures qu’ils prennent ont un effet pervers, et qui doivent faire accroire qu’en les maintenant, les mêmes mesures produiront des effets positifs. Etc… Etc …
Le succès des argumentaires, nécessairement spécieux pour bon nombre d’entre eux, ne peut être obtenu que par l’administration quotidienne de médications appropriées.
Ce sont alors les médias qui interviennent. (3)
Que les médias puissent ensemencer les cerveaux est une réalité connue dont on arrivait (et voulait) jadis à tirer les conséquences. Par exemple, le général de Gaulle, qui savait que la presse écrite jouait contre lui, avait fait en sorte que les informations diffusées par la radio et par la télévision soient maîtrisées par son ministre de l’information. On essayait de protéger les citoyens contre la manipulation, par diverses lois sur la presse ou sur le statut des journalistes, etc… Aujourd’hui, l’essentiel de la presse écrite et télévisée va dans le même sens … Celui qui intéresse ceux de ses propriétaires et de ses dirigeants qui se trouvent dans le même camp et jouent pour ce dernier (4). Ce qui explique probablement qu’il devient difficile ( ou risqué) à ceux qui rament en sens contraire, de s’en plaindre (5) lorsqu’ils sont victimes d’une forme de militantisme (hostile) des journalistes de l’ordinaire.
Les recettes utilisées sont si grossières qu’il n’y a pas besoin d’être un chercheur spécialiste de la question, pour pouvoir en recenser au moins quelques unes (6).
a) Les politiques qui prônent la rupture sont empêchés (non information) de prendre leur envol - ex. M. Asselineau - . Ceux qui ont réussi à rassembler autour d’eux un fort pourcentage d’électeurs, font l‘objet de la diffusion de nouvelles, calibrées pour organiser leur dégringolade à des moments opportuns - ex. Mme Le Pen, M. Mélenchon - (7) b) Les propos du président de la République (et ceux des membres du gouvernement) sont simplement reproduits dans la forme adoptée par ces derniers. Et font pour l’essentiel, l ‘objet d‘une paraphrase sans recul de la part des « journalistes ». Des invités délayent ensuite sur le même mode, et transforment par leurs échanges ritualisés, la politique en spectacle. Le tout permettant de faire penser que ce les gouvernants disent est « vrai » ou est « évident » et que ce qu’ils annoncent est « nécessaire ». c) Tandis que la présentation des « adversaires » et de leurs propos ou activités porte un message subliminal de méfiance ou de rejet : « Selon » tel opposant … ; « selon » untel et autres … « souverainistes », « populistes » « gens dangereux de tel bord ». Comme dans le domaine des affaires étrangères : le « dictateur » Untel (au lieu du « président de tel pays ») ; les troupes « fidèles au dictateur » … ( au lieu de « l’armée nationale … ») ( 8). d) Quand les adversaires du système (oligarchique / ploutocratique) sont invités sur des plateaux de télévision, ils jouissent d’un traitement particulier : - parole coupée, - démonétisation de la personne , - recherche des contradictions, - mise en porte à faux, - propos déformés avec effet boomerang (9). Avec comme résultat immédiat que leur message sur le fond est inaudible. Et avec, comme prolongement, des débats organisés hors de la présence de l’intéressé, sur tout sauf sur le fond : le politique était agressif, s’est mal défendu, n’a pas répondu aux questions, … Etc…
Certes, la manipulation est à la base de beaucoup de relations humaines. La séduction est d’ailleurs, à sa manière, une forme de manipulation. Les peuples ont toujours été manipulés lorsqu’il a fallu leur faire accepter de porter les armes, de quitter leur famille, et de mourir.
Mais il semble que la manipulation si elle est correctement faite et si elle est permanente, comme c’est devenu le cas, va bien au delà des discours et des manœuvres qui cherchaient traditionnellement à convaincre ponctuellement.
Deux questions théoriques, (et iconoclastes) qu’on ose pas trop poser, commencent à être d’actualité :
- la question de savoir si des individus en situation de manipulation constante peuvent encore être qualifiés de citoyens (10) ;
- et au regard des conceptions anciennes et traditionnelles de la démocratie, la question de la légitimité de ceux qui, bien qu’élus - ou parce qu’élus dans ces conditions-, gouvernent par et grâce à la manipulation.
Marcel-M. MONIN
M. de conf. hon. des universités
(1) Qui fait penser à celui de M. Sylvestre, personnage des « guignols de l’info » (première formule). Ce M. Sylvestre était un personnage qui, cloné, incarnait les financiers, les propriétaires des gros groupes (militaro - ) industriels et qui affichait / affichaient son / leur cynisme : gagner de l’argent en profitant de toutes les opportunités, et en manipulant tout le monde … sans trop de scrupules. M. Sylvestre qui ricanait tandis qu’il constatait qu’il avait su réussir dans l’impudence et l’inconvenance.
(2) les politiques qui sont aux commandes agissent, par conviction, ou par crainte des pauvres ou par mépris des strates populaires les plus modestes ( v. le persiflage du « populisme »), ou par intérêt … pour assurer le financement et la pérennité de leur carrière, dans le sens des intérêts des M. Sylvestre ( voir la note n° 1) et grâce à ces derniers. NB. Mais rien n’interdit, mais c’est une autre question, à une personnalité de dire « stop ». Après avoir réfléchi aux moyens d’entrainer derrière elle une majorité de citoyens (à défaut de majorité parlementaire). Et en acceptant … les risques divers et les périls liés à une telle entreprise.
(3) Ce ne sont évidemment pas les seuls. Certaines institutions d’enseignement sont, parmi d’autres, d’efficaces machines à forger les opinions. Ce qui n’est pas nouveau. Jadis, les écoles des jésuites dressaient les jeunes aux opinions anti républicaines ( que les Républicains combattirent avec la loi de 1901 pour commencer). Aujourd’hui, c’est l’idéologie de Milton Friedman qui sert de bréviaire : Entre autres illustrations, si l’on fait la liste des enseignants de certaines universités et établissements qui traitent d’économie et qui jouissent de la meilleure « réputation », on constate que la plupart d’entre eux sont précisément des adeptes des théories de Milton Friedman ; et que la place laissée aux économistes keynésiens est plutôt maigre.
(4) Les médias indépendants et les journalistes d’investigation existent certes également. Mais qui, comme les poissons volants ne sont pas la majorité du genre. Et qui ont du mal, eu égard au contexte, et malgré les réseaux sociaux, à produire suffisamment d’antidote.
(5) Dans ce cas, c’est l’ensemble de la profession qui « tombe sur » celui qui ose évoquer l’engagement partisan des journalistes salariés par les médias dominants. Et fait passer (ainsi que M. Mélenchon en a fait l’amère expérience), celui qui l’oserait, pour un personnage mal poli, agressif, ne maîtrisant pas ses nerfs, voire ne possédant pas toutes ses facultés mentales ou, à défaut d’argument, pour un « complotiste ».
(6) comme il n’y a pas besoin d’être un économiste chevronné pour relever comme « aberrante » l’obligation qu’ont les Etats d’emprunter aux banques et aux marchés financiers, plutôt qu’à leur banque centrale.
(7) Dans ces deux derniers cas, les médias ont mis en place des feuilletons, dont chaque épisode est la redite du précédent, à partir de procédures qui semblaient dormir (procédures dont les hasards des calendriers de la justice impartiale ont fait que des magistrats indépendants les ont réactivées librement). Avec, en continu, nuit et jour, des commentaires centrés sur la crédibilité perdue ou en voie de l’être, des intéressés. La manière dont le cas Fillon a été traité a permis à l’évidence d’éliminer ce candidat (souvent présenté comme un candidat lui aussi favorable à l’oligarchie) au profit d’un candidat généralement présenté, lui, comme ayant été choisi et « fabriqué » par cette même oligarchie en vue d’occuper la charge de président de la République.
(8). Imaginons que les médias traitent, exactement selon les mêmes techniques, tous les politiciens. On entendrait ou on lirait alors des développements du genre « selon » tel responsable en place … « financé ou soutenu par » , « il faudrait » ( au conditionnel) … ». Tel autre, « qui participe aux dîners du Bilderberg, qui est invité par la Trilatérale, qui est « jung leader », qui va passer ses vacances sur le yacht de tel milliardaire … a décidé » (suit la mesure qui va dans le sens des conceptions ou des intérêts des fréquentations)… ». « Le président de la République, le Premier ministre … « prétendent » que… ». De la même manière, les discours sur « l’Europe » prendraient évidemment une autre connotation ou une autre tournure, si les propriétaires des médias faisaient rappeler par leurs journalistes, que les « pères fondateurs » exerçaient aussi l’activité d’agent de la CIA.
(9) « Si vous dites ça / si j’ai bien compris ce que vous dites … , c’est forcément que vous voulez dire … que vous pensez … que, que vous vous prononcez pour (un adversaire) / contre (un ami)… »
(10) L’usage du droit de vote sous entend traditionnellement que l’on jouisse d’un libre discernement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les enfants ne votent pas. Et que les personnes qui sont placées sous « tutelle », parce qu’elles ont perdu leur libre arbitre, se voient retirer le droit de vote par le juge.
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